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Continuer la lectureUne association anti-pédocriminels en passe d’être recalée du statut de signaleur de confiance
Désireuse de bénéficier de ce label avantageux, Team Moore contestait son refus d’agrément par l’Arcom.

Le statut de signaleur de confiance ne se décroche pas si facilement. La Team Moore, collectif citoyen né en avril 2019 devenue association depuis le 10 janvier 2024, a pour spécialité la création de profils d’enfants virtuels sur les réseaux sociaux, qui servent de leurres pour piéger les prédateurs sexuels, qu’elle dénonce ensuite à la justice. Elle revendique près de 600 dossiers transmis aux autorités judiciaires françaises et d’une quinzaine de pays, entraînant l’ouverture de centaines d’enquêtes et des condamnations parfois très médiatisées. Depuis des mois, le collectif réclame le bénéfice d’un statut légal pour accompagner sa collaboration avec les autorités. Et pas n’importe lequel : celui de « signaleur de confiance ».
Une demande en ce sens a été adressée en juillet 2024 à l’autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), compétente en France pour délivrer ce précieux sésame. « En mars 2023, se souvient Neila Moore, présidente et cofondatrice de l’association, quand nous avons rencontré Jean-Noël Barrot, alors ministre délégué au numérique, celui-ci nous a invités à candidater, expliquant que ce serait un ‘’plus’’ . Un tel statut nous permettrait d’améliorer notre légitimité et surtout d’avoir un traitement plus rapide de nos signalements (…) que ce soit de contenus ou d’individus ». Né avec le règlement européen sur les services numériques (en anglais Digital Services Act ou DSA), ce label permet à une entité qualifiée de voir effectivement ses signalements concernant des plateformes traités de manière prioritaire par rapport à la masse des autres notifications. Las, sa candidature a été rejetée par l’Arcom. L’association a décidé de contester ce refus devant le Conseil d’État. Mais les mauvaises nouvelles s’enchaînent, a appris l’Informé : le rapporteur public, magistrat indépendant chargé de proposer une analyse juridique à la juridiction, et dont l’avis est le plus souvent suivi, a rendu des conclusions qui lui sont encore défavorables.
« Nous avons été reçus le 11 décembre 2024 par l’Arcom (…) face à 20 personnes, avec l’impression de passer un véritable interrogatoire. Nous avons expliqué nos motivations et les nombreux résultats obtenus par notre structure citoyenne », se rappelle encore Neila Moore. Dès le lendemain de l’audition de sa candidature, l’autorité a décidé d’opposer son véto. « La mission principale et les méthodes mises en œuvre par l’association n’apparaissent pas relever de l’activité d’un signaleur de confiance, ni être pleinement compatibles avec celles-ci », écrit Roch-Olivier Maistre, son président d’alors, dans un courrier consulté par l’Informé. L’instance administrative a relevé plusieurs contrariétés avec le cadre en vigueur. Selon elle, le recours à des identités d’emprunt, technique qu’utilise l’association pour piéger les pédocriminels, « va à l’encontre des conditions générales d’utilisation (CGU) de certaines plateformes », détaille la lettre. Autre problème, l’article 22 du DSA exige que le candidat démontre disposer d’une expertise et des compétences particulières pour détecter, identifier et notifier des contenus illicites, tout en rapportant la preuve qu’il entend exercer ses activités de signalement de manière « diligente, précise et objective ». Or, ajoute l’Arcom, « les éléments communiqués (…) par l’association La Team Moore ne lui permettent pas d’apprécier si ces critères sont satisfaits ». Le collectif a donc saisi le Conseil d’État, mais, ce jeudi 25 septembre, le rapporteur public a conclu lui aussi au rejet de leur requête. Selon lui, l’activité de l’association ne consiste pas à signaler les contenus illicites aux plateformes qui les hébergent, mais « à chercher à remettre les malfaiteurs à la police et la justice ». Selon les données transmises par l’Arcom à la juridiction, un seul signalement auprès des plateformes aurait été effectué en 2023, contre 12 revendiqués par l’association. Des notifications ont bien été effectuées dans le même temps auprès de la Plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements (Pharos) mais celle-ci relève du ministère de l’Intérieur, non du règlement sur les services numériques. Le Conseil d’État rendra son arrêt dans les semaines à venir.
Les promesses de la réserve citoyenne du numérique
Dans une question orale posée à l’Assemblée nationale en juin 2021, la députée Maud Petit (MoDem) avait suggéré à Éric Dupond-Moretti, alors garde des sceaux, d’accompagner d’une manière ou d’une autre les signalements des activistes de la Team Moore. L’idée ? Prévoir un cadre légal pour qu’ils puissent dialoguer avec la police et la justice. Craignant des dérives, le ministre avait refusé de faire entrer officiellement cet acteur sur le perron de la procédure pénale. « Que les citoyens dénoncent de tels faits quand ils en ont connaissance, c’est bien le moins, avait-il déclaré. ; Ensuite, il faut que chacun reste à sa place : je ne demande pas aux policiers ou aux magistrats d’être boulangers, je leur demande d’être policiers ou magistrats ! ». Un cadre est cependant apparu avec la loi du 21 mai 2024 visant à sécuriser et réguler l’espace numérique (SREN), c’est celui de la réserve citoyenne du numérique. Cette composante de la réserve civique identifie les entités ayant notamment pour objet de concourir à « la lutte contre la haine dans l’espace numérique ». Ils ont alors qualité, et même obligation d’aviser sans délai le procureur de la République de tous les contenus illicites repérés en ligne. En 2023, lors de sa rencontre avec le ministre Jean-Noël Barrot, l’association se souvient de s’être vue promettre d’intégrer cette réserve, une fois celle-ci adoptée par le Parlement. Elle avait même été citée par le même ministre dans un post LinkedIn. Restée sans nouvelle, la Team Moore est revenue plus récemment à la charge. Dans une lettre adressée le 20 mai 2025 à Clara Chappaz, la ministre chargée de l’intelligence artificielle et du numérique, elle redit sa volonté d’« avoir un statut officiel, que nous demandons depuis 6 ans, ou tout autre soutien pour pouvoir agir plus et plus vite ». Une missive restée sans réponse. Le régime de la réserve numérique reste dans tous les cas théorique puisque son décret d’application, promis pour novembre 2024, n’a toujours pas été publié.
De l’indépendance des signaleurs de confiance
Parmi les autres critères exigés par le règlement européen, les candidats au statut de signaleur de confiance doivent aussi démontrer leur indépendance « de tout fournisseur de plateformes en ligne ». La Team Moore estime remplir cette condition : « Nous ne touchons pour notre part aucune aide des Gafam ou des pouvoirs publics. Nous constatons que d’autres associations, pourtant déjà signaleurs de confiance, sont financées par les géants du numérique ». Œuvrant dans le même périmètre, e-Enfance et Point de contact ont respectivement décroché ce sésame en novembre 2024 et mars 2025. Selon Le Canard enchaîné, ces deux signaleurs sont pourtant arrosés des contributions financières des géants du numérique. Point de contact touche ainsi des aides annuelles de Google (12 500 euros), Meta (12 500 euros), TikTok (8 500 euros) ou encore Snapchat (8 500 euros). e-Enfance, pour sa part, a reçu 70 000 euros de TikTok en 2024, et indique l’association « plus d’un demi-million d’euros [de Google] depuis 2015 et quelques milliers d’euros de [Meta] ». Ces liens financiers ne sont pourtant pas rédhibitoires aux yeux de l’Arcom. Dans son guide de candidature au statut de signaleur de confiance, l’autorité apporte sa définition de l’indépendance financière : les sources provenant d’une plateforme en ligne « ne doivent pas constituer la majeure partie du budget de l’entité désignée signaleur de confiance ». De plus, « tout financement provenant d’une plateforme doit être lié à des objectifs et/ou activités spécifiques et clairement définis ». Des critères qui ont permis à ces deux associations de décrocher le précieux label. Lors d’une conférence organisée par l’Arcom ce jeudi 25 septembre, Justine Atlan, directrice générale d’e-Enfance, a souligné que les « plateformes contribuent de façon minoritaire au budget de l’association », caisse alimentée également par d’autres mécènes (la Française des Jeux, Carrefour Assurance, La Banque Postale, etc.) et des subventions publiques (ministères de l’éducation nationale, des sports, de l’agriculture, etc.). Elle a cependant défendu l’idée d’une contribution obligatoire qui serait imposée aux mêmes plateformes pour être ensuite redistribuée aux différents signaleurs de confiance.