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Continuer la lectureTaxe copie privée : les opérateurs télécoms s’attaquent à la gouvernance de la commission qui la vote
Depuis sa création, cette redevance a rapporté plus de 6 milliards d’euros aux ayants droit de la culture. La Fédération française des télécoms juge que ces derniers ont trop de poids dans sa fixation.

Le chantier de la taxe copie privée poursuit sa route au ministère de la Culture. L’année 2024 sera consacrée à une réévaluation des perceptions sur les smartphones, les tablettes et, grande nouveauté, les ordinateurs fixes et portables. Des études d’usages, lancées prochainement par l’Institut CSA, mesureront les pratiques de copie de films, séries, livres et musiques auprès d’un panel de 1 000 utilisateurs. Ceci fait, la commission copie privée calculera le montant de la taxe sur chaque appareil importé en France, perçue par les industries culturelles en contrepartie de la liberté accordée aux utilisateurs de copier des œuvres de leur catalogue. Selon nos informations, ces travaux pourraient s’achever début 2025.
En attendant, la manne rapporte. Depuis 1985, date de création de l’actuelle taxe, le secteur de la culture a empoché la bagatelle de 6,239 milliards d’euros. Rien qu’en 2022, la note s’élève à 279 millions d’euros, contre 234 millions l’an passé du fait d’un essoufflement des ventes de smartphones, principaux pourvoyeurs de ces montants. La Fédération française des télécoms (FFT), qui compte parmi ses membres Bouygues, Orange et SFR, est insatisfaite de ce régime. Ses critiques se concentrent tout particulièrement sur la gouvernance de la commission, là où elle ne dispose que d’un seul siège. Dans les coulisses du projet de loi de simplification de la vie économique, actuellement débattu en première lecture au Sénat, elle a même rédigé un amendement pour espérer changer les règles du jeu.
Sur le papier, la commission copie privée est une institution très équilibrée. Autour de la table, on trouve 12 bénéficiaires issus du monde de la culture. La Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SACEM) ou encore la Société Civile des Producteurs de Phonogrammes en France (SPPF) sont représentées par la société civile Copie France, collecteur de la taxe en France. Ils font face à 12 redevables. Seulement, ce paritarisme s’arrête là puisque ce groupe est divisé en deux : d’un côté, 6 sièges attribués aux fabricants et importateurs de supports (dont la FFT) et de l’autre, six autres sièges partagés entre trois organisations de consommateurs : l’association de défense, d’éducation et d’information du consommateur (ADEIC), l’association force ouvrière consommateurs (AFOC) et enfin l’association pour l’information et la défense des consommateurs salariés (INDECOSA-CGT), dont les deux représentants ont été choisis parmi les rangs de la CGT-Culture.

La FFT n’est pas vraiment satisfaite de cette distribution des rôles qui donne finalement la part belle aux ayants droit. Son idée ? Ne laisser autour de la table que les représentants de la culture d’un côté et de l’autre, les fabricants ou importateurs de supports et d’appareils. Elle souhaite donc le départ des consommateurs. C’est en tout cas ce qu’elle défend autour d’un amendement qu’elle a présenté dans les coulisses du projet de loi sur la simplification de la vie économique. Dans ce document, elle considère que le régime actuel « donne mécaniquement un avantage aux positions des ayants droit, bénéficiaires de la rémunération ». Contactée par l’Informé, elle estime même que « le déséquilibre actuel de la Commission copie privée au profit des titulaires de droit ne lui permet pas de remplir sa fonction. En cohérence avec les objectifs du projet de loi simplification, notre proposition vise à lui donner à une capacité à adopter des décisions équilibrées, tenant compte des différents intérêts en présence ». Cet amendement n’a pas eu le succès escompté puisque qualifié de cavalier législatif au Sénat, mais il témoigne des positions des acteurs des télécoms et pourra ressortir lorsqu’un véhicule parlementaire plus dédié se présentera.
Ce n’est pas la première fois que cette instance est ainsi mise à l’index. Dans leur rapport sur la copie privée, révélé par l’Informé en octobre 2022, l’Inspection générale des finances (IGF) et celle des affaires culturelles (IGAC) aboutissaient aux mêmes conclusions. Elles regrettaient tout particulièrement que le collège des consommateurs, qui n’est plus que d’origine syndicale notamment avec le départ de l’UFC Que Choisir en 2006 ou de la CLCV en 2017, disposent de moyens limités et est « structurellement marqué par un fort taux d’absentéisme » (47 % entre 2010 et 2021, contre 20 % pour les industriels et 2 % pour les ayants droit). Elles prônaient donc « un réel paritarisme » entre les ayants droit et industriels uniquement, avec tout de même une spécificité : les consommateurs resteraient associés aux discussions, mais seulement « sous forme d’auditions, sans prendre part aux négociations ni au vote ». Le même document relayait cependant la levée de boucliers des représentants de la culture, opposés à une telle révolution qui, selon leurs dires, « aurait pour conséquence de les mettre en minorité ». En 2014, l’UFC Que Choisir avait elle aussi épinglé le fonctionnement « boiteux » de la commission, mais l’association suggérait cette fois de « donner un poids identique à chaque collège (8 voix par collège) ». Une répartition par tiers qui avait eu les honneurs d’une proposition de loi déposée par le député Lionel Tardy en 2016, restée depuis lettre morte. Plus près de nous, le député Philippe Latombe est allé plus loin encore, envisageant de faire fixer chaque année le montant de la taxe par un vote au parlement, « pour plus de transparence et de démocratie ».
La FFT a d’autres pistes de réformes plus techniques. Le représentant d’Orange, Bouygues et SFR voudrait que le président de la commission ne soit plus désigné par arrêté rédigé par la ministre de la Culture et le ministre de l’Économie, mais directement par le Président de la République. La fédération plaide aussi pour la désignation, toujours par l’Élysée, de deux personnalités qualifiées « en économie et statistiques » qui auraient la casquette de vice-présidents. Des propositions là encore inspirées du rapport IGF-IGAC.