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Continuer la lectureLes mésaventures d’Havas en Arabie saoudite
Alors que l’agence de communication de Vincent Bolloré prépare son introduction en Bourse, elle vient de perdre un important contrat à Riyad. L’Informé dévoile les montants en jeu.

Dans le groupe Bolloré, on n’a pas de problème avec les régimes autoritaires pratiquant un islam rigoriste. En tout cas, pas chez Havas. Depuis une dizaine d’années, l’agence de com multiplie les prestations auprès du régime saoudien de Mohammed ben Salmane (cf. ci-dessous). Coûte que coûte : en 2018, l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi, tué puis démembré à l’intérieur du consulat du royaume à Istanbul « n’a pas remis en cause notre contrat avec l’Arabie saoudite, assurait alors le vice-président Stéphane Fouks. La politique de la chaise vide n’a jamais été la nôtre. Nous préférons être du côté des réformateurs et faire des choses utiles ». Seulement voilà, malgré son dévouement, la filiale de Vivendi vient d’y perdre son meilleur contrat : l’organisation du festival Noor à Riyad, qui regroupe des œuvres « son et lumière » (show laser, show de drones…) d’artistes contemporains. Lancé en 2021, l’événement est capable d’attirer 2 millions de visiteurs. Havas a géré les éditions 2022 et 2023, avant de perdre ce marché pour l’édition 2024, confiée au chinois Pico. « Ce contrat était le plus gros contrat d’Havas Paris/Havas Events dans le pays ces années-là », explique à l’Informé le PDG d’Havas Paris Julien Carette. Selon nos informations, il a rapporté 128 millions d’euros de chiffre d’affaires en deux ans. Soit environ un quart des revenus du groupe Havas dans la zone Asie, Pacifique et Afrique.
Cette perte est d’autant plus regrettable que l’agence de com a investi de gros moyens. « Le contrat a été déficitaire sur la première édition, nous considérons que cela fait partie de la courbe d’apprentissage, explique le patron d’Havas Paris. Sur la seconde édition, il devrait être globalement bénéficiaire. » À fin 2023, l’opération avait généré 15 millions d’euros de pertes mais cette addition n’est pas encore définitive, car des paiements ont encore été encaissés au cours de l’exercice 2024.
Ce dossier a aussi valu au groupe quelques complications. En janvier, la Lettre révélait que 20 millions d’euros de factures présentées pour des prestations complémentaires avaient été rejetés par la Royal commission for Riyad city, organisateur de l’évènement, conduisant au limogeage du directeur général d’Havas Events, Édouard Auger (formellement, il a démissionné début 2023). Interrogée, l’agence confirme des « ajustements, annulations, ajouts ou modifications, qui sont communes dans ce type de procédures de marché ». Mais elle dément le montant de 20 millions d’euros, les chiffrant plutôt à « 6 à 7 % du budget », ce qui ferait environ 4 millions d’euros par édition.
Autre problème : contrairement à la plupart des contrats du groupe de communication en Arabie saoudite, ce marché-là imposait une facturation locale. Havas Paris a donc ouvert en 2022 sur place un « établissement stable », c’est-à-dire une sorte de succursale. « Les conditions posées correspondent au modèle d’Havas Events, qui est de développer une filière locale, avec des recrutements locaux », souligne Julien Carette. Toutefois, « la toute première facture (sur 18 factures au total) a dû être exceptionnellement établie et payée au siège d’Havas à Paris pour cause de démarrage très rapide ». Suite à cela, Havas Paris a préféré passer en 2022 une provision pour « risque fiscal » de 4,9 millions d’euros, maintenue en 2023, selon nos informations. L’agence souligne qu’ « il s’agit d’une pure provision de prudence sur l’interprétation que pourraient avoir les services fiscaux du Royaume saoudien sur le transfert de charges entre le siège de l’agence à Paris et l’établissement de Riyad. Mais il n’y a ni contrôle fiscal des autorités saoudiennes, ni redressement fiscal. Et cette provision n’a pas impacté le calcul et le paiement de l’impôt sur les sociétés par l’agence en France, via une réintégration fiscale ».

Ces mésaventures au pays de l’or noir tombent au plus mauvais moment. Car Havas va bientôt revenir en Bourse, suite à la scission en quatre de son propriétaire Vivendi. L’agence, qui était cotée à Paris jusqu’en 2017, devrait s’introduire l’année prochaine à Amsterdam, et afin de préparer au mieux cette opération, il est important de présenter les meilleurs résultats possibles dès cette année. Sur le premier semestre, Havas a enregistré une hausse de 0,3 % à 1,3 milliard d’euros de revenu net dont 120 millions en Asie-Pacifique-Afrique. Le résultat opérationnel ajusté était en très légère progression de 0,1 % à 125 millions d’euros.
Contacté, Édouard Auger n’a pas répondu.
Les contrats d’Havas avec l’Arabie saoudite
- Contrat avec la fondation MiSK du prince héritier Mohammed ben Salmane conclu en 2015 : événements pour promouvoir la jeunesse saoudienne et le programme Vision 2030
- Développement du site touristique d’Al Ula :
-festival culturel « Winter at Tantora » lancé en 2018
-organisation d’un dîner avec des chefs étoilés en 2019.
-organisation d’une réception pour célébrer la signature d’un partenariat avec l’Unesco
-exposition « A pop up oasis » à l’Institut du monde arabe (IMA) de Paris en 2019 - Création en 2021 d’un prix scientifique conjoint entre l’Unesco et l’homme d’affaires saoudien Abdullah Al Fozan
- Feu d’artifice en 2023 pour célébrer l’octroi à Riyad de l’exposition universelle de 2030. « La Commission Royale de la Ville de Riyad a fait appel à Havas Events pour concevoir le spectacle » qui a été « créé, préparé et produit en 2 mois », indique Havas.
- Exposition « Trésors d’Arabie » à l’automne 2023 au pavillon Vendôme à Paris. Havas Events dit avoir « accompagné le ministère de la Culture d’Arabie saoudite et Benchmark pour le développement, la production et l’organisation de l’exposition ».