L'abonnement à l'Informé est à usage individuel
Un autre appareil utilise actuellement votre compte
Continuer la lectureLes ayants droit de la culture veulent aussi taxer « la pause pipi » des abonnés SFR
Le collecteur de la copie privée souhaite obtenir une rémunération lorsque les utilisateurs d’une box mettent en pause le direct d’un programme. Il avait déjà attaqué Orange sur le même terrain.

La mise en pause des films diffusés sur les box, nouvelle manne du monde de la culture ? Le 22 juin 2022, Copie France, société qui collecte la taxe copie privée en son nom (246 millions d’euros en 2024), a assigné SFR devant le tribunal judiciaire de Paris. L’enjeu ? Obtenir du fournisseur d’accès à internet (FAI), le nombre de box qu’il a mis en circulation depuis avril 2019. Ce chiffre en main, les ayants droit comptent dans un second temps réclamer du FAI le paiement de la redevance sur une partie très précise de ses décodeurs, celle dédiée au contrôle du direct (ou « time shifting », en anglais). Les montants pourraient se chiffrer en millions d’euros. Techniquement, cet espace intégré de quelques gigas Go permet un stockage temporaire du flux TV, lorsque l’abonné, pris d’un besoin urgent, appuie sur le bouton « pause » de sa télécommande. Une copie provisoire du programme diffusé en direct y est alors effectuée. Une nouvelle impulsion sur le même bouton relancera la lecture, cette fois en léger différé, mais si la box est éteinte ou dès que l’utilisateur change de chaîne, l’enregistrement est définitivement perdu.
Pour les ayants droit, cette pratique relève incontestablement de la copie privée et doit donc être soumise à une taxation jusqu’à 10 euros HT par box. Ce paiement vient compenser un préjudice, celui d’une non-vente consécutive à la liberté reconnue aux particuliers de réaliser des copies de films, séries ou encore des émissions sans l’autorisation des détenteurs de droits. Si SFR paye déjà jusqu’à 30 euros par box (pour une capacité supérieure à 500 Go) sur la partie stockage classique, la société a d’abord fait la sourde oreille aux lettres de relance envoyées dès octobre 2020 par Copie France et portant sur le volume des appareils disposant de la pause du direct. En février 2021, il a opposé un refus explicite aux ayants droit, décrivant une fonctionnalité purement technique ne relevant pas de la copie privée car destinée à l’enregistrement provisoire d’un programme non pérenne. Une audience a été organisée ce lundi 15 septembre devant le tribunal judiciaire de Paris. L’Informé était présent dans la salle.
Pour les ayants droit, défendus par Me Carole Bluzat, la justice doit contraindre SFR à révéler le volume de ses décodeurs ou box disposant d’une telle fonctionnalité. Sont en jeu toutes les box 8 TV, les Décodeurs Plus, les Box THD 4K et les mini décodeurs TV commercialisés depuis avril 2019. Ces produits devraient être soumis à un barème de 6,30 euros HT pour ceux mis sur le marché jusqu’en mai 2019 et de 10 euros HT au-delà. Pour tenter de convaincre la juridiction, l’avocate a cité une étude Médiamétrie de 2024, commandée par les ayants droit. Elle « a montré qu’aujourd’hui cette fonctionnalité est utilisée par 18,5 millions d’individus. Un détenteur de box l’utilise au moins une fois par mois ». De même, elle a extrait des citations de travaux menés à partir des années 2000 en commission copie privée, instance administrative chargée d’établir les montants de perception par appareils et supports. Le 19 avril 2001, par exemple, un représentant du ministère de la culture avait exposé que selon lui, les « actes de reproductions dits de ‘‘time shifting’’ ne peuvent être exclus du champ de l’exception pour copie privée », le législateur ni le droit européen n’ayant absous les copies simplement provisoires. Une analyse partagée par le président de la commission.
Défendu par Me Cyril Chabert, SFR conteste vigoureusement cette analyse tirée de débats vieux parfois de plus de vingt ans. Pour le FAI, tout d’abord les prises de position des uns et des autres ne l’engagent pas. Et surtout, la société réfute que la mise en pause relève des copies privées devant être taxées. De son point de vue, elle n’est qu’une modalité de confort permettant le visionnage, décalé dans un temps limité, d’un contenu destiné à ne pas manquer une scène. « Quel peut être le préjudice des ayants droit parce qu’un abonné SFR va visionner son programme non pas de 20h52 à 22h27, mais de 20h52 à 22h47, car il avait un besoin naturel à satisfaire, est allé se servir à boire ou a été embrasser ses enfants ? ». Cette copie ne viendrait générer aucun préjudice et ne justifierait donc aucun prélèvement financier sur les appareils dotés de cette option. « Faudrait-il instaurer une rémunération de l’auteur parce que le téléspectateur a mis en fonction le ‘‘time-shifting’’ de confort pour aller aux toilettes ? », s’interroge l’avocat du FAI.
Pour muscler son opposition, l’opérateur a rappelé la position de l’Inspection générale des finances (IGF) et celle des affaires culturelles (IGAC) dans leur rapport d’octobre 2022 sur la copie privée. Les deux inspections ont expressément posé que « le statut du time shifting (également appelé contrôle du direct) n’est à ce stade pas tranché ». D’autres arguments plus juridiques ont été portés à la barre. Déjà, jamais la commission copie privée n’a pas explicitement visé cette fonctionnalité dans ses décisions. De plus le paiement de la taxe copie privée suppose de démontrer qu’au préalable, l’« acte de reproduction » du contenu concerné (un film, une série, une émission ou encore un concert) a été susceptible de provoquer une vente ratée. Or, pour SFR, le flux mis en pause ne constitue pas une nouvelle exploitation de l’œuvre soumise à autorisation de l’auteur, mais un simple décalage temporel. Cette modalité pourrait même relever d’une autre exception au monopole des créateurs, prévue par le droit européen, celle des « copies transitoires provisoires ». Elle autorise, sans indemnisation, les copies en mémoire « cache » de contenus consultés en ligne pour en faciliter la lecture sur les appareils connectés (site web, vidéo YouTube, etc.). Décider l’assujettissement de la pause du direct reviendrait finalement à frapper les box et décodeurs doublement, une fois pour le stockage principal (intégré ou dans le cloud), une autre fois sur l’espace mémoire dédié au contrôle du direct. Pour l’avocate de Copie France, les conditions relatives à l’exception de copie provisoire ne seraient pas remplies. Ainsi, les copies techniques ne doivent pas avoir de « signification économique indépendante », soit en clair de valeur économique autonome. Or, pour la juriste, la mise en pause a bien « une valeur économique bien différente que le visionnage en simultané des programmes », en témoigne sa mise en avant dans la communication commerciale de SFR.
Me Chabert a rappelé que Copie France s’est déjà vue infliger une sanction de 6 000 euros pour procédure abusive en juin 2024. Les ayants droit avaient cette fois tenté de réclamer le paiement de la copie privée à deux de ses clients, les reconditionneurs de smartphones et tablettes Sofi Groupe et WeFix, alors qu’aucune taxe dédiée n’avait encore été expressément votée par la commission administrative. Au surplus, les industries culturelles avaient alors dû payer respectivement 45 000 euros et 60 000 euros pour couvrir les frais de justice. Dans le dossier SFR, l’avocat réclame cette fois 55 000 euros. La justice rendra sa décision dans quelques mois. Une victoire permettrait aux ayants droit de solliciter les autres FAI, en particulier Free et Bouygues Télécom.

Copie France et Orange font la paix
Les ayants droit avaient également assigné Orange le 8 octobre 2020 pour, là encore, faire payer la pause du direct sur les box du fournisseur d’accès à internet (FAI). Alors qu’une audience de fond devait se tenir dans les prochaines semaines, Copie France a décidé de se désister le 21 juillet 2025. Le même jour, le FAI, défendu par Me Christophe Caron, a accepté cette marche arrière. Une telle issue peut survenir lorsqu’il y a transaction entre les parties. Contactés par l’Informé, aucune explication n’a été fournie par les deux protagonistes au moment de la publication de cet article. La procédure dirigée contre SFR reste désormais la seule pendante devant le tribunal judiciaire de Paris.