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Continuer la lectureFree condamné à faire un gros chèque au fondateur de Jaguar Network (Free Pro)
L’opérateur télécoms avait acquis les trois quarts du capital de cette start-up, devenue Free Pro, pour se développer sur le marché des entreprises. Mais il a raflé le dernier quart restant à bas prix en accusant le fondateur de faute grave.

Free contre Free Pro. L’opérateur télécoms a été condamné devant la cour d’appel de Paris ce 16 septembre dans l’affaire l’opposant à Kevin Polizzi. Le fondateur et ex-dirigeant de Jaguar Network, devenu Free Pro, était en conflit avec Iliad, son associé majoritaire depuis maintenant six ans. En 2019, contre un chèque de près de 100 millions d’euros, le groupe de Xavier Niel (actionnaire de l’Informé) avait acquis 75 % du capital de cette société marseillaise spécialisée dans les offres aux entreprises. Objectif ? Se faire une place sur un marché dominé par le duopole Orange et SFR en développant une nouvelle Freebox destinée aux TPE (moins de 10 salariés). Un pari audacieux : Iliad évoquait alors une « étape importante (...) en s’appuyant sur les très fortes expertises et complémentarités entre les deux groupes et en s’associant à un entrepreneur reconnu. »
Mais, en 2021, les rapports entre le groupe de Xavier Niel et Kevin Polizzi se dégradent. Ce dernier est révoqué de ses fonctions de directeur général de Jaguar Network pour faute de gestion et faute grave. La procédure a un effet immédiat sur la valeur des parts qu’il conservait. En effet, le contrat prévoyait qu’en cas de départ fautif, une décote de 30 % s’appliquerait automatiquement sur la vente des 25 % qu’il détenait toujours. Inversement, un bonus de 15 % lui serait octroyé en cas de départ « dans de bonnes conditions » (non fautif). La nuance est importante, car elle se chiffre en espèces sonnantes et trébuchantes. Au lieu de toucher 57,7 millions d’euros, Kevin Polizzi a empoché seulement 35,17 millions d’euros. L’ancien dirigeant a alors saisi le tribunal de commerce pour contester les faits qui lui étaient reprochés. L’année dernière, il a gagné en première instance. Iliad a fait appel, mais vient d’être débouté.
Sur les neuf griefs initialement avancés pour justifier la faute grave, Iliad n’en a finalement développé que trois devant la justice : la location à Jaguar d’un appartement détenu par Kevin Polizzi pour un prix supérieur au marché, des travaux dans des bureaux réalisés par un de ses amis à des tarifs surévalués et l’hébergement gratuit d’une société dont le fondateur de Jaguar Network détenait 50 % des parts. Les juges de première instance, tout comme ceux d’appel, ont balayé ces trois arguments, estimant qu’Iliad était parfaitement au courant et dans l’incapacité de prouver une quelconque faute. Ils ont donc condamné l’entreprise à verser 22,6 millions d’euros de plus à Kevin Polizzi.
En revanche, le quadragénaire n’a pas obtenu gain de cause sur sa perte de chance. Il demandait que la valeur de ses titres soit calculée en fonction des résultats 2023 et 2024, et non sur ceux de l’année 2021, comme le prévoyait une clause du contrat. La valorisation de l’ex-Jaguar aurait, dans ce cas, pu atteindre 500 à 600 millions d’euros et ses parts valoir beaucoup plus d’argent. Mais la cour d’appel a jugé que seul Iliad pouvait activer cette clause.
De fait, depuis son rachat en 2019, le chiffre d’affaires de la société fondée par Polizzi a été multiplié par près de trois. Il était de 151,8 millions d’euros l’an dernier, pour un bénéfice net de 12 millions. Désormais dirigée par Denis Planat, elle a lancé en 2024 une offre de location de téléphones, baptisée Loc+ puis en début d’année une nouvelle Freebox Pro incluant des services de cybersécurité.
Aujourd’hui, Kevin Polizzi continue de présider Unitel Group, basé au Luxembourg, un opérateur présent dans l’IA, le cloud et la 5G. Son objectif est aussi de créer un campus numérique et d’intelligence artificielle à Marseille sur 35 000 mètres carrés. L’ensemble doit abriter écoles, espaces de coworking, centres d’appels, restaurants, jardins paysagés... Baptisé Theodora, les travaux doivent commencer cette année et se terminer fin 2028.
Contactés, Iliad et Kevin Polizzi n’ont pas souhaité faire de commentaire et n’ont pas voulu indiquer s’ils allaient se pourvoir en cassation.
Free Pro : l’affaire continue devant les prud’hommes
Le fondateur de Jaguar Network n’en a pas fini avec son ancien associé Iliad. En 2021, Kevin Polizzi avait été remercié selon deux procédures distinctes. D’une part, il avait été révoqué de son mandat social, ce qu’il a contesté devant le tribunal de commerce de Paris. D’autre part, il a été licencié pour « faute grave » de ses fonctions salariées, ce dont il a fait appel devant les prud’hommes de Marseille. En première instance, les juges se sont déclarés incompétents. Pour eux, Kevin Polizzi était uniquement mandataire social et n’avait pas de contrat de travail de salarié, n’ouvrant donc aucun droit à des indemnités de licenciement. Le dirigeant a fait appel de cette décision. L’arrêt que vient de rendre la cour d’appel de Paris sur le mandat social, rejetant toute faute grave, pourrait jouer en sa faveur.