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Continuer la lectureHarcèlement sexuel, fraude… une information judiciaire ouverte contre le président de la Chambre nationale des huissiers
Benoit Santoire, le président de la Chambre nationale des commissaires de justice, fait l’objet d’une enquête pour des faits de harcèlement sexuel et de fraude dans ses sociétés à Verdun.

Le président de la Chambre nationale des commissaires de justice (CNCJ) est rattrapé par la gestion passée de son office à Verdun (55). Selon nos informations, une information judiciaire a été ouverte par le parquet de la ville pour des faits de harcèlement sexuel et de fraude à l’encontre de Benoît Santoire, qui nie les faits et reste aujourd’hui présumé innocent. Cette action judiciaire a été déclenchée par un signalement adressé par courrier électronique en avril 2022 au président de la CNCJ d’alors, Patrick Sannino, lequel est par ailleurs visé par une enquête préliminaire pour « prise illégale d’intérêts », avait révélé Le Monde en 2020. Le signalement visant Benoît Santoire ferait état de faits antérieurs à 2022 survenus dans son office d’huissier à Verdun et dans ses différentes entreprises, la société de recouvrement de créances AngleDroit et l’agence immobilière AngleDroit Immo. Selon plusieurs sources interrogées par l’Informé, cet e-mail serait anonyme. Visant en particulier Benoit Santoire, il rapporterait plusieurs cas de harcèlement sexuel se déroulant sur plusieurs années envers d’anciens salariés.
À l’époque de ce mail anonyme, Benoît Santoire occupait déjà une position éminente au sein de l’ordre puisqu’il était délégué pour le ressort de la cour d’appel de Nancy et vice-président de la section professionnelle huissiers de justice. Surtout, il était déjà en campagne pour prendre la présidence de ce nouvel ordre professionnel, réunissant depuis bientôt deux ans les huissiers de justice et les commissaires-priseurs judiciaires. Il a été élu le 24 juin 2022. Quels que soient les différends avec son successeur, Patrick Sannino s’est retrouvé dans l’obligation de transmettre la missive à la justice. Car, en tant qu’officier public, les huissiers sont, comme les fonctionnaires, soumis à l’article 40 du code de procédure pénale. Quand, « dans l’exercice de leurs fonctions, [ils acquièrent] la connaissance d’un crime ou d’un délit [ils sont tenus] d’en donner avis sans délai au procureur de la République », selon la loi.
Suite à la transmission du signalement au parquet de Verdun, ce dernier a saisi la Direction territoriale de la police judiciaire de Nancy pour mener de premières auditions. Des anciens salariés apparaissant comme victimes ou témoins de harcèlement dans le courrier ont effectivement été entendues à l’été 2022 dans le cadre d’une enquête préliminaire. Mais aucune n’aurait choisi de porter plainte jusqu’ici. D’ailleurs, selon nos informations, au moins une transaction financière a été effectuée en 2021 avec un ancien salarié affirmant avoir été victime de harcèlement sexuel de la part de Benoît Santoire, au moment de son départ de l’entreprise, afin d’éviter le dépôt d’une plainte.
Mais l’enquête préliminaire s’est aussi penchée sur d’autres éléments. Car Benoît Santoire, à qui Patrick Sannino avait transmis le signalement, a porté plainte pour dénonciation calomnieuse auprès du procureur de la République de Verdun en mai 2022. Il aurait ajouté à sa plainte des posts Facebook d’un compte anonyme, jugés diffamatoires à son encontre et supprimés depuis. Les enquêteurs de Nancy ont aussi mené des investigations poussées pour identifier l’auteur de ces messages sur le réseau social.
C’est près d’un an plus tard, selon nos informations, que le parquet de Verdun a décidé d’ouvrir une information judiciaire. Un juge d’instruction a été saisi au printemps 2023 des deux volets de l’affaire : les soupçons de harcèlement sexuel à l’encontre d’anciens salariés, et la dénonciation calomnieuse. L’Informé peut confirmer que des investigations ont aussi été menées sur de nouveaux faits relevant cette fois de fraude dans la gestion des flux financiers des entreprises de Benoît Santoire. L’Informé a révélé en décembre dernier qu’il aurait continué à faire travailler, lors du premier confinement de 2020, les salariés de ses entreprises à Verdun tout en bénéficiant d’indemnités de chômage partiel attribuées par l’État.
Interrogé par l’Informé, Benoît Santoire répond : « Je garde mes éléments de défense pour l’hypothèse dans laquelle je serai convoqué pour en répondre, dans le cadre prévu par la loi. Je peux simplement vous dire que les accusations à mon encontre sont fausses. » Il ajoute : « J’ai déjà déposé plainte en dénonciation calomnieuse le 25 mai 2022 et je n’hésiterai pas poursuivre toute action judiciaire propre à faire cesser ces allégations calomnieuses et diffamatoires ».
Aujourd’hui, dix-huit mois après les premières auditions de témoins, l’enquête n’a pas vraiment progressé sur les berges de la Meuse. Il y a bien eu des investigations mais aucun autre interrogatoire n’a été mené. En particulier, Benoît Santoire n’a jamais été entendu dans cette affaire, ni dans le cadre de l’enquête préliminaire ni par le juge d’instruction. « L’affaire n’est pas arrêtée, dément une source judiciaire. L’enquête est active aujourd’hui ». « Il y a des difficultés procédurales parce qu’il est délicat d’instruire sur une affaire de ce type au niveau local. Benoît Santoire est un partenaire habituel du monde judiciaire, en particulier à Verdun. C’est pour cette raison que cela prend du temps », précise une source au fait du dossier. D’ailleurs, les chefs d’accusation contre le président de la Chambre nationale concernant les soupçons de fraude (fiscale, sociale ou des détournements de fonds…) ne sont pas aujourd’hui pleinement caractérisés, a-t-on appris.

À tel point que le parquet de Verdun étudie aujourd’hui la possibilité de dépayser l’affaire, selon nos informations. Ce qui pourrait la relancer. « Compte tenu de la nature de la personne mise en cause [un huissier de justice de la ville et, par ailleurs, président au niveau national d’un ordre professionnel dont les membres bénéficient d’un monopole dans l’exécution des décisions de justice], il y a des difficultés pour un tribunal d’un petit ressort comme celui de Verdun à mener une enquête », analyse une source locale. Pour autant la procédure de dépaysement de l’instruction dans une autre juridiction est rare et compliquée, nécessitant la saisine par le parquet de la Cour de cassation. « L’autre option possible en droit serait la collégialité de l’instruction, où plusieurs juges siègent et délibèrent ensemble, ajoute un expert judiciaire. C’est plus simple que de dessaisir et cela garantit l’indépendance de la décision. » Dans le cas présent, la question n’est pas encore tranchée.
Sollicité par l’Informé, le parquet de Verdun n’a pas souhaité commenter nos informations.