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Continuer la lectureVivendi : les rémunérations des dirigeants bondissent malgré le fiasco de la scission
Le conglomérat, éclaté fin 2024 en quatre entités cotées, va très généreusement récompenser Yannick Bolloré, Maxime Saada et Arnaud de Puyfontaine.

Les débats promettent d’être électriques. Le 28 avril prochain, dirigeants et actionnaires de Vivendi vont se retrouver pour l’assemblée générale annuelle du groupe. Une première depuis que le géant de la com et du divertissement a été éclaté en quatre sociétés distinctes en décembre dernier : Canal+ cotée à Londres, Havas à Amsterdam, Louis Hachette Group à Paris, et ce qu’il reste de Vivendi à Paris également. Or le premier bilan n’est pas brillant. « Cette scission a été destructrice de valeur pour les actionnaires », résumait récemment le professeur à HEC Pascal Quiry. De fait, en Bourse, les quatre entités additionnées valent nettement moins que l’ancien conglomérat. Pourtant, les patrons du groupe avaient fait miroiter un doublement du cours… À écouter Yannick Bolloré, la valeur du petit empire était deux fois plus élevée que la capitalisation boursière de l’époque, et l’opération allait « permettre de révéler le vrai potentiel des actifs de Vivendi ». Convaincus par ce discours prometteur, les petits porteurs avaient donc plébiscité le projet à plus de 97,5 %… Pour se réveiller aujourd’hui avec la gueule de bois.
Un sujet devrait particulièrement attiser les tensions. Les actionnaires sont appelés à valider des rémunérations records octroyées malgré ce fiasco aux dirigeants. Tout confondu, Yannick Bolloré, à la fois président du conseil de surveillance de Vivendi et patron de Havas, touchera 12,8 millions d’euros, soit 2,5 fois plus que l’année précédente, selon nos informations. Le président du directoire de Vivendi Arnaud de Puyfontaine verra quant à lui ses émoluments bondir de 66 % pour frôler les 7 millions d’euros. Le patron de Canal+ Maxime Saada sera également récompensé avec un doublement de son chèque, à 7,8 millions d’euros. Tous pourront donc empocher autant ou plus que le salaire moyen d’un patron du CAC 40 (7,1 millions d’euros), sans que Vivendi, ni Havas, ni Canal+ ne fassent aujourd’hui partie de ce club des plus grosses capitalisations françaises.
Pour les petits porteurs, la pilule risque d’être d’autant plus difficile à avaler que cette explosion des rémunérations est essentiellement due à la scission, pourtant ratée. D’abord, les dirigeants s’octroient des primes pour avoir conduit cette opération : Arnaud de Puyfontaine aura droit à 3 millions d’euros, et Maxime Saada à 1,6 million, tandis que Havas va verser 1,5 million à Yannick Bolloré pour avoir mené la cotation. Vivendi, visiblement conscient de ce hiatus, a récemment modifié son discours sur le sujet. Dans son dernier rapport annuel, le conglomérat a ajouté a posteriori une nouvelle justification à cette générosité : l’absence d’attribution d’actions gratuites de performance en 2024. Une explication nouvelle qui n’avait pas été avancée un an plus tôt, lorsque ces bonus avaient été annoncés.

Mais s’il n’y a pas eu d’actions gratuites chez Vivendi avant le split, Havas et Canal+ ont en revanche profité de leur cotation séparée pour mettre en place de larges plans de distribution à leurs cadres, à peine quelques jours après les introductions en Bourse (un autre est envisagé chez Louis Hachette Group). Yannick Bolloré s’est ainsi vu attribuer pour 5,6 millions d’euros d’actions, et Maxime Saada pour 2 millions d’euros. Des montants inclus dans leurs rémunérations de cette année.
Les largesses consenties ne s’arrêtent pas là : elles s’étendent aussi aux actions gratuites Vivendi qui avaient déjà été octroyées par le passé. En principe, leur nombre dépendait des performances réalisées, et notamment de l’évolution du cours de l’action par rapport aux progrès du CAC 40 et du Stoxx Europe Media. Problème, le titre Vivendi a sous-performé par rapport à ces deux indices. Dès lors, la condition d’attribution n’était pas remplie, et les membres du directoire devaient donc recevoir seulement 68 % du montant maximal des actions attribuées en 2022. Pourtant, le groupe a finalement décidé d’ignorer les aléas de la Bourse, et d’attribuer tout de même le maximum de titres. Arnaud de Puyfontaine va ainsi empocher 67 671 actions Vivendi, et Maxime Saada 50 740. Dans son document de référence, le groupe avance deux raisons : « la scission soutenue à plus de 97,5 % par les actionnaires, et réalisée en 12 mois, alors que sa réalisation était initialement envisagée pour le deuxième trimestre 2025 », et « l’impact positif du consensus des analystes sur la somme des valeurs des quatre actions ».
Et ce n’est pas fini. Lors de la scission, le nouveau Vivendi, délesté de Canal+, Havas et Louis Hachette Group, a vu son cours divisé par trois… Mais les cadres se verront offrir 7 euros par action gratuite pour compenser cette perte ! En pratique, ce versement interviendra en 2026 au titre des actions gratuites de performance accordées en 2022 et 2023. Arnaud de Puyfontaine va ainsi empocher 935 431 euros, et Maxime Saada 719 565 euros.
Enfin, pour les années à venir, les dirigeants du nouveau Vivendi ont décidé de maintenir leur salaire inchangé. Yannick Bolloré touchera toujours, pour présider le conseil de surveillance, 600 000 euros, plus 60 000 euros de jetons de présence. Arnaud de Puyfontaine conserve son fixe de 2 millions d’euros, auquel s’ajoute un bonus pouvant atteindre le même montant. Le président du directoire voit même l’enveloppe de ses actions gratuites quadrupler : elles pourront désormais atteindre 4 millions d’euros par an, contre un million d’euros jusqu’à présent. Certains auraient pu s’attendre à une diminution des émoluments, puisque le périmètre à gérer est désormais infiniment plus petit. En effet, après scission, l’entité Vivendi détient seulement Gameloft et des participations dans des sociétés cotées. Son chiffre d’affaires a été divisé par 30, pour tomber à 300 millions d’euros. Tout comme son effectif, réduit à 2 673 salariés.
Contactés, Canal+ n’a pas répondu, et Havas a confirmé les rémunérations versées à Yannick Bolloré. Pour sa part, Vivendi a répondu que les primes de scission « ne constituent pas une ‘prime de résultat’, mais une reconnaissance ciblée du rôle déterminant joué par le directoire dans la mise en œuvre d’une opération stratégique inédite, à très fort enjeu pour l’avenir du groupe et ses actionnaires ». Cette prime était soumise à plusieurs conditions : mener à son terme la scission et rester présent dans l’entreprise, mais « n’était associé à aucun objectif de cours de Bourse ». Enfin, « l’ensemble de ces éléments a été validé par le Conseil de surveillance et approuvé à plus de 97,5 % par la précédente assemblée générale des actionnaires ».
Quant à la rémunération du directoire, Vivendi répond qu’aucune augmentation n’a été effectuée, et qu’aucune n’est prévue pour 2025, ce qui « s’inscrit dans un contexte de rigueur et d’exemplarité, partagé à tous les niveaux de l’organisation ». En outre, « il est indispensable » que les salaires restent « compétitifs » pour « attirer et retenir des profils capables de piloter des opérations complexes, dans un environnement réglementaire, stratégique et financier en constante évolution ». Le conglomérat admet que l’échelle du groupe a changé, mais cela « ne signifie pas une moindre complexité ou responsabilité pour ses dirigeants ». Il souligne toutefois que les coûts de gouvernance ont été allégés en réduisant le conseil de surveillance de 13 à 9 membres, et le directoire de 6 à 4.
La famille Bolloré se renforce chez Havas
Yannick Bolloré a acheté sur le marché à titre personnel 3 % de Havas, depuis l’introduction en Bourse pour près de 50 millions d’euros. Cette participation s’ajoute aux 31 % détenus par le groupe Bolloré. Tous deux ont déclaré agir de concert, possédant ainsi au total 34 % de l’agence de publicité. Pour mémoire, le groupe Bolloré détenait 29,9 % de Vivendi, des parts qui ont été échangées lors de la scission contre 31 % de Havas (la différence s’expliquant par la disparition des actions détenues en autocontrôle par Vivendi). L’agence de com a choisi d’être cotée à la Bourse d’Amsterdam, où un actionnaire captant plus de 30 % du capital n’est pas obligé de lancer une OPA sur le reste du capital s’il détenait déjà plus de 30 % avant la cotation. Une telle clause (dite du grand-père) n’existe pas sur le marché parisien, où le groupe Bolloré aurait dû lancer une OPA s’il dépassait les 30 %.
Valorisation du capital (hors dette)
Canal+
- 7,5 milliards d’euros pour les seules activités françaises en 2010 lors de la sortie de TF1 et M6.
- 5,1 milliards d’euros pour les seules activités françaises en 2013 lors de la sortie de Lagardère.
- 6,8 milliards d’euros + 2,8 milliards d’avances en compte courant dépréciés à zéro dans les comptes 2023 de Vivendi.
- 3,5 milliards d’euros (2,9 milliards de livres ou 2,90 livres par action) pour le cours d’introduction à la Bourse de Londres.
- 1,9 milliard d’euros (1,6 milliard de livres ou 1,62 livre par action) pour le cours de clôture le 17 avril à la Bourse de Londres.
Havas
- 3,9 milliards d’euros lors du rachat par Vivendi en 2017
- 3,4 milliards d’euros dans les comptes de Vivendi à fin 2023
- 1,77 milliard d’euros (1,79 euro par action) pour le cours d’introduction à la Bourse d’Amsterdam.
- 1,4 milliard d’euros (1,4 euro par action) pour le cours de clôture le 17 avril à la Bourse d’Amsterdam.
Louis Hachette Group (Prisma et 66 % de Lagardère)
- 2,1 milliards d’euros dans les comptes 2023 de Vivendi
- 2,1 milliards d’euros pour la somme des parties (208 millions pour Prisma, plus 1,9 milliard pour les 66 % dans Lagardère).
- 1,1 milliard d’euros (1,12 euro par action) pour le cours d’introduction sur Euronext Growth.
- 1,3 milliard d’euros (1,3 euro par action) pour le cours de clôture le 17 avril sur Euronext Growth.
Vivendi après scission (Gameloft et participations)
- 4,8 milliards d’euros pour la valeur liquidative (net asset value) mi-2014, dont 7,3 milliards pour les participations cotées.
- 4,5 milliards d’euros de situation nette
- 2,7 milliards d’euros (2,60 euros) pour le cours de clôture après le split
- 2,55 milliards d’euros (2,48 euros) pour le cours de clôture le 17 avril
Des rémunérations généreuses
(En euros bruts par an)
Yannick Bolloré
Chez Vivendi
- Président du Conseil de surveillance : 400 000 euros jusqu’en 2023, 600 000 euros depuis
- Jetons de présence : 60 000 euros (=)
Chez Havas
- Fixe : 1,05 million d’euros jusqu’en 2022, 1,5 million depuis
- Bonus variable : jusqu’à 100 % du fixe (1,5 million d’euros au titre de 2022, 2023, 2024)
- Prime exceptionnelle cotation : 1,5 million d’euros attribué et versée en 2024
- Épargne retraite (article 82) et divers : 1,34 million d’euros (zéro pour l’article 82 en 2023)
- Actions gratuites Vivendi de performance : 559 000 euros attribués en 2023
- Actions gratuites Havas : 5,643 millions d’euros attribués fin 2024
Chez Bolloré SE
- Fixe : 301 360 euros
- Bonus variable : 325 000 euros au titre de 2022 et 2023
Chez Lagardère
- Jetons de présence : 29 587 euros attribués au titre de 2024, 2 159 euros versés en 2024
Total
- Touché en 2023 : 5, 17 millions d’euros
- Attribué en 2024 : 12,8 millions d’euros
Arnaud de Puyfontaine
Chez Vivendi
- Fixe : 2 millions d’euros depuis 2021
- Bonus variable : jusqu’à 100 % du fixe (1,84 million d’euros au titre de 2024)
- Prime exceptionnelle scission : 3 millions d’euros
- Actions gratuites de performance : 50 % du fixe jusqu’en 2024, 200 % du fixe à partir de 2025
- Compensation en cash des 135 342 actions gratuites de performance 2022 et 2023 : 947 394 euros (versé en 2026)
Total
- Attribué en 2023 : 4,2 millions d’euros
- Attribué en 2024 : 6,9 millions d’euros
Maxime Saada
Chez Vivendi (jusqu’en décembre 2024)
- Fixe : 75 000 euros
- Variable : jusqu’à 100 % du fixe (64 818 euros au titre de 2024)
- Prime exceptionnelle scission : 1,6 million d’euros
- Compensation en cash des actions gratuites de performance 2020 : 210 000 euros (versé en 2023)
- Compensation en cash des 104 110 actions gratuites de performance 2022 et 2023 : 728 770 euros (versé en 2026)
Chez Canal
- Fixe : 1,2 million d’euros jusqu’en 2012, 1,3 million en 2023, 1,55 million en 2024, 1,6 million depuis janvier 2025
- Variable : jusqu’à 110 % jusqu’en 2024, jusqu’à 150 % depuis 2025 (1,55 million d’euros au titre de 2024)
- Épargne retraite (article 82) : 400 000 euros en 2023, 800 000 euros en 2024, un million d’euros à partir de mars 2025
- Prime pour l’acquisition de MultiChoice : 100 % du fixe, soit 1,6 million d’euros, payable à la finalisation du rachat (en 2026) en cash ou en actions au choix de Maxime Saada
- Prime pour la hausse du cours de Bourse : payée en cash chaque année durant six ans, si la capitalisation dépasse 6 milliards d’euros.
- Actions gratuites de performances : 1,25 fois le fixe, soit 2 millions d’euros (attribué en 2024, disponibles en 2027)
- Action gratuites : plan supplémentaire pour les cadres proposé à l’AG 2025
Chez Lagardère (depuis mai 2024)
- Salaire de vice président : 228 570 euros (133 333 euros sur sept mois en 2024)
Total
- Attribué en 2023 : 3,4 millions d’euros
- Attribué en 2024 : 7,8 millions d’euros
