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Continuer la lectureGrand Frais : les discussions houleuses qui ont abouti au rachat des boucheries Novoviande par Prosol
Ces deux partenaires du GIE gérant l’enseigne se bagarraient sur le prix de vente depuis… 3 ans.

Coup de tonnerre chez Grand Frais. Ce 2 juillet, la société Prosol, gestionnaire des rayons fruits, légumes, poissonnerie et crémerie de l’enseigne, a annoncé avoir croqué son « partenaire historique » Novoviande, propriétaire de 41 boucheries, dont 39 intégrées à des magasins de la chaîne en Île-de-France. L’opération va permettre à l’acquéreur d’étendre encore grandement son influence chez Grand Frais. Dans ce groupement d’intérêt économique (GIE) où plusieurs entreprises se partagent la gestion des rayons, Prosol était déjà l’acteur le plus puissant, devant Euro Ethnic Foods en charge de l’épicerie, et Despi et Novoviande responsables des boucheries.
Selon nos informations, cette annonce surprise est en réalité le résultat de… trois ans de négociations aussi discrètes que houleuses ! La tentative de rapprochement n’est pas récente, et a connu son lot de rebondissements. Partenaires via un pacte d’actionnaires noué en 2017, Prosol et Novoviande se sont d’abord très bien entendus, aidés par le développement prospère de Grand Frais (220 unités en 2018, près de 315 aujourd’hui) et de leurs activités respectives. Jusqu’en avril 2021. Cette année-là, Prosol, détenue par l’homme d’affaires Denis Dumont et le fonds Ardian, décide de faire jouer une clause du pacte, prévoyant une « obligation de sortie conjointe » : ce dispositif force les propriétaires de Novoviande à lui céder leurs parts. Le mécanisme est assorti de conditions et d’un barème de prix. Les familles Gillet et Bissonnet, propriétaires de Novoviande, présentent alors la note : 287 millions d’euros selon eux.
Une addition un peu trop salée au goût du crémier. Prosol conteste cette estimation, et un sérieux désaccord persiste. A priori, acheteurs et vendeurs interprètent différemment les méthodes de calcul prévues par le pacte d’actionnaires. Selon une première formule, le prix doit correspondre à 7,5 fois l’Ebitda consolidé de Novoviande, moins la dette financière nette. Selon une seconde, il s’aligne sur un multiple de l’Ebitda retenu lors de la dernière cession de contrôle. Et le pacte prévoit de retenir le résultat le plus élevé des deux méthodes. Alors que les partenaires sont dans l’impasse, un expert (nommé par la justice) vient à la rescousse. Après avoir fait chauffer sa calculette, il juge en avril 2023 que la valeur totale des titres est finalement de 232 millions. Soit 55 millions d’euros de moins que la somme demandée par les propriétaires de Novoviande.
Mais entre-temps, le ton est monté. Les familles Gillet et Bissonnet, qui se reposaient sur les conditions du pacte, ont assigné Prosol pour obtenir le paiement de ce qu’elles estimaient être leur dû. La société de Denis Dumont a quant à elle contesté en justice les modalités de calcul de l’expert, sans succès. Le conflit a même débordé sur le fonctionnement de Grand Frais en île de France. D’ordinaire invité à gérer le rayon boucherie dans la région, Novoviande s’est ainsi vu interdire en 2022 la création d’espaces - pourtant déjà programmés - dans les magasins de Sainte-Geneviève-des-Bois, Cormeilles-en-Parisis, Gonesse, Mennecy et Esbly. Les avances de fonds versées pour démarrer les travaux (1,2 million d’euros) ont même été remboursées par Grand Frais.
Après trois ans de différend, les deux clans ont donc fini par se mettre d’accord. Dans le communiqué publié ce 2 juillet, Prosol précise que les parties « ont signé ce jour une promesse d’acquisition et de cession », dont la réalisation est prévue « à l’automne 2024 ». Novoviande compte, en plus de ses boucheries, une activité de grossiste à Rungis, ainsi qu’une plateforme logistique. Le montant de l’opération s’effectue pour un montant non divulgué, mais selon nos informations, celui-ci serait 25 % en dessous des toutes premières estimations et avoisinerait 200 millions d’euros. Un montant à mettre en rapport avec un chiffre d’affaires des boucheries Novoviande d’environ 202 millions d’euros en 2023.
Ce deal intervient alors qu’une réorganisation pointe le bout de son nez chez Grand Frais. La semaine dernière, l’Informé révélait la mise en vente des boucheries Despi, l’autre acteur historique de la viande. Un dossier qui aiguise déjà les appétits de Prosol et Euro Ethnic Foods, tous deux désireux de peser encore plus dans le GIE et d’en simplifier l’organisation. Contactés par l’Informé, Prosol et Novoviande n’ont pas répondu à nos sollicitations.
La belle affaire pour la famille Bissonnet
Associé aux côtés des Gillet, fondateurs de Novoviande, le clan Bissonnet a bien défendu son bifteck face à Prosol. La cession actée ce jour devrait lui permettre de faire fructifier très sérieusement son investissement initial. À la tête des Boucheries Nivernaises, cette famille d’artisans depuis six générations, qui fournit l’Élysée depuis plusieurs décennies, est entrée dans le capital de Novoviande à hauteur de 45% en 2008, pour la somme de 4 millions d’euros seulement.