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Continuer la lectureWebedia (Allociné, PurePeople, Jeuxvidéo.com…) à la peine, départ surprise de son DG
Cédric Siré quitte le groupe web propriété de Marc Ladreit de Lacharrière après une tentative de vente avortée, puis l’entrée au capital de la famille Arnault, sur une valorisation très basse.

C’est un petit empire du divertissement en ligne qui vacille. Son nom, Webedia, ne vous dit peut-être rien. Mais ses activités vous sont forcément familières : à la tête des célèbres sites comme Allociné, Jeuxvidéo.com ou encore PurePeople, cette filiale de Fimalac gère aussi des youtubeurs incontournables comme Inoxtag ou Domingo, mais aussi des célébrités de la télé (Michel Cymes, Jamy…). Selon Médiamétrie, c’est même le onzième groupe internet français, avec 30,2 millions de visiteurs uniques en octobre.
Seulement voilà, depuis quelques semaines, ce paquebot, de plus de 500 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2023, tangue. Selon nos informations, il vient de perdre son fondateur et directeur général, Cédric Siré. Le quinquagénaire est remplacé par Véronique Morali (66 ans), la compagne du propriétaire Marc Ladreit de Lacharrière, et déjà présidente de l’entreprise. « Morali reprend ce poste mais uniquement de manière transitoire, le temps de trouver un nouveau DG, en espérant convaincre un grand nom du secteur », indique un connaisseur de la société. Et ce n’est pas là le premier soubresaut. En septembre dernier, un autre dirigeant, Julien Marcel, avait déjà quitté ses fonctions à la tête de la division cinéma et home entertainment. Il occupait ce fauteuil depuis 2015 à la suite du rachat de sa société Côté Ciné. Précédemment, Nicolas Sterckx, directeur général pour la France et directeur opérationnel du groupe, avait été révoqué.
Ces changements interviennent après plusieurs années compliquées. D’abord, Webedia a dû faire face à l’exode de plusieurs youtubeurs emblématiques, partis gérer leur carrière en solo, comme Squeezie ou McFly et Carlito. Quand une autre vedette, Norman Thavaud, a été accusée de viol et de corruption de mineur, une affaire finalement classée sans suite par la justice.
Ensuite, la société a été touchée de plein fouet par le Covid, qui a plombé le chiffre d’affaires de 18 % et poussé l’excédent brut d’exploitation (Ebitda) dans le rouge. Un plan d’économies drastique a dû être opéré avec la fermeture d’activités déficitaires, le gel des salaires durant deux ans, l’arrêt des embauches, et la mise en place de plans de départs en France comme à l’étranger. Entre 2019 et 2022, l’effectif est passé de 2 400 à 2000 salariés, et celui de la société mère Webedia SA de 864 à 616, avec notamment 73 départs via une rupture conventionnelle collective lancée en 2020.
Malgré un redressement des comptes, la valeur de l’entreprise sur le marché a dégringolé. À l’automne 2022, Fimalac a tenté de vendre sa filiale, confiant un mandat à la Société Générale et Lion Tree. Il a finalement renoncé, jugeant les offres décevantes. Après cet échec, le groupe a opté pour une autre solution en trouvant un partenaire financier en juin dernier. Il s’agit d’Aglaé Ventures, le fonds d’investissement de la famille Arnault, propriétaire du groupe de luxe LVMH. Selon nos informations, ce fonds a pris 7 % des actions pour 25 millions d’euros… De quoi valoriser le capital de Webedia à 360 millions d’euros seulement (hors prise en compte d’une dette qui pourrait s’élever à plusieurs centaines de millions d’euros, cf. ci-dessous).
L’estimation est décevante. Lors de la dernière modification de l’actionnariat en 2016, l’entreprise valait 715 millions d’euros (hors dette). Il y a deux ans, Fimalac avait essayé de vendre Webedia, sans même inclure son importante filiale britannique Jellyfish, environ 700 millions d’euros (auxquels s’ajoutaient 300 millions de créances). Et souvent, Marc Ladreit de Lacharrière a lui-même affirmé que son bébé était « une licorne », c’est-à-dire qu’elle valait plus d’un milliard (dette incluse cette fois). Il faut dire que Fimalac a déjà investi 1,15 milliard d’euros de capitaux dans sa filiale depuis sa reprise.

La perte de valeur s’explique par l’assemblage hétéroclite qu’est devenu Webedia, peu lisible pour un investisseur. Le groupe est présent dans des domaines très variés : il dispose d’une soixantaine de sites de contenus (que ce soit dans les jeux vidéo, le cinéma, la cuisine, le people, la santé…), gère des talents, produit des émissions télé (Le monde de Jamy sur France 3, Sept à huit sur TF1…) propose divers services aux professionnels (contenus pour les marques, outils pour les salles de cinéma…)…. Et cela dans plus de 20 pays : Espagne, Pologne, Allemagne, États-Unis, Brésil, Turquie, ou encore Arabie saoudite. Ces dernières années, il a tenté de surfer sur chaque nouvelle vague du numérique : affiliation, brand content, influenceurs, e-sport, metaverse, NFT, live shopping…
Ce développement s’est essentiellement fait via des acquisitions tous azimuts de dizaines et des dizaines de structures. « Webedia a empilé les sociétés sans les intégrer d’un point de vue technique », pointe un concurrent. « Il y a eu une boulimie d’acquisitions pendant 10 ans, assure un expert du groupe. Il y a un véritable travail à faire pour restructurer et rationaliser l’organisation du groupe. » Exigeante sur le plan organisationnel, cette stratégie a aussi été coûteuse. Au moins cinquante opérations ont dépassé le million d’euros, selon notre recensement (cf. ci-dessous). Au total, le montant brut de ces rachats dépasse le milliard d’euros au bilan de la société mère Webedia SA, auquel il faut ajouter les participations à l’étranger.
D’autant que le groupe s’est avéré très généreux lors de ses emplettes. Par exemple, AlloCiné a été racheté 14,8 fois son excédent brut d’exploitation (Ebitda) ; Jeuxvideo.com 13,8 fois ; et Talent Web (la régie des youtubeurs Norman et Cyprien) plus de 17 fois. Soit bien plus que le ratio moyen des transactions effectuées dans le secteur entre 2010 et 2016, qui s’élevait à seulement 12,2 fois l’Ebitda. En 2016, l’expert indépendant Finexsi, chargé de valoriser la société, concluait tout naturellement : « ces acquisitions correspondent à une politique de développement volontariste, qui implique que les prix intègrent une prime significative".
Malheureusement, de nombreux rachats ont, ensuite, tourné au fiasco. Des exemples ? D’abord, Terra Femina, le site féminin de Véronique Morali, aujourd’hui à la tête de Webedia : repris en 2013 pour 10,9 millions d’euros, le portail a vu ses activités arrêtées six ans plus tard. En 2014, Allociné a mis la main sur son équivalent allemand MoviePilot pour 20 millions d’euros, ensuite déprécié à zéro dans les comptes de Webedia. En 2015, le studio de développement de jeux vidéo Scimob a été repris pour 11,6 millions d’euros, avant de baisser le rideau cinq ans après. L’agence événementielle berlinoise Flimmer, rachetée 3,7 millions d’euros fin 2015, a été liquidée en 2022. Le site d’e-commerce allemand Better Myself, lancé en 2019, a fermé deux ans plus tard. Certaines affaires se sont même terminées devant la justice, face aux fondateurs de ces jeunes pousses (cf. encadré).
Réduction du domaine de la lutte
En parallèle, Webedia s’est toutefois délesté de certaines activités dans des conditions plus ou moins favorables. En 2022, Semantiweb, spécialiste de l’analyse des données conversationnelles racheté pour 15,9 millions d’euros, a été revendu à European Digital Group. La même année, l’agence américaine de gestion de talents 3 Black Dot a été cédée à son dirigeant pour 87 millions de dollars. Webedia y avait englouti au moins 55 millions d’euros (10,7 millions pour le capital, plus a minima 45 millions de prêts, tous dépréciés à zéro).
Deux ans plus tôt déjà, Webedia était devenu le premier actionnaire de l’agence britannique de marketing numérique Jellyfish. À cette occasion, le groupe français avait apporté dans la corbeille de mariage ses différentes acquisitions dans le domaine. Tradelab et Uptilab, achetés 92 millions d’euros, avaient ainsi été échangés contre des actions Jellyfish, générant une plus-value comptable de 148 millions d’euros. Mais parallèlement, Webedia avait revendu à Jellyfish une dizaine de petites sociétés, enregistrant une moins-value de 14,6 millions d’euros. Ainsi, Via Europa et Edit Place, rachetés pour 9,3 et 6 millions d’euros respectivement, puis rebaptisés Quill France, avaient été revendus pour une somme symbolique. Camp de bases, racheté en 2016 pour 3,2 millions d’euros, fut repris pour trois fois moins. Seelk, acquis pour 19,6 millions d’euros, avait été cédé pour seulement 3,6 millions d’euros. D’autres ont été apportés en dégageant une plus-value, comme Adictiz (mais Webedia décidera ensuite de racheter cette société, puis finalement de la céder à son dirigeant).
Au total, ce nouveau Jellyfish avait officiellement été valorisé 600 millions d’euros. Mais, dès 2022, Webedia l’a remis en vente, et, après un an de négociations exclusives, a fini par le céder à l’agence Brandtech de David Jones. Selon nos informations, l’opération a valorisé le capital de Jellyfish à seulement 435 millions de livres (530 millions d’euros). À noter qu’en 2021, Webedia avait décidé d’intéresser personnellement ses dirigeants à cette revente, en leur cédant des actions Jellyfish à une livre pièce, soit une valorisation du capital de 458 millions de livres (550 millions d’euros). Véronique Morali avait ainsi acquis un million de titres et Cédric Siré 280 000. Les deux dirigeants les ont ensuite revendus lors de la cession à Brandtech.
Contactés, Webedia, Cédric Siré, LVMH, Fabien Gerbault, Julien Radic, Maxime Lemarchand, et leurs avocats n’ont pas répondu.

Webedia, des rachats et des conflits
Dans sa course aux acquisitions, le groupe de divertissement Webedia procédait en général de la même manière. Il versait lors du rachat une première partie du prix, le solde étant ensuite étalé sur plusieurs années et indexé sur les performances de la société acquise. Dans certains cas, la filiale de Fimalac a jugé les résultats décevants, et refusé de payer les compléments de prix. À deux reprises, les actionnaires minoritaires l’ont alors attaqué devant le tribunal de commerce, avec des succès variés.
Chez Melberries (régie publicitaire de chaînes YouTube rachetée en 2014), le fondateur Fabien Gerbault réclamait en justice 5,2 millions d’euros. Le tribunal de commerce lui a accordé 1,2 million d’euros, commandant une expertise pour le reste de ses demandes. Mais Webedia a contesté ce jugement, avec succès. La cour d’appel a estimé que Fabien Gerbault n’avait droit à rien, car il n’avait pas, au préalable, cherché à régler le conflit via une conciliation amiable comme prévu dans les accords.
Autre cas conflictuel : Webedia a mis la main sur le vendeur de box surprises Surprizemi en 2016 avant d’arrêter son offre de paniers repas (Illico fresco) deux ans à peine après son lancement, contre l’avis des dirigeants fondateurs Julien Radic et Maxime Lemarchand. Arguant de cet échec, Webedia a proposé de racheter pour seulement un euro les parts des fondateurs et des business angels Pierre Kosciusko-Morizet et Pierre Krings. Furieux, ces derniers ont saisi le tribunal de commerce, qui leur a accordé 6,6 millions d’euros. Les juges consulaires ont estimé que Webedia n’avait pas respecté le pacte d’associés, ce qui « constitue une faute ». Mais l’affaire n’est pas terminée et se poursuit en appel. Parallèlement, l’offre high-tech de la start-up, Wootbox, a été arrêtée en 2022, puis le fonds de commerce restant (la gamme cosmétiques Prescription lab) revendu pour un euro en 2023. Entre-temps, Webedia a déprécié à zéro son investissement en capital (12 millions d’euros), plus les prêts consentis à sa filiale (13 millions d’euros fin 2021). Surprizemi a finalement été fermée l’an dernier, laissant 28 millions d’euros de dettes, essentiellement auprès de sa maison mère.
Pour mémoire, en 2016, un conflit sur la valorisation de Webedia avait éclaté entre Fimalac et les actionnaires minoritaires, à savoir le cofondateur Guillaume Multrier, et les fonds Ventech, Idinvest et DFG Invest (rebaptisé ensuite Genêts Capital puis Nestt). Pour avoir la paix, Marc Ladreit de Lacharrière avait finalement accepté de leur faire un gros chèque pour racheter leurs parts… (cf. ci-dessous).
Les valorisations de Webedia
- 2013 : Fimalac rachète 39 % du capital à 401,30 euros par action, sur une valorisation de 70 millions d’euros dette incluse. Fimalac apporte ensuite Allociné et Terra Femina, montant ainsi à 65 % du capital. À cette occasion, un pacte d’actionnaires de 10 ans est conclu avec les actionnaires de Webedia (dont les dirigeants fondateurs Cédric Siré et Guillaume Multrier) prévoyant notamment le rachat de leurs actions.
- 2014 : augmentation de capital à 475 euros par action, soit une valorisation de 272 millions d’euros hors dette
- Février 2016 : augmentation de capital à 440 euros par action, soit une valorisation de 581 millions d’euros hors dette (693 millions d’euros avec la dette).
- Août 2016 : un accord est trouvé pour le rachat des parts minoritaires à 562,50 euros par action, soit une valorisation de 715 millions d’euros hors dettes. Véronique Morali évoque dans les Échos une valorisation de 750 millions d’euros.
- 2017 : lors du retrait de la bourse de Fimalac, Webedia est valorisé par son propriétaire entre 675 et 800 millions d’euros hors dette (830 à 955 millions avec la dette), et par l’expert indépendant Associés en finance entre 701 et 802 millions d’euros hors dette (868 à 969 millions d’euros avec la dette)
- Fin 2019 : dans les comptes de Fimalac, la valeur brute de Webedia est de 586 millions d’euros, auxquels s’ajoutent 584 millions d’euros d’avances en compte courant.
- 2022 : tentative de vente pour environ un milliard d’euros dette incluse (700 millions d’euros hors dette). Toutefois, sept sociétés étaient exclues du périmètre de vente : Jellyfish, Semantiweb, Adictiz, Partoo, Pour de bon, Toornament et Surprizemi.
- Juin 2024 : Aglae Ventures rachète 7 % à 58,913 euros par action, soit une valorisation de 360 millions d’euros (hors dette). La dette actuelle n’est pas connue, mais les avances en compte courant de Fimalac s’élevaient à 994 millions d’euros fin 2021, dont 609 millions d’euros ont été converties en capital en 2024 juste avant l’arrivée d’Aglae Ventures, laissant donc au minimum une dette de 385 millions.