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Continuer la lectureL’affaire de harcèlement moral qui continue d’éclabousser Gérard Larcher
Alors que la cour d’appel de Paris vient d’alourdir la condamnation de l’ex-sénatrice LR Joëlle Garriaud-Maylam pour avoir harcelé un collaborateur parlementaire, la justice instruit une plainte de ce dernier dans laquelle il accuse le président du Sénat d’inertie.

C’est une affaire que le président du Sénat aurait préféré oublier, mais la justice vient de remettre une pièce dans la machine. En effet, la cour d’appel a condamné le 10 juillet l’ex-sénatrice LR Joëlle Garriaud-Maylam pour harcèlement moral contre un collaborateur parlementaire. L’arrêt confirme donc la décision des prud’hommes, et alourdit même la sanction, en faisant monter les dommages et intérêts à 10 000 euros au lieu de 3 500 euros. Depuis le début, cette affaire apparaît comme un caillou dans la chaussure de Gérard Larcher, élu sous l’étiquette LR comme Garriaud-Maylam. L’ex-assistant, Jean-Louis Gibault, l’accuse d’avoir voulu « étouffer » les faits. Avant même les prud’hommes, l’homme d’État était visé dans une plainte avec constitution de partie civile contre X pour « non-dénonciation d’un délit » et « prise de mesures destinées à faire échec à la loi ». Selon nos informations, une instruction est en cours, et le plaignant a déjà été entendu par le juge chargé du dossier. Dans le cadre de ces investigations, différentes plaintes ont été jointes, dont celle que Jean-Louis Gibault a déposée au pénal contre son ex-patronne pour harcèlement moral et celle de Joëlle Garriaud-Maylam contre lui pour dénonciation calomnieuse.
De plus, toujours selon nos informations, l’avocate de l’ex-collaborateur, Me Carole Biot-Stuart a adressé un courrier courroucé à Gérard Larcher, également envoyé à l’ensemble des sénateurs, pour l’informer de la décision et lui reprocher son inertie dans cette affaire. « À ce jour et à ma connaissance, vous n’avez en tant qu’autorité constituée, jamais transmis de signalement au Procureur de la République en application de l’article 40 du code de procédure pénale alors que le harcèlement constitue un délit (...) lequel n’est pas encore prescrit, écrit-elle. Comptez-vous enfin saisir le Parquet de ce délit et cesser de vous positionner au-dessus de la loi ou démissionner de vos fonctions afin de permettre à votre successeur de respecter les lois de la République ? ». L’avocate assure à l’Informé qu’elle attend toujours une réponse. Interrogé sur ce point, et sur l’ensemble de l’affaire, le service de presse du Sénat n’a pas souhaité faire de commentaire « à ce stade », expliquant qu’une procédure est en cours.
« Même un gamin de 15 ans ferait mieux »
Dans le détail, Jean-Louis Gibault reproche au président de l’institution de ne pas avoir signalé les faits à la justice, comme les élus sont notamment tenus de le faire lorsqu’ils sont confrontés à une infraction. Dès janvier 2020, un signalement avait été transmis à Gérard Larcher sur la situation du plaignant, qui était en arrêt-maladie depuis août 2019. Les faits reconnus par la cour d’appel sont accablants : le collaborateur subissait en effet des ordres et contre-ordres, des dénigrements voire des insultes de la part de la sénatrice LR, qui remettait sans cesse en cause son travail et ses compétences. De multiples mails, SMS et messages WhatsApp attestent de propos irrespectueux et du mépris de l’élue : « C’est vraiment désespérant et nullissime (...) Même un gamin de 15 ans ferait mieux !!! », « J’ai franchement honte pour vous », « Je me demande vraiment à quoi mes collaborateurs passent leurs journées !!! » ou « Tu me donnes souvent l’impression que tu n’as jamais travaillé un seul jour de ta vie ». En outre, Joëlle Garriaud-Maylam n’hésitait pas à contacter son assistant durant ses congés, puis son arrêt de travail, allant jusqu’à mettre en doute avec irrespect la réalité de sa maladie. Elle a même engagé par deux fois une procédure de licenciement contre le salarié, sans finalement y donner suite.
La cour d’appel a sanctionné ce qu’elle considère comme des « pratiques managériales génératrices d’humiliation, d’anxiété et de perte de confiance », qui en plus d’une « pression constante » mise sur l’intéressé, ont abouti à un épuisement au travail et même un état dépressif, reconnu comme maladie professionnelle par la sécurité sociale. Un revers pour le bureau du Sénat, qui, dans une décision du 25 mars 2021 prise suite au signalement de Jean-Louis Gibault, avait considéré que le harcèlement moral n’était pas établi, même s’il reconnaissait l’emploi de « formules acerbes voire dégradantes ». Estimant toutefois que le comportement de la sénatrice « n’avait pas été conforme à ses obligations d’employeur », l’institution avait décidé que Joëlle Garriaud-Maylam devait s’engager, pour au moins un an, dans une « démarche d’accompagnement individualisé et régulier (...) en vue de mieux exercer ses fonctions d’employeur à l’égard de ses collaborateurs parlementaires ».
Le cas Jean-Louis Gibault n’est en effet pas isolé. Dès 2016, la secrétaire générale du syndicat UNSA-USCP (Union syndicale des collaborateurs parlementaires) avait écrit à Gérard Larcher pour l’alerter sur l’attitude de Joëlle Garriaud-Maylam suite au malaise d’une collaboratrice survenu sur son lieu de travail. Elle avait fait état d’une « répétition de circonstances similaires et la souffrance au travail des précédents collaborateurs se succédant au service de cet employeur », et expliquait avoir assisté « certains de ses nombreux collaborateurs successifs pour des difficultés récurrentes de management ». Elle se disait dans cette lettre « très inquiète » face à ces « graves dysfonctionnements », allant jusqu’à redouter qu’ils se « traduisent un jour par le suicide d’un salarié sur son lieu de travail ou à son domicile pour des raisons professionnelles ». La cour d’appel a repris ce courrier dans sa décision.
Le statut de collaborateur parlementaire en débat
Mais même après cette missive, la sénatrice avait été investie à nouveau par son parti, Les Républicains, en 2017. Et il lui a même été confié par son groupe, en 2021, une mission d’information sur le harcèlement scolaire… Avant d’être promue aux fonctions de présidente de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN jusqu’en 2024. Depuis, le Sénat a été secoué par d’autres affaires, et a fait évoluer sa procédure anti-harcèlement, « qui a été entièrement réformée en 2024, en raison des dysfonctionnements révélés », peut-on lire sur un des sites de l’institution, qui fait aussi état d’un renforcement des sanctions.
Mais au-delà de son cas particulier, le plaignant semble bien décidé à faire encore plus bouger les lignes. Selon nos informations, il a déposé deux questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) sur les contours du statut d’assistant parlementaire. En effet, il voudrait faire reconnaître le statut de « coemployeur » du Sénat, et estime que l’institution aurait dû tenter de le reclasser à la fin du mandat de Joëlle Garriaud-Maylam, et donc de son contrat de collaborateur, considéré comme un contrat de droit privé. C’est ce qu’il avait sollicité dans un courrier adressé en octobre 2023 à Gérard Larcher, sans succès. Jean-Louis Gibault considère donc que c’est une rupture d’égalité vis-à-vis des autres salariés du privé, protégés par l’obligation qu’ont leurs employeurs, en cas de licenciement économique, de faire tous les efforts possibles pour les reclasser. Il y aurait aussi, selon lui, une différence de traitement inconstitutionnelle entre les assistants parlementaires, embauchés via un contrat privé donc, et les administrateurs du Sénat, qui après un concours ont un contrat de droit public, alors qu’ils ont pourtant sensiblement les mêmes missions.
Contactés, ni Gérard Larcher (via le service de presse du Sénat), ni Joëlle Garriaud-Maylam, ni son avocat, n’ont répondu à nos sollicitations.