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Continuer la lectureLidl, Picard, Intermarché… Les 1001 business de Thierry Marx brouillent son image
Les multiples ménages du patron du syndicat des restaurateurs suscitent des critiques au sein de la profession. Mais ils rapportent…

Blouse sur le dos, couteau à la main, Thierry Marx s’active devant la caméra. Pour les 50 ans de l’enseigne Picard, le chef étoilé a accepté de réaliser des vidéos d’idées recettes concoctées à partir des produits du distributeur. Au menu ? Sardines grillées sur toasts de purée de poivrons et menthe fraîche ou velouté express de champignons de Paris et son œuf poché. En ouvrant ses sachets d’ingrédients surgelés, le cuistot ne tarit pas d’éloges : les sardines sont « un bonheur à travailler », le champignon « exceptionnel »…« Toute la magie de ces produits c’est qu’ils ont été ramassés, pêchés au bon moment », s’extasie l’artiste.
Chez les restaurateurs, cette opération promo n’a pas franchement été au goût de tous. Au sein de l’UMIH, le syndicat de la profession présidé par Thierry Marx, certains ont même beaucoup de mal à avaler cette collaboration avec une enseigne dont l’offre concurrence parfois leur activité. « Se vendre pour une marque qui vend des plats surgelés et de l’agneau de Nouvelle-Zélande c’est vraiment gênant », grince une source de l’UMIH. Il faut dire que ce n’est pas la première fois que le chef met son image au service d’annonceurs plus ou moins fréquentables aux yeux des amateurs de bonne chère. Plats cuisinés, compléments alimentaires… Au wagon bar des TGV ou en grande surface, on le retrouve associé à une flopée de références. « Bientôt ce sera la honte de notre profession », tacle durement un célèbre étoilé.
Dans le détail, Marx collabore d’abord avec Lidl, dont il parraine une batterie de couteaux, faitouts et autres mousseurs fabriqués en Chine, « Masterpro ». Pour les Mousquetaires, le chef a apposé son nom sur une gamme de plats cuisinés, joliment baptisée Ma cuisine des bords de Marne. Un projet qui repose sur une structure 100 % détenue par Intermarché et ses affiliés, avec Thierry Marx au conseil de surveillance : elle a installé une cuisine centrale près d’un énorme Drive du distributeur. Les salariés n’auraient néanmoins pas vu le chef depuis 2023 et l’aventure a tourné court : selon nos informations, ils viennent tous d’être remerciés, la structure est en train d’être liquidée. « Quand je vois Thierry Marx défendre l’honneur en cuisine, et les salaires minimaux de ce projet auquel il participait, je trouve que c’est abusé », témoigne l’un d’eux.
Depuis deux ans, le cuisinier substante aussi les voyageurs des TGV Inouï avec un menu à 15,90 euros, composé de coquillettes au jambon ou de boulettes végétales de NxtFood, une aventure agroalimentaire financée par la famille Mulliez. La promesse ? 32 % des produits sont « bio ou Haute Valeur Environnementale », assure la SNCF. Ces deux labels n’ont pourtant rien à voir : très laxiste, le HVE peut s’appliquer à la quasi-totalité de l’agriculture française – contrairement au bio. Plus tôt, le chef a aussi participé à des opérations pour Badoit (groupe Danone), Nespresso, Finish (en équipe avec sa femme Mathilde de l’Ecotais)… Sans oublier Feed, le spécialiste des substituts de repas ou Bab’In, la marque de croquettes pour chiens. Mais il est allé plus loin l’automne dernier, en faisant aussi signer à l’UMIH un partenariat avec un groupe industriel, Tereos, pour ses protéines végétales Ensemble. « Le problème de toutes ces aventures c’est qu’elles rendent son positionnement illisible », observe Franck Pinay-Rabaroust, fondateur du média Bouillantes.com.
Mais elles rapportent ! Pour facturer ces prestations, le cuisinier a créé une société de conseil, TM4. Une boutique qui tourne : elle déclarait un chiffre d’affaires de plus de 1,5 million d’euros lors de la dernière publication des comptes (2020) et gratifiait son président d’une rémunération de 200 000 euros, en plus d’investir dans ses autres business. « Son salaire de l’UMIH ne doit pas lui suffire », souffle un ancien partenaire d’affaires. Moins présent au sein du syndicat que son prédécesseur qui passait quatre jours par semaine dans les bureaux, Thierry Marx y reçoit une rémunération inférieure à lui... de 5 500 euros bruts tout de même (sans compter les remboursements de frais). « C’est peut-être aussi la peur de manquer », avance un proche. Mais pour Laurent Duc, candidat malheureux à la présidence de l’UMIH en 2022, cet appétit pour les partenariats, quelles qu’en soient les raisons, sert mal la profession : « Thierry Marx est un chef talentueux, mais il est à la tête d’une boîte de com’, pas d’un business dans la restauration », souffle l’hôtelier qui n’a pas très bien vécu de voir son rival prendre la tête d’un syndicat dont il ne faisait même pas partie jusque-là.
Des business, le chef en a bien lancés… Mais pas toujours avec succès. Ainsi selon nos informations, Marx Bakery, le réseau de boulangeries de qualité inauguré en 2016, a mis la clé sous la porte. « L’épidémie n’a pas aidé ; on proposait surtout une offre pour le déjeuner, et la demande s’est effondrée pendant deux ans », raconte Laurent Plantier, ancien partenaire d’Alain Ducasse, aujourd’hui dirigeant de Frenchfood Capital, le fonds d’investissement qui a financé le projet. Le groupe a remercié le cuisinier fin 2022. « Après une période difficile du fait de la crise Covid et compte tenu de nos fortes ambitions de développement, le réseau avait besoin d’un président présent à 100 % dans l’entreprise. Ceci n’était pas compatible avec la prise de fonction de Thierry Marx au sein de l’Umih », assure le financier qui se trouve aussi être le beau-frère du chef : les deux hommes ont épousé deux sœurs. Aujourd’hui, l’affaire est désormais close, le fonds n’a plus qu’une dernière boutique à vendre. Idem pour le projet Marxito : initiée en 2017, l’enseigne de street food inspirée de la cuisine japonaise proposait des galettes de sarrasin garnies. Elle a fermé.
Mais Marx s’est déjà trouvé une nouvelle aventure : Onor. Récemment remercié du Mandarin Oriental, il s’est entouré de partenaires pour lancer ce tout nouveau restaurant. Avec eux, il a racheté les murs de l’ancienne brasserie La Marée, institution du 8e arrondissement, pour 5 millions d’euros et lourdement investi dans sa rénovation, notamment dans les décors imaginés par sa femme. Onor défend l’insertion en faisant travailler quatre personnes issues de son école de restauration Cuisines Modes d’Emploi, mais aussi l’environnement en ayant recours au label Bleu-Blanc-Coeur. Le soutien d’un chef étoilé à ce label peut toutefois étonner. Créé à l’origine par le groupe Valorex, spécialiste de l’alimentation animale, il se retrouve sur tous les produits de l’agriculture intensive bretonne, des œufs aux pâtés Hénaff (voir encadré).
Reste, enfin, un dernier projet, prestigieux. Pour la branche haut de gamme de Sodexo, Thierry Marx gère Madame Brasserie, un restaurant installé au 1er étage de la Tour Eiffel, avec des plats simples et une approche qui se veut écoresponsable. Mais là encore, les paradoxes ne manquent pas. Au mur, une tapisserie inspirée du climatologue Ed Hawkins représente la hausse des températures depuis la construction de la Tour Eiffel. Au menu, le bœuf, le plus climaticide des aliments, est en vedette en mode bourguignon…
Contacté par l’Informé, Thierry Marx n’a pas souhaité répondre directement.
Le Label Bleu-Blanc-Coeur, ou comment vendre l’agrobusiness breton
Prenez un mélange de gras et de maigre de porc broyé avec de la fécule de pommes de terre, trop de sel et pas mal d’additifs comme du nitrite de sodium, un fixateur de couleur réputé cancérigène, et du diphosphate selon les données d’OpenFoodFacts. Avec 27 % de matières grasses, dont 10 % de graisses saturées, cette recette en conserve récolte la pire note du Nutri-Score, soit E. La petite boîte rose de pâté de jambon Hénaff, fabriquée à Pouldreuzic en Bretagne est néanmoins estampillée « Bleu-Blanc-Coeur » – un label parrainé de longue date par Thierry Marx et désormais proche de l’UMIH : en novembre 2023, à Angers, l’association tenait un stand au dernier congrès du syndicat. Pourquoi le pâté Hénaff affiche-t-il ce logo ? Parce que ses porcs d’élevage intensif ont mangé, durant leur courte existence (6 mois), des granulés incluant un peu de farine de lin – du moins selon les déclarations des agriculteurs adhérents au label, en l’absence de contrôle. Ce qui fait que leur matière grasse est un tout petit peu moins riche en graisses saturées, celles qui se collent sur les artères, que s’ils avaient seulement mangé du maïs : les bons acides gras, les oméga 3 passent de 1,39 % à 3,81 % de la matière grasse totale selon une étude menée par l’Institut du Porc en 2014… contre 25 % pour la matière grasse de poisson par exemple. Reste qu’un pâté réalisé avec beaucoup de gras de porc restera à la fois gras et peu recommandé.
Sous le même label, on retrouve aussi du foie de morue Petit Navire, ou les produits de l’énorme coopérative Terrena, bref le gratin de l’agrobusiness en version bretonne. « Les animaux qu’ils élèvent en stabulation n’auraient aucun problème d’oméga 3 s’ils avaient accès à un pré », regrette cependant un chef membre de l’UMIH, qui vilipende « l’élevage industriel et hors-sol et les produits chimiques des produits Bleu-Blanc-Coeur ». Une position visiblement partagée par l’Ademe : l’agence de l’environnement n’identifie aucune vertu dans ce logo qu’elle refuse de reconnaître depuis 20 ans.