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Continuer la lecturePrêts personnels, Bernard Arnault… comment Xavier Niel finance ses emplettes télécoms en dehors d’Iliad. Partie 2
Si le fondateur de Free a développé l’essentiel de son empire télécoms via sa société historique, il a aussi multiplié les acquisitions en endettant ses holdings personnelles ou en faisant appel à des alliés fortunés, parfois très discrètement.

La scène se déroule boulevard Suchet dans les luxueux locaux de l’ambassade de Monaco à Paris. Nous sommes le 16 avril 2025. Ce jour-là, le prince Albert II a fait le déplacement de la Principauté pour remettre l’insigne de chevalier de l’Ordre de Saint Charles - l’équivalent monégasque de la Légion d’honneur - à deux personnalités françaises : Sébastien Lecornu, le ministre des Armées, et… Xavier Niel, le magnat français des télécoms. Costume sombre, chemise blanche, mais sans cravate comme à son habitude, celui qui a longtemps fui les honneurs arbore un large sourire. Il n’est pas là par hasard. Le fondateur de Free est également actionnaire majoritaire de Monaco Telecom. Et c’est au titre des services rendus à l’État monégasque qu’il est décoré. « Je suis très honoré de recevoir cette distinction de Monseigneur. Tout ce qu’on fait depuis plus de dix ans à Monaco, c’est d’essayer de développer les télécoms et puis, au-delà, d’aider cette société à grandir à Chypre, à Malte et on espère ailleurs », déclare-t-il au micro de Monaco Info.
Xavier Niel (par ailleurs actionnaire à titre individuel de l’Informé) a effectivement largement œuvré pour développer les infrastructures de télécommunications monégasques. Mais, s’il a toujours été présenté comme le seul repreneur de l’opérateur historique du Rocher, en ce jour du 16 avril 2025, il aurait pu remercier un autre milliardaire français… Bernard Arnault.

Selon nos informations, pour mener sa campagne monégasque Xavier Niel s’est discrètement associé au PDG de LVMH. L’alliance du cuivre et de l’or, en quelque sorte. Les deux hommes se sont rapprochés à l’occasion de l’idylle nouée entre sa fille Delphine et Xavier Niel, suivie de la naissance de leur premier enfant en 2012. Deux ans plus tard, l’empereur du luxe mobilise sa holding familiale Agache et signe un chèque de 8,5 millions d’euros contre 10 % d’une structure baptisée GP Holding. Celle-ci a pour autres actionnaires Xavier Niel (80 %, via sa société NJJ Capital Monaco Acquisition) et MT Manco (10 %) : une holding luxembourgeoise réunissant Olivier Rosenfeld, Rani Assaf et Antoine Levavasseur, trois anciens managers historiques de Free. GP Holding a ensuite racheté 55 % de l’opérateur du Rocher au britannique Cable & Wireless pour 322 millions d’euros. Sur ce montant, les actionnaires ont apporté 85 millions de capitaux, le solde étant emprunté à BNP Paribas, Natixis et Société Générale.
Monaco Telecom s’est ensuite développée en rachetant en 2018 la filiale de l’opérateur sud-africain MTN à Chypre pour 260 millions d’euros, puis deux ans plus tard, la filiale de l’anglais Vodafone à Malte pour 242 millions. L’aventure monégasque s’avère juteuse, vu la forte rentabilité du petit opérateur. Selon nos estimations, GP Holding a versé près de 270 millions d’euros de dividendes en 10 ans, et Monaco Telecom avoisine désormais les 400 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel, deux fois plus qu’avant son rachat. Fiers de leur bébé, Xavier Niel et Delphine Arnault ont participé à la visite d’État effectuée par Emmanuel Macron dans la principauté les 7 et 8 juin derniers.
On le voit, pour financer l’opérateur monégasque, le magnat des télécoms a utilisé ses holdings personnelles baptisées NJJ plutôt que sa société télécoms historique Iliad, celle avec laquelle il a bâti l’essentiel de son empire et qui supporte aujourd’hui 21 milliards de dettes comme nous l’avons détaillé dans le premier volet de notre enquête. Une manière peut-être de supporter moins de contraintes réglementaires, Iliad ayant longtemps été cotée en Bourse.
Cette initiative est loin d’être isolée. En 2011, le milliardaire est passé par l’une de ses structures individuelles pour se lancer Israël avec Golan Telecom. Idem en 2014 quand il s’est attaqué au suisse Salt. La dette nette de l’opérateur helvète s’élevait à 2,3 milliards d’euros l’année dernière. Mais c’est en Irlande qu’il va réaliser sa plus importante opération. En 2017, il rachète 64 % du capital de l’opérateur historique Eir pour 640 millions d’euros via un montage complexe. Ce rachat a été scindé en deux entre Iliad, alors coté en Bourse (49 %) et NJJ, la holding personnelle du milliardaire (51 %). L’affaire s’avère juteuse. Depuis sa prise de contrôle, Eir a versé 2,13 milliards de dividendes à ses actionnaires. À l’instar de ce que fait Bernard Arnault avec LVMH, « une partie contribue à monter au capital de cette société », nous indique une porte-parole du milliardaire. Cet argent lui a même permis de se renforcer ces derniers mois grâce à l’acquisition des parts du fonds Davidson Kempner pour franchir la barre des 70 %. En contrepartie, ces opérations ont fait grossir la dette qui pèse sur les épaules de Xavier Niel, puisque Eir est lesté de 3,4 milliards d’euros nets d’emprunts. Mais cette dette est consolidée par NJJ, et non par Iliad Holding (voir partie 1) grâce au savant montage réalisé.
Pour compléter ce tableau, il faut également citer de petites participations dans le belge Proximus, le singapourien MyRepublic ou encore le britannique Vodafone… Enfin, sa dernière acquisition a fait du bruit puisqu’il s’agit du rachat des ukrainiens Lifecell et Datagroup-Volia. Une acquisition financée en empruntant 435 millions de dollars à la Banque mondiale et à la Berd dans le cadre de la reconstruction et du redémarrage économique futur de l’Ukraine.
Au total, cette accumulation de prêts dépasse les 6 milliards d’euros répartis dans les différentes structures de la galaxie NJJ… Pour autant, pas de quoi s’inquiéter, selon la porte-parole de Xavier Niel. Selon elle, l’endettement est peu élevé. Il représente 3,2 années d’excédent brut d’exploitation (Ebitda) pour la Suisse et 4,4 années pour l’Irlande : « Chaque actif est considéré comme le meilleur de sa classe dans sa géographie en termes de génération de trésorerie et de track record (historique) de désendettement », conclut-elle.
Ces dettes semblent de fait bien moins lourdes à porter que celle de SFR, où elle s’élevait récemment à 6,8 fois l’Ebitda. Une situation intenable qui a conduit Patrick Drahi à convertir des prêts en capital, via une procédure de sauvegarde. Xavier Niel l’a lui-même bien expliqué au micro de France Culture : « Quand SFR a été rachetée par Patrick Drahi, il a mis beaucoup de dettes. Et après, l’exploitation de la société dans la durée a un peu décliné avec un certain nombre d’erreurs, de choix, qui n’ont pas été heureux, en tout cas selon les chiffres. À partir de ce moment-là, quand vos résultats baissent, eh bien ça devient une dette lourde ».
Contacté, Agache (la holding personnelle de la famille Arnault) n’a pas répondu à nos sollicitations.