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Continuer la lectureLe combat acharné d’un Américain pour reproduire gratuitement les sculptures du musée Rodin
Après plusieurs démarches plus ou moins fructueuses, l’entrepreneur saisit désormais le Conseil d’État pour obtenir les données 3D des œuvres de l’établissement.

Cosmo Wenman ne lâchera pas. Cet artiste et entrepreneur spécialisé dans la vente de miniatures s’est engagé dans une bataille singulière : il veut pouvoir reproduire les œuvres du musée Rodin et semble prêt à tout pour cela. Depuis près de 15 ans, l’établissement public a lancé un programme ambitieux de numérisation en 3D de ses fameuses sculptures, à commencer par le Penseur. Ce chantier, mené avec des spécialistes comme 7D Works et Cap Services/Digiscan 3D, a suscité l’intérêt de Wenman. Dès 2018, considérant que ces nuages de points constituaient finalement un document administratif, il a sollicité la communication de tout un ensemble de pièces : les données 3D de plusieurs œuvres majeures du sculpteur, la liste de l’ensemble des fichiers disponibles, mais aussi copie de tous les contrats et courriers relatifs à ce projet. De quoi en permettre la reproduction parfaite.
Le 11 décembre 2018, le musée avait d’abord contesté la communicabilité des données numériques, mais l’analyse a été renversée par la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA), une autorité chargée d’émettre des avis sur la diffusion des données publiques. Sans suite positive fin 2019, l’Américain a saisi le tribunal administratif de Paris pour contraindre le musée à s’exécuter. Une victoire en demi-teinte : le 21 avril 2023, la juridiction a ordonné la communication non des données brutes, mais uniquement des rendus, et donc des visualisations moins fines, de plusieurs pièces maîtresses (le Baiser, la Porte de l’Enfer, le Sommeil et le Penseur). Les juges ont également demandé la transmission des courriers ayant trait à ce dossier sous réserve du secret des affaires. Problème : plus de 7 mois plus tard, le Musée n’a toujours pas exécuté le fond de la décision, nous indique Cosmo Wenman. Alors, selon nos informations, celui-ci a décidé de poursuivre le combat. Il vient de déposer un pourvoi en cassation devant le Conseil d’État, contestant l’argumentaire technique et juridique du tribunal.

Pour refuser la communication des données brutes des rendus, les premiers juges avaient considéré que ces fichiers ne constituaient pas des documents administratifs « achevés », condition à leur communicabilité, mais seulement « une étape dans le traitement des données ». En clair, ce ne serait qu’un « matériau » qui ne relèverait aucune « intention de la part de l’administration ». Représenté par Maître Alexis Fitzjean Ó Cobhthaigh, avocat spécialisé dans la défense des droits et libertés, et la SCP Marlange-de La Burgade, Wenman a produit plusieurs expertises pour souligner combien une telle approche n’avait aucun sens : de son opinion, ces données seraient bien exploitables en l’état, preuve qu’elles ne sont en rien une simple étape dans le traitement. Au contraire, de telles informations brutes seraient même les plus « achevées », les traitements ultérieurs ne pouvant « qu’en altérer la qualité ». De plus, il juge le critère de l’intention particulièrement dangereux, puisqu’il permettrait à n’importe quelle administration de bloquer très facilement des demandes similaires visant d’autres données. Il considère surtout que cette variable, inconnue du code des relations entre le public et l’administration, « est indifférente à la détermination du caractère achevé ou non du document administratif dont la communication est sollicitée ».
La juridiction a aussi refusé d’ordonner au musée de fournir la liste des scans 3D en sa possession, considérant que cet inventaire avait été donné lors des échanges de conclusions en cours d’instance. Le requérant conteste : la seule liste en sa possession est incomplète et, qui plus est, noyée dans les écritures, sans vrais noms des fichiers numériques en clair. Une information précieuse qui lui permettrait de mieux cibler ses futures demandes. « À ce jour le tribunal lui-même n’a aucune idée des fichiers numérisés en 3D que possède le musée ni de ce qu’il a spécifiquement ordonné au musée de communiquer, et le public ne peut que le deviner, nous confie Cosmo Wenman. C’est une situation pour le moins déroutante. »
Les magistrats avaient également refusé d’enjoindre l’établissement de communiquer les données de l’œuvre des Trois ombres. La raison ? Il n’aurait finalement pas procédé à sa numérisation. Faux, rétorque Wenman dans son pourvoi : des mémoires du musée attesteraient, photos à l’appui, l’existence de ces précieuses pièces. L’Américain profite de ce recours pour réitérer sa demande d’expertise, rejetée par les premiers juges, afin de trancher « l’existence et la communicabilité des documents demandés ». En définitive, il réclame non seulement la transmission des pièces manquantes, mais aussi une somme de 4 000 euros destinée à couvrir ses frais. En attendant, il ne décolère pas : « Plutôt que d’embrasser l’avenir et de permettre au public d’accéder à leurs numérisations 3D du patrimoine culturel public, le musée Rodin et le ministère de la culture ont créé un écran de fumée d’absurdités juridiques et technologiques et déclenché un incendie qui menace nos ressources communes dans l’ensemble du paysage numérique. » Il nous indique concevoir notamment des répliques interactives et des expositions pour les aveugles, persuadé « qu’il existe un besoin d’accès libre aux numérisations en 3D des sculptures et des artefacts importants, qui permettront la fabrication de répliques que le public peut explorer par le toucher ».
Dans son dernier rapport d’activité, pour l’année 2022, le musée Rodin annonce disposer dans sa collection d’un total de 302 œuvres « en 3D » photographiées en 2022. Contacté, l’établissement se refuse au moindre commentaire : « l’affaire suit toujours son court, aussi le musée ne souhaite pas communiquer sur le sujet pour le moment ».