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Continuer la lectureLe plan du fret de la SNCF pour attirer un investisseur
Dans le cadre du démantèlement de Fret SNCF, Bruxelles exige l’ouverture du capital de Rail Logistics Europe, la filiale de transport de marchandises de la SNCF. Mais sa faible rentabilité pourrait décourager les candidats privés.

Prendre un nouveau départ. C’est l’objectif du groupe SNCF pour sa filiale fret. En 2024, une négociation serrée entre la Commission européenne et le gouvernement, à propos de 5,1 milliards d’euros d’aides accordées par le groupe ferroviaire public à sa branche entre 2005 et 2019, a débouché sur l’abandon à la concurrence de 23 flux de « trains complets », soit 30 % de son chiffre d’affaires. Passé « la violence du choc » ressenti en interne, Hexafret, la nouvelle dénomination de Fret SNCF, entend « repartir de l’avant ». Si cette « discontinuité » a été une sérieuse épreuve pour l’entreprise, elle lui a tout de même permis de se désendetter de 5 milliards. « On repart avec une bouffée d’oxygène qu’on n’a jamais eue », reconnaît un dirigeant.
Délivrée de ce poids, l’entreprise peut s’appuyer sur des actifs valant plus de 600 millions d’euros net et un niveau de trésorerie qu’elle juge suffisant. L’impératif pour elle est de maintenir un résultat d’exploitation positif, atteint depuis 2021, pour attirer un nouvel investisseur. C’était une autre mesure imposée par le plan de discontinuité âprement négocié l’an dernier : ouvrir le capital du fret français d’ici la fin de l’année à un tiers. Pour Bruxelles, c’est le meilleur moyen de s’assurer que l’entreprise n’accumulera pas les déficits comme par le passé.

La première étape pour faire venir un partenaire financier a dores et déjà été passée : la maison-mère de l’ex-Fret SNCF, Rail Logistics Europe (RLE), n’est plus une marque ombrelle du fret au sein de la SNCF mais un véritable groupe intégré. Le changement est effectif depuis le 6 décembre dernier. Le groupe comporte six filiales (Hexafret, Technis sur la maintenance des locomotives, le transporteur européen Captrain, le commissionnaire de transport Forwardis, l’opérateur de conteneurs Naviland Cargo et les autoroutes ferroviaires Viia. C’est au niveau de la holding RLE, deuxième opérateur de fret en Europe (avec 9 % de part de marché, derrière l’autrichien Rail Cargo Group), que sera effectuée l’ouverture du capital.
Si la participation mise en jeu restera minoritaire, elle offrira un co-contrôle de l’entreprise avec une place accordée au sein de la gouvernance, aujourd’hui totalement à la main de la SNCF. « Tout est ouvert, assure aujourd’hui un dirigeant. Notre futur partenaire financier peut être un fonds d’infrastructure, un fonds souverain,un véhicule public français d’investissement ou un industriel de la logistique et du transport commercial. La seule condition est qu’il endosse la stratégie de la SNCF et de son actionnaire, l’Agence des participations de l’État, en faveur du développement du fret ferroviaire et du wagon isolé, où Hexafret est de loin le leader du marché. Il n’y aura pas de ‘cherry picking’ sur les secteurs les plus rentables. »
« Qui à part la Caisse des dépôts pourrait être intéressé ?, s’interroge, plus sceptique, un administrateur. Les investisseurs privés exigent des niveaux de rendement élevés. Là, ils n’ont pas assez de recul pour savoir si l’entreprise, désormais recentrée sur le wagon isolé, pourra dégager des profits dans les années à venir... » Si elle a une position de leader sur le marché français, l’ex-Fret SNCF ne dégagerait toujours pas les marges nettes significatives pour intéresser des fonds d’investissement. « Les derniers bilans sont juste à l’équilibre », confie un représentant syndical. Deux décisions politiques devraient toutefois faciliter l’équation. Bruxelles, d’abord, a autorisé que la SNCF prenne en charge le surcoût des retraites lié au statut des cheminots de Fret SNCF. Et, tout récemment, l’adoption du Projet de loi de finances pour 2025 a confirmé l’augmentation de l’aide au wagon isolé de 30 millions d’euros, pour passer à 200 millions. « Cette subvention est nécessaire à l’équilibre des finances de Hexafret, rappelle un syndicaliste. Il reste une incertitude sur son renouvellement l’année prochaine. »
Mais convaincre un investisseur privé, susceptible de mieux valoriser son entrée au capital qu’un organisme public, reste un défi. La holding RLE, présidée par Frédéric Delorme, met en place un business plan offensif : elle vise 2,4 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2030, contre 1,7 milliard en 2023 pour un Ebitda de 128 millions. Elle pourra aussi mettre en avant une croissance de 8 % de ses activités l’année dernière (avec un chiffre d’affaires atteignant 1,85 milliard d’euros). Pour 2025 et 2026, elle anticipe un marché plus compliqué, plombé par un probable recul de l’activité industrielle en France. L’impact sur la rentabilité du groupe sera particulièrement observé. D’ici 2030, RLE attend sur un rebond en jouant en particulier sur des synergies : la création d’offres communes à plusieurs de ses filiales va être lancée.
Hexafret va aussi être plus offensif pour capter de nouveaux clients industriels et conquérir des marchés jusqu’ici laissés en friche (carburants issus d’énergies renouvelables). Une offre a aussi été lancée en direction des transporteurs routiers pour séduire des industries non branchées au rail : en 18 mois, sept transporteurs sont devenus clients. Ces efforts peuvent s’appuyer sur un rebond de la qualité de service : selon des données internes, la part des trains arrivés à l’heure (appelé taux de réalisation dans le jargon) a progressé de 10 points pour atteindre 97 % en 2024.
En interne, de nouveaux accords doivent être négociés d’ici 18 mois avec les syndicats maison. Un volet « 35 heures » très attendu dans l’entreprise doit aussi permettre de donner plus d’agilité à Hexafret. « Les règles vont pouvoir s’adapter au temps de travail particulier du fret, avec plus de souplesse dans les emplois du temps, plus de polyvalence dans les travaux réalisés, prévoit la direction. L’objectif est que les cheminots s’y retrouvent en termes de rémunération. » Les élections des représentants du personnel d’Hexafret, en mars, seront déterminantes. Le serrage des coûts ne sera pas oublié : les achats et les services informatiques des filiales de RLE vont faire l’objet à l’avenir d’un pilotage commun. Sur les deux prochaines années, la direction table sur une réduction de 5 % des coûts de structure.