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Continuer la lecture« C’est un naufrage » : ambiance tendue au procès de Depardieu contre Le Parisien, Libération, Mediapart et Télérama
Accusés par l’acteur d’avoir diffusé de fausses nouvelles, les quatre titres de presse ont comparu ce matin en référé au tribunal judiciaire de Paris dans un climat glacial. Ils réclament, en retour, 115 000 euros à l’acteur.

Les couloirs du tribunal judiciaire de Paris n’ont décidément pas terminé d’entendre parler de Gérard Depardieu. Alors que le procès dit « des Volets Verts » dans lequel l’acteur était jugé pour agressions sexuelles s’est achevé la semaine dernière, une autre audience impliquant l’acteur a eu lieu ce 2 avril au matin. Mais cette fois-ci, la star déchue était le plaignant. Comme nous le révélions le 12 mars dernier, Depardieu a assigné en référé fin février quatre journaux : Le Parisien, Libération, Mediapart et Télérama. En cause, des articles concernant les rushes du fameux numéro de Complément d’enquête consacré à l’acteur dans lequel on entendait la star tenir des propos misogynes et insultants alors qu’une fillette faisant du cheval apparaissait à l’écran.
Ici, contrairement à l’usage, l’acteur et son conseil Jérémie Assous n’ont pas choisi d’attaquer les titres en diffamation. Le requérant reproche à la presse d’avoir violé à la fois le « principe général et absolu de l’exactitude de l’information » et le « principe de contradictoire », et demande donc réparation : 80 000 euros de provision à chaque média, assorti de 10 000 euros pour les frais de justice engagés. Mais l’affaire pourrait se retourner contre lui : lors d’une audience tenue ce 2 avril, les journaux mis en cause ont dénoncé cette procédure et réclament, au total, 115 000 euros à l’acteur.

L’audience s’est tenue ce matin dans un climat pour le moins tendu : avant même le début des plaidoiries, Me Assous a refusé de serrer la main à certains de ses confrères de la défense, venus le saluer. Devant une formation inhabituelle pour un référé - une collégiale de trois juges spécialistes du droit de la presse - le très médiatique avocat a ensuite plaidé pour un renvoi de l’affaire, affirmant ne pas être « à trois mois près ». Un argument étonnant, alors qu’une procédure en référé, choisie spécifiquement par l’avocat et son client, est justement une procédure d’urgence. Pour appuyer sa demande, Me Assous a indiqué avoir reçu trop tardivement les conclusions d’un de ses adversaires, manquer de nouvelles pièces à venir et n’avoir pas eu le temps de se pencher assez sur le dossier, en raison de sa forte activité de la semaine précédente lors du procès dit des Volets Verts. Des arguments rejetés par les quatre avocats de la partie adverse. « Ce n’est pas sérieux », a soufflé Basile Ader, aux côtés du Parisien. « Me Assous savait lorsqu’il a eu cette date de référé qu’il aurait à plaider la semaine précédente, mais il n’a pas demandé une autre date », a relevé quant à lui le conseil de Libération Emmanuel Soussen. « Quand on fait un référé, on l’assume », a ajouté Christophe Bigot, qui plaidait pour Télérama, avant de dénoncer une « demande de renvoi abusive et tactique ».
Le tribunal a finalement souscrit à leurs arguments et a rejeté la demande de renvoi. Puis, alors que Me Assous réclamait de plaider les quatre dossiers à la suite au lieu de les joindre comme la présidente de l’audience le souhaitait, cette dernière a accédé à sa demande, après lui avoir demandé d’adopter une attitude plus appropriée et de « garder toute la courtoisie nécessaire pendant l’intégralité de l’audience ». Pour éviter des débats interminables, les trois juges ont également décidé de fixer une limite de temps pour l’examen de chaque dossier : 30 minutes maximum.
Un par un, l’ensemble des conseils des titres ont ainsi dénoncé la nullité de l’assignation, réclamé une requalification de la procédure en droit de la presse et formé une demande reconventionnelle pour procédure abusive. Pour ce dernier point, Le Parisien, Libération et Télérama ont réclamé chacun 15 000 euros à l’acteur, et Mediapart en a demandé le double. Le tout, assortis de 15 000 euros de frais de justice pour Mediapart, de 10 000 euros pour Télérama et Libération, et de 5 000 euros pour Le Parisien.
Les esprits se sont plusieurs fois échauffés lors des débats, avec de nombreuses passes d’armes entre les avocats et des rappels à l’ordre tout aussi fréquents de la juge présidant l’audience. Devant les réflexions de la partie adverse, qui lui reprochaient de plaider contre plusieurs médias en même temps alors qu’il avait été défini, à sa demande, qu’il plaiderait pour chacun d’entre eux tour à tour, Jérémie Assous a assené à plusieurs reprises « Je plaide ce que je veux ». Aussi, alors que la présidente, rappelait aux parties « On n’est pas dans une cour d’école », Jérémie Assous a répété son agacement envers le banc de la défense : « même l’heure, je ne leur donne plus », a-t-il lancé. « Je vous plaide en brouillon, je suis épuisé », a également fait savoir aux juges Assous, manifestement fébrile. Le médiatique conseil a d’ailleurs quitté la salle à deux reprises, alors que les parties adverses plaidaient.
« Je trouve lamentable la personnalisation du contentieux, je crois que c’est une forme de naufrage », a osé l’avocat de Télérama Christophe Bigot, réagissant aux offensives de l’avocat. Qualifiant les journalistes, tour à tour, de militants, de « laquais », de « sbires » ou encore de personnes aux « réflexes staliniens », Jérémie Assous a également procédé à plusieurs reprises à une comparaison pour le moins originale entre les journaux mis en cause, et le négationniste Robert Faurisson. « Dire qu’il n’y a pas de chambre à gaz, c’est une faute », a indiqué l’avocat, mettant en parallèle cette omission avec celles qu’il dénonce dans les papiers incriminés au sujet des rushes de Complément d’enquête. « Faurisson a du crédit en tant que maître de conférences », comme les journalistes en ont grâce à leur statut, dénonce également le conseil dans sa comparaison. « On est chez les fous », a rétorqué plus tard, effaré par cette comparaison, l’avocat de Libération Emmanuel Soussen. Avant de rappeler que « pour un journaliste, essayer de communiquer avec le conseil de Gérard Depardieu est un délice : ce sont des menaces, des insinuations. […] Il veut nous faire taire mais il ne le fera pas. » Dénonçant une « instrumentalisation judiciaire », Basile Ader a pour sa part dénoncé une « procédure bâillon ». Et d’ajouter : « c’est une manière de nous intimider, avec les moyens considérables de M. Depardieu. »
Enfin, dans sa plaidoirie contre Mediapart, Jérémie Assous a regretté de ne pas être invité par d’autres médias que ceux de la galaxie Bolloré : « Je veux ici rappeler à leurs lecteurs (ndlr : de Mediapart) qu’ils ont diffusé de fausses informations, car je peux le dire 100 fois sur CNews, c’est étanche. Les seuls qui ont pouvoir de rappeler qui a tort, qui ne respecte rien, c’est vous », a-t-il fini par indiquer, faisant appel à la sagacité des juges. De son côté, le conseil de Mediapart Emmanuel Tordjman a réclamé une « condamnation exemplaire, pour rappeler à Gérard Depardieu qu’on ne joue pas avec la justice et la liberté d’expression. » Le tribunal rendra son verdict au début du mois de juin.