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Continuer la lectureToujours dans le rouge, Libération renégocie sa dette envers Kretinsky
Le quotidien a encore perdu près de 13 millions d’euros l’an dernier. Sa trésorerie ne lui permettra pas de faire face à la prochaine échéance du prêt accordé par le milliardaire tchèque.

Libération rebondit mais n’échappe pas à la crise. Côté pile, la diffusion payée en France a bondi de 10 % l’an dernier (à 110 271 exemplaires), dopée par les abonnements numériques en hausse de 18 % (à 72 000 copies), tandis que les ventes en kiosques restaient quasi stables (7 500 exemplaires). Côté face, selon nos informations, le quotidien a encore perdu près de 13 millions d’euros l’an dernier, malgré une hausse de 3 % du chiffre d’affaires consolidé, à 30,2 millions d’euros. En 2023, la situation financière du quotidien avait conduit les commissaires aux comptes à pointer dans leur rapport une « incertitude significative sur la continuité d’exploitation ». La valeur comptable de Libération avait aussi été dépréciée de 78 à 58 millions d’euros. Et l’équilibre ne cesse d’être retardé. Promis pour 2023, il a été repoussé à 2026, puis à 2028, selon la Lettre.
Toutefois, il ne semble pas y avoir péril en la demeure. Car le quotidien fondé par Jean-Paul Sartre devrait continuer à bénéficier du soutien financier de Daniel Kretinsky. Depuis 2022, l’oligarque tchèque, classé à la 302e position des plus grandes fortunes mondiales de Forbes, avec un patrimoine évalué à 9,4 milliards de dollars, a déjà versé un million d’euros sous forme de don et prêté 42 millions en trois tranches, qui n’ont pas encore été totalement dépensés. Si besoin est, le propriétaire de Marianne et Franc-Tireur serait prêt à accorder un nouveau prêt, qui pourrait s’élever à une quinzaine de millions d’euros, selon nos informations.
« Le soutien financier de Kretinsky permet au gouvernement d’avoir un souci de moins à gérer dans le secteur de la presse à la veille de l’élection présidentielle, analyse un ex du renseignement. Entre Libération ou le sauvetage de Casino, il rend service aux politiques, mais la question est : pourquoi le fait-il ? » Pour mémoire, les relations d’affaires entre le groupe de Daniel Kretinsky et la compagnie énergétique russe Gazprom ont longtemps alimenté des soupçons d’une influence du Kremlin, mais ces soupçons n’ont à ce jour jamais été étayés par des éléments concrets.
En pratique, ces prêts sont constitués d’obligations avec un taux d’intérêt de 3 % au-dessus de l’Euribor 3 mois, soit actuellement environ 5 %. La première tranche arrive à échéance fin mars 2026, mais le quotidien ne dispose pas des liquidités suffisantes pour la rembourser. Ces obligations ne sont pas non plus convertibles en actions. La piste privilégiée par la direction du quotidien est donc de rééchelonner la dette pour repousser à plus tard le remboursement avec l’aval de Daniel Kretinsky.
À court terme, le milliardaire tchèque devrait donc continuer à être le créancier de Libération, sans devenir son actionnaire. Actuellement, le quotidien de gauche appartient à une holding, Presse Indépendante SAS, elle-même détenue par une sorte de fondation, le Fonds de dotation pour une presse indépendante (FDPI). Ce dernier est dirigé par un conseil d’administration comprenant un représentant de Daniel Kretinsky et deux de Patrick Drahi, l’ancien propriétaire du quotidien. Le magnat des télécoms avait mis en place ce montage en 2020, assurant alors : « Libération deviendra ainsi la propriété d’une structure non cessible et non capitaliste à but non lucratif ».
Si le FDPI n’est en effet pas cessible, en revanche Presse Indépendante SAS et Libération peuvent tout à fait changer d’actionnaires. Le cabinet d’avocats Gide, interrogé par les salariés lors du montage, avait répondu : « Le schéma proposé n’assure pas de ‘sanctuarisation’ du capital de Libération, celui-ci pouvant faire l’objet de prises de participations ou de cessions ultérieures. Aucun mécanisme ni aucune règle juridique ne nous paraît empêcher des évolutions futures du capital de Presse Indépendante SAS ou de Libération. En particulier, aucune disposition des statuts du FDPI n’impose le maintien du contrôle par le FDPI de Presse Indépendante SAS et de Libération ».
Intervenant au Sénat en 2021, l’économiste Julia Cagé avait déploré : « Le fonds de dotation de Libération, c’est le contre-exemple de tout ce qu’il ne faut pas faire. Les statuts permettent au fonds de vendre Libé à tout moment. On voit donc le détournement de la notion même du fonds de dotation : il n’y a pas de gouvernance démocratique, ni de protection du capital du média ».