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Continuer la lectureAffaire EDF Solutions solaires : dans la jungle des relations avec les fournisseurs. Partie 2
Les proximités entre les dirigeants de la filiale solaire de l’énergéticien et certains fournisseurs ne se sont pas limitées aux panneaux photovoltaïques. Deuxième volet de notre dossier sur l’affaire qui a déclenché une enquête interne et plusieurs licenciements.

Soupçons de malversations, évictions en série à la tête de l’entreprise… Le temps est à l’orage chez EDF Solutions solaires*. Alors que plusieurs salariés et directeurs de l’entreprise dénoncent un recours privilégié à certains fournisseurs, en dehors des règles de marché, l’Informé s’est penché sur l’entrelacs des relations entre des dirigeants de cette filiale d’EDF et plusieurs de ses prestataires. Un premier volet de notre enquête révélait, ce lundi, d’étranges liens entre le président de la structure, Benjamin Declas (aujourd’hui écarté), et Julien Bague, le patron de deux sous-traitants du groupe particulièrement choyés, la SARE et la SATE.
Hélas pour le géant de l’énergie, le mélange des genres au sein de sa filiale ne s’arrête pas au secteur des panneaux et des coffrets électriques. Il s’applique aussi à son activité de pompes à chaleur (PAC) et pointe la fragilité des processus de sélection des partenaires en vigueur dans l’entreprise. Au début des années 2020, EDF ENR (l’ancien nom d’EDF Solutions solaires) accélère son expansion en se diversifiant tous azimuts. Les top managers se voient attribuer un axe de développement sur un secteur d’avenir (batteries, PAC…) en plus de leurs fonctions. « Pour s’imposer sur les PAC, la direction a confié la mission à Jean-Christophe Tailly, qui, en tant que directeur commercial marché des particuliers, connaissait les problématiques des clients finaux », se souvient un ancien collaborateur. Le dirigeant d’EDF ENR - lui aussi remercié il y a quelques semaines - fait alors appel à Raphaël Mignon, un homme d’affaires de ses connaissances. Mais, au passif plutôt chargé…
Serial entrepreneur, avec une trentaine de sociétés à son actif, celui-ci s’est notamment spécialisé dans la création d’entreprises dédiées aux énergies renouvelables, allant de l’éolien au solaire en passant par les pompes à chaleur. Avec un succès relatif, qui lui vaut de nombreux procès de clients mécontents et plusieurs condamnations en justice. Parmi les dernières décisions, celle de la cour d’appel de Bordeaux du 29 septembre 2022 l’a condamné à un an d’emprisonnement avec sursis pour « faux et usages, pratiques commerciales trompeuses, infraction au code de l’urbanisme et abus de faiblesse ». La cour a aussi sanctionné plusieurs de ses sociétés (Sweetcom, Sweetcom Sud, Optimeco, Sweetcom Énergie et Vivr’énergie) à des amendes de plusieurs dizaines de milliers d’euros pour des chefs d’accusation analogues. Sa peine de prison a été annulée en cassation en janvier 2024, mais celles prononcées à l’encontre de ses entreprises ont en revanche été maintenues par la haute juridiction. Sa société Sweetcom avait par exemple été épinglée pour avoir vendu des radiateurs dangereux et non conformes à plusieurs milliers de clients de la région Nouvelle-Aquitaine, comme le raconte la Charente libre.
Consultant et actionnaire
Son expertise dans les pompes à chaleur tombe au bon moment pour EDF ENR, mais la question de son intégration dans les rouages de l’entreprise interroge et fait débat dans les hautes sphères de la filiale. « On n’avait pas la compétence interne. Alors on s’est appuyé sur lui, même si on restait assez vigilant car son parcours était connu », raconte un ex-salarié. « Son arrivée ayant été validée, on peut supposer que son CV a été vérifié comme c’est le cas pour les consultants qui travaillent pour le groupe », estime un autre. Deux contrats sont signés avec lui sur la période 2021-2024. L’homme d’affaires fait son trou chez l’énergéticien d’abord en tant que consultant puis, en juillet 2023, sous la casquette de « responsable opérationnel PAC / Consultant, EDF ENR », au sein de la direction opérationnelle, dirigé par Cédric Le Quellenec. Il se voit confier dans un premier temps l’analyse de la préparation du développement des PAC puis plus concrètement le pilotage de l’organisation des équipes opérationnelles chargées d’installer des équipements chez les particuliers. « Il n’était pas sollicité à toutes les réunions projet, se souvient un salarié. Mais il restait dans le périmètre et intervenait si besoin. On était obligé de faire avec. »
Or, à la même époque, parmi les sous-traitants d’EDF ENR, est apparu un nouveau venu : la société Sea Sun Énergie. D’abord en tant qu’installateur de panneaux photovoltaïques, puis de pompes à chaleur. Créée en 2020 par Jordan Pebelier, l’entreprise devient très rapidement un sous-traitant clé de l’entreprise. En quatre ans, son activité va exploser. Entre 2021 et 2023, le chiffre d’affaires est multiplié par huit, passant 595 000 euros en 2021 à 3,9 millions d’euros deux ans plus tard, avec un bénéfice annuel de plus de 300 000 euros en 2022 et 2023. EDF ENR pèse même pour la moitié de son activité lors de ses deux premières années d’existence, avant l’arrivée de nouveaux clients. Sauf que l’entreprise de pose, qui étend en février 2023 son objet social à la vente, la pose et la maintenance de tous systèmes de chauffages dont les PAC, compte aussi parmi ses actionnaires… Raphaël Mignon.

Et, là encore, comme avec la SARE et la SATE, la proximité entre le management de l’énergéticien et du prestataire se traduit, aussi, par des projets business personnels : en novembre 2023, Jean-Christophe Tailly s’associe ainsi avec Raphaël Mignon pour constituer une société civile immobilière, la SCI Élysée IV, au Grau-du-Roi…
Les pompes à chaleur ne constituent certes qu’une part minoritaire des prestations fournies par Sea Sun Énergie à EDF ENR - comparé à celles des installations de panneaux solaires -, mais la présence du consultant dans l’actionnariat de la PME aurait pu dissuader le groupe de recourir aux services de l’entreprise. Sauf que, pour tenir ses engagements commerciaux et boucler ses chantiers, EDF fait feu de tout bois. « Avec la flambée des prix liée à la crise de l’énergie qui a dopé les demandes des clients dans les équipements renouvelables et les difficultés concrètes sur le marché du travail pour trouver des installateurs, la tentation de baisser la garde sur la sélection des sous-traitants n’a fait que s’accentuer ces dernières années », estime un ancien manager.
Sous-traitants providentiels
Vu les objectifs stratégiques imposés par la direction, une véritable course à l’échalote se met en place en interne pour trouver les prestataires de pose capables de répondre aux commandes sur le terrain. Résultat, chacun y va de sa solution. « Les responsables d’agences régionales, placés sous la direction opérationnelle, imposent leur choix, vont à la solution la plus rapide, décident des installateurs ou des fournisseurs qui les arrangent, indépendamment des recommandations ou des préconisations poussées par les achats par exemple », raconte une source interne. Et la direction - quand elle ne suggère pas fortement de solliciter tel ou tel prestataire comme dans le cas de la SATE ou de la SARE - laisse faire. Et ce, même s’ils sont plus chers, très proches du management ou moins regardants sur le droit du travail… « On voit bosser pour nous des sous-traitants qui font appel à des travailleurs détachés venant de l’étranger et font les chantiers sans respecter les règles », déplore un collaborateur du groupe. Au grand dam des concurrents, plus sourcilleux sur les horaires ou les règles de sécurité.
La montée en puissance rapide de sous-traitants installateurs « providentiels », à l’exemple de l’entreprise Glatchi construction, fait ainsi grincer des dents en interne et pourrait placer d’autres managers d’EDF ENR, très proactifs dans sa sélection, dans l’œil du cyclone. Entre 2023 et 2024, cette société familiale a vu son activité pour EDF ENR augmenter de 25 %, frôlant la dizaine de millions d’euros de prestations sur le dernier exercice, intervenant dans toutes les régions, de Nantes à Bordeaux en passant par Lyon ou l’Île-de-France. « Le secteur du solaire a toujours beaucoup fonctionné sur le copinage, avec tous les risques que cela comporte, surtout pour un groupe comme EDF dont l’image de marque est forte et signifie pour les consommateurs un gage de qualité », explique un connaisseur du secteur.
Les failles du processus de sélection des prestataires en vigueur chez EDF ENR ont aussi des conséquences sur le terrain : le mécontentement des clients s’est accru. Selon le rapport annuel 2023 du médiateur d’EDF, sur les 280 demandes de saisines enregistrées par l’entreprise pour des litiges - dont 108 ont été considérées comme recevables - « la plupart concernent EDF ENR et sa filiale Sowee ». Elles sont même en hausse de 131 % chez EDF ENR, pour des problèmes allant de l’absence de production électrique après la pose de panneaux photovoltaïques à l’insuffisance de puissance délivrée. Le groupe s’évertue à améliorer ses process pour résorber ces litiges, mais l’insuffisance des contrôles internes et les pratiques managériales en vigueur chez EDF ENR n’ont sûrement pas dû améliorer les choses.
Contacté, le groupe EDF n’a pas souhaité faire de commentaires. Benjamin Declas et Jean-Christophe Tailly n’ont pas répondu à nos sollicitations. Raphaël Mignon n’a pas souhaité s’exprimer et Jordan Pebelier nous a indiqué n’avoir « aucune déclaration à faire ou d’éléments à apporter dans cette affaire ».
* EDF ENR a changé d’appellation à l’automne dernier pour devenir EDF Solutions solaires.
Droit de réponse Jean-Christophe Tailly
Monsieur Jean-Christophe TAILLY dément fermement les allégations mensongères formulées à son encontre au travers de l’article du journal l’Informé : « Dans la jungle des relations avec les fournisseurs ».
L’article le cite nommément à plusieurs reprises, ou emploie les termes « tops managers », « le management », « la tête de l’entreprise », « la direction » ou « la direction opérationnelle », sans préciser s’il y est concerné ou non, sa lecture induisant qu’il puisse l’être.
L’article laisse entendre à tort une proximité entre lui et certains fournisseurs qui auraient prétendument été priviligiés au détriment de l’entreprise, de ses salariés et de ses clients, une trop grande et non cohérente liberté prétendument laissée aux responsables d’agences régionales dans le choix de prestataires de pose capables de répondre aux commandes sur le terrain, et prétend à des soupçons de malversations, à un mélange des genres et à du copinage.
L’article traite également, de façon polémique, d’une tierce personne, M. Raphaël MIGNON, qu’il définit de manière sulfureuse et comme étant une connaissance de M. TAILLY auquel celui-ci aurait fait appel et avec lequel il serait associé dans une SCI.
M. TAILLY tient à préciser que M. MIGNON n’a jamais compté parmi ses intimes, et constitue une connaissance professionnelle, ses contacts antérieurs avec lui s’étant limités à des contrôles de référence lors de recrutements et à des informations sur le marché. Avant le contrat de consulting de M. MIGNON auprès d’EDF ENR, ceux-ci ne s’étaient rencontrés qu’une seule fois, cela à la demande de la directrice Marketing de l’époque.
C’est M. DECLAS, en suite à des entretiens avec M. Jean-Bernard LEVY, PDG EDF de l’époque, qui a demandé en 2019 à M. TAILLY d’entrer à nouveau en contact avec M. MIGNON dans l’optique d’une prise de participation d’EDF ENR dans le capital de la société Sweetcom dans un objectif de croissance externe. MM Pierre-Marie TAY, Directeur financier de l’époque, actuel PDG, et Frédéric MARCOS, Directeur de département à la Direction Stratégique et Pôle Client d’EDF (représentant de l’actionnaire), faisaient partie des intervenants à ce projet.
Par la suite et dans le cadre du développement de l’offre PAC, le recrutement de M. MIGNON a été validé par le CODIR, la Direction Juridique et par le PDG afin d’intégrer la Direction technique d’abord puis la direction opérationnelle. Les décisions relatives à M. MIGNON ne viennent donc pas de M. TAILLY mais de la direction de façon plurielle, dont chaque membre connaissait nécessairement son profil qui, pour eux, présentait aussi des qualités. Il s’agit en conséquence d’une validation de groupe indépendante de M. TAILLY. Dans ce recrutement, M. TAILLY est seulement « contact » du contrat et fait office d’intermédiaire comme avec bon nombre de partenaires. Il est rappelé qu’en vu de son recrutement, M. MIGNON avait rempli un questionnaire d’intégrité validé par le PDG et la Directrice juridique et que son CV avait été vérifié comme c’est le cas pour les consultants qui travaillent pour le groupe. L’entreprise avait également vu un avantage important pour ne pas dire imbattable dans les conditions de rémunération de ses prestations de consulting, et lui avait mis à disposition un accès informatique, un ordinateur… M. TAILLY n’a jamais été informé de difficultés dans le travail réalisé par M. MIGNON.
Ce n’est que postérieurement, en 2023, que M. TAILLY prendra une participation dans une SCI avec M. MIGNON, pour un investissement de faible ampleur, une auto-école désaffectée achetée 25 000 € frais d’agence inclus soit 12,5k chacun seulement (20k net vendeur), pour lequel seule la toiture a été réhabilitée depuis, l’immeuble étant toujours inhabitable et ne générant aucun revenu, et dont M. TAILLY est en train de se dégager sans réaliser de bénéfice.
Cette SCI et ses associés ont dûment été déclarés à l’époque par M. TAILLY auprès d’EDF ENR, verbalement puis par écrit directement au PDG mais aussi à la responsable éthique et conformité conformément aux règles du groupe, un formulaire de déclaration de potentiel conflit d’intérêt ayant en outre été déposé. M. TAILLY a également renvoyé le formulaire au nouveau PDG, M. Pierre Marie TAY, si bien que la société EDF Solutions Solaires ne peut prétendre l’avoir ignoré ni en faire grief, celle-ci n’ayant jamais émis la moindre observation.
La société SeaSun, prestataire de pose dans laquelle M. MIGNON était actionnaire, travaillait déjà avec EDF ENR avant que Raphael Mignon n’en devienne consultant. Premier contrat le 07.08.2020 et avenant le 24.11.2021, les signataires étant M. DECLAS et M. Mathieu DELAGRANDANNE, responsable technique agence de Bordeaux. M. TAILLY n’y est pas impliqué.
M. TAILLY n’avait aucun lien avec la sélection des prestataires, les installateurs dépendaient de la direction opérationnelle. et la société Sowee n’est pas une filiale d’EDF ENR.
Enfin, les motifs du licenciement de Monsieur TAILLY, que celui-ci au demeurant conteste, ne reposent pas sur de prétendues malversations.
Monsieur TAILLY, ainsi que sa famille sur laquelle un tel article n’est pas sans répercussions, sont profondément choqués par sa teneur attentatoire à son honneur et à sa considération.