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Continuer la lectureDieudonné risque de perdre sa vaste propriété près de Dreux
Estimé à un million d’euros, cet ensemble de 1,46 hectare avait été acheté par la société produisant les spectacles de l’humoriste. Mais celle-ci doit aujourd’hui liquider ses actifs pour rembourser 1,4 million d’euros de dettes.

Mauvaise blague pour Dieudonné. L’humoriste controversé et multicondamné se retrouve à nouveau dans une impasse financière. Selon nos informations, les Productions de la Plume, la société organisatrice de ses spectacles de 2009 à 2023, ont été placées l’an dernier en liquidation judiciaire. Elle laisse derrière elle 1,4 million d’euros de dettes, essentiellement vis-à-vis du fisc. Sauf surprise de dernière minute, le liquidateur va mettre en vente les actifs de la société pour rembourser ses créanciers. Son joyau : un vaste ensemble immobilier de 1,46 hectare situé au sommet d’une colline à Saint-Lubin-de-la-Haye, petit village du Drouais dans l’Eure-et-Loir, à une vingtaine de kilomètres de Dreux. Cette ancienne usine sur laquelle l’humoriste avait peint un ananas géant comprend une salle polyvalente, un ensemble d’appartements, un hall industriel, un studio d’enregistrement, et plusieurs dépendances. Sa valeur a été estimée à plus d’un million d’euros par l’avocat de la société, Olivier Crauser.
Cette vente sera assurément un crève-cœur pour Dieudonné. Il réside en partie dans ce domaine, y a installé son bureau et y organise chaque année son « bal des quenelles » - le dernier a eu lieu le 21 juin dernier. La propriété avait été achetée en 1996 pour 175 316 euros. Le franco camerounais a déjà failli la perdre une première fois, suite à des problèmes d’impôts impayés. En 2012, le fisc à qui il devait 887 135 euros avait mis le bien aux enchères. Il avait alors été adjugé à 501 000 euros. Mais l’humoriste provocateur avait alors lancé un appel aux dons sur YouTube : « On veut me virer de chez moi. L’administration m’en veut. Ils veulent ma peau… Si vous voulez me prêter, cela pourra m’arranger. … Il va y avoir une mise aux enchères de ma propre maison que j’ai déjà payée, mais que je vais devoir repayer le 31 janvier [2013], Si je réussis à rassembler 550 000 euros, je resterai propriétaire de mon bien ». Et il s’était engagé à rembourser ses généreux donateurs avec les profits espérés de sa tournée. Grâce au soutien de ses fans, il avait annoncé avoir récolté 350 000 euros (l’enquête établira plus tard qu’il avait en fait encaissé sur son compte en banque 1 390 chèques de particuliers, pour un total de 558 435 euros). L’argent lui avait permis de surenchérir, et de racheter le domaine pour 551 000 euros. Et il avait conclu une transaction avec le fisc pour solder sa dette.
En pratique, il n’avait pas réalisé l’acquisition en son nom propre mais via les Productions de la Plume, la société organisant ses spectacles. Celle-ci était détenue à 50/50 par sa mère et par Noémie Montagne, sa compagne de l’époque… Hélas pour lui, cette société a également eu maille à partir avec le fisc. À l’origine de ses déboires : d’importants transferts d’argent effectués via Western Union par Dieudonné et ses proches vers des membres de sa famille en France, en Suisse, en Belgique, en Chine, aux Émirats arabes unis, et surtout au Cameroun : pas moins de 667 543 euros entre avril 2009 et janvier 2014. Ces transferts ont été repérés par Tracfin, le service de renseignement de Bercy. Les limiers ont soupçonné qu’une partie de l’argent provenait des recettes de ses spectacles, car ces mouvements intervenaient souvent juste après une représentation.
Des soupçons également nourris par la maigre feuille d’impôts de l’humoriste. Entre 2009 et 2012, il a déclaré seulement 239 120 euros de revenus, et même rien du tout pour l’année 2011 - pour cette année-là, finalement, il fera une déclaration en 2014.
Et ce n’est pas tout ! Tracfin a identifié que l’humoriste avait ouvert toute une série de comptes : vingt-trois chez PayPal, un autre dans la succursale parisienne de la banque iranienne Melli, d’autres encore en Belgique et même un au Luxembourg. Sur ce dernier, Dieudonné avait versé 165 000 euros en espèces en 2001, somme qui lui avait en partie servi en 2007 à acheter une maison d’une valeur de 435 000 euros. En outre, son fils, tout juste majeur à l’époque, avait ouvert un compte à la banque HSBC de Hong Kong, et envisagé d’en ouvrir un autre à Gibraltar. Enfin, le responsable de la société vendant les billets de ses spectacles en Suisse a fait état d’un compte dans une banque de Singapour.
Le parquet a donc été saisi par Tracfin puis par le fisc. Les enquêteurs ont alors effectué des raids surprise le 28 janvier 2014 chez son expert-comptable, au théâtre de la Main d’Or à Paris, où il jouait ses spectacles et dans ses différents domiciles. Ils ont, à cette occasion, mis la main sur 657 220 euros et 15 210 dollars en espèces que « Dieudo » cachait dans différents coffres-forts.
Entre les virements effectués en France et à l’étranger ainsi que l’argent trouvé dans les coffres-forts, les limiers ont chiffré le montant total à 1,3 million d’euros. Quand on lui a demandé d’en expliquer l’origine, l’humoriste a répondu que son père lui avait demandé de s’occuper de sa famille. Et que, à cet effet, il lui avait fait deux dons en cash dans des sacs : un premier de 300 000 euros et un second de 550 000 euros à partager avec sa sœur. « En tant que fils aîné, il m’appartenait, au cas où mon père décéderait, d’assumer la responsabilité de chef de famille, comme le suggère notre tradition », a-t-il déclaré aux enquêteurs. Il a ajouté n’avoir finalement pas partagé le second don avec sa sœur, sans en fournir la raison. Pour ses comptes bancaires en Belgique et au Luxembourg, il a avancé, là encore, qu’il s’agissait de l’argent de son père et de ses activités outre-Quiévrain.
Quant au cash trouvé dans ses coffres, le franco camerounais a admis qu’il s’agissait des recettes de son spectacle, conservées chez lui car il est interdit bancaire. Il a affirmé que les sommes avaient été déclarées en bonne et due forme par les Productions de la Plume. Mais ces explications n’ont pas convaincu la justice. En effet, cette entreprise a toujours disposé d’un compte en banque. Et elle a déclaré officiellement une trésorerie en caisse de seulement 122 136 euros à fin septembre 2013. Cette partie-là a donc été restituée par la justice, cela ne représentant toutefois qu’un quart des espèces trouvées dans les coffres. Selon Dieudonné, le solde correspondait aux recettes encaissées sur les quatre derniers mois avant la perquisition, son spectacle ayant connu un soudain succès en raison d’une importante publicité dans les médias. À l’appui de ses dires, l’ancien partenaire d’Élie Semoun a fourni des fiches de recettes mensuelles. Mais d’autres fiches plus anciennes saisies lors de la perquisition indiquaient que les espèces reçues étaient en réalité presque trois fois moins élevées.
Pour les enquêteurs, seule une fraction des recettes du spectacle joué au théâtre de la Main d’Or était déclarée officiellement dans les comptes des Productions de la Plume. Le site de vente en ligne Billet Réduc leur a communiqué un nombre de réservations quatre à cinq fois plus élevé que les entrées officiellement déclarées. En effet, les tickets pouvaient seulement être réservés en ligne. Ils devaient obligatoirement être réglés sur place en liquide ou par chèque (il n’y avait ni terminal de carte bleue ni caisse enregistreuse). Selon la comptabilité déclarée des Productions de la Plume, le cash représentait seulement 5 % des entrées. Hélas la fille de Dieudo qui tenait la caisse l’a contredit : selon elle, les paiements se répartissaient environ « moitié-moitié » entre cash et chèques. En outre, la comptabilité officielle n’a mentionné plus aucune recette provenant du bar, alors que les enquêteurs ont retrouvé au théâtre des bouteilles, des verres et une poignée de billets.
Et ce n’est pas tout. Un autre témoin, Chrystel Camus, qui a produit une tournée en province au printemps 2013, a déclaré aux enquêteurs : « À tous les spectacles, j’ai remarqué une billetterie non officielle. Il y avait une différence de 200 à 300 places vendues sur chaque date, ce qui représente au bas mot une somme de 180 000 euros nette sur l’ensemble de la tournée… c’était payé en espèces car ils n’avaient pas de terminaux de paiement par carte bancaire ».
Au vu de tous ces éléments, en 2019, le tribunal correctionnel de Paris a reconnu Dieudonné coupable de « fraude fiscale, abus de biens sociaux, blanchiment, organisation frauduleuse d’insolvabilité ». Un verdict confirmé en appel en 2021, puis par la cour de cassation en 2022.
Pour les juges d’appel : « Les recettes en espèces ont été largement minorées dans les documents comptables de la société… Dieudonné et sa compagne Noémie Montagne, après avoir rendu impossible tout contrôle ou traçabilité desdites espèces, les ont détournées et utilisées dans leur propre intérêt… Des méthodes de dissimulation de recettes en espèces particulièrement élaborées ont été mises en place, supposant d’éluder tout contrôle possible, et de falsifier jour après jour la comptabilité… L’argent a été systématiquement transféré en espèces, pour des montants très importants, le cas échéant via des intermédiaires, à des personnes vivant en France mais aussi à l’étranger, et sans aucun justificatif ».
La sanction est lourde : Dieudonné a été condamné à trois ans de prison dont deux fermes, une interdiction de gérer de dix ans, 200 000 euros d’amende, 80 000 euros de dommages et intérêts à l’État, la confiscation de 535 038 euros saisies, et à payer les redressements fiscaux des Productions de la Plume. En pratique, cette peine a été aménagée en détention à domicile avec un bracelet électronique, inspirant à l’humoriste un spectacle intitulé Sous bracelet. Les Productions de la Plume ont été condamnées à 50 000 euros d’amende pour fraude fiscale. Parallèlement, des redressements fiscaux ont aussi été infligés à Dieudonné et aux Productions de la Plume (cf. ci-dessous). La société a contesté un redressement de près de 600 000 euros devant le tribunal administratif, mais a été déboutée, selon nos informations.
Même s’il perd son domaine de Saint-Lubin-de-la-Haye, Dieudonné ne sera pas à la rue pour autant. Lors de son procès en 2019, les juges avaient rappelé qu’il détient un studio en Loire-Atlantique, une maison dans le Vaucluse, un immeuble au Cameroun, et surtout deux propriétés dans un autre village d’Eure-et-Loir, achetées en 2013 et 2014 pour 355 000 et 339 000 euros. Il avait par ailleurs déclaré l’impôt sur la fortune (ISF) pour les années 2005, 2006 et 2008. Quant à ses spectacles, ils sont désormais produits par Kamdo Productions, une société détenue et dirigée par sa nouvelle compagne. L’entreprise a notamment souscrit un crédit auprès de Mercedes Benz pour l’achat d’un véhicule.
Interrogés, David de Stefano, Emmanuel Ludot, et Olivier Crauser, les avocats de Dieudonné, n’ont pas répondu, pas plus que le liquidateur des Productions de la Plume, Olivier Zanni. Pour sa part, Dieudonné a avancé une explication à ses tracas avec l’administration. Il a déclaré dans les Incorrectibles : « Le Premier Ministre de l’époque Ayrault avait dit : ‘on ne le fera pas tomber pour ses spectacles, mais on va le faire comme Al Capone’. Donc je prends deux ans de prison ferme pour 27 000 euros de fraude fiscale, comme Pierre Palmade, mais je n’ai tué personne. Ce n’est pas de l’argent public, mais mon argent. Quand on sait que je paye des millions d’impôts à ce moment-là, 27 000 euros de TVA, c’est complètement ridicule, c’est complètement politique. Je prends la même peine que Pierre Palmade pour ne pas avoir déclaré, alors que je l’avais déclaré. Tout est faux ».
Le Premier Ministre de l’époque Jean-Marc Ayrault avait en effet déclaré à la presse peu avant la perquisition : « Concernant ses affaires, tous nos services sont dessus. Nous enquêtons sur ses transactions d’argent au Cameroun. On l’aura au portefeuille comme Al Capone ».

Les redressements fiscaux de Dieudonné
- Années 1997, 1998 et 1999
Le redressement portait sur :
- 84 632,40 francs de frais (voyages, meubles de cuisine…) pris en charge par les sociétés Merlin Éditions et Les Ateliers de la Ganasphère, dont Dieudonné était actionnaire et gérant. Le fisc a considéré qu’il s’agissait de revenus distribués
– une facture de 650 000 francs émise par Merlin Éditions et payée par Bonnie Productions pour l’organisation d’un débat lors des élections européennes de 1999. Le fisc a considéré qu’il s’agissait de revenus distribués
-l’achat par Dieudonné pour un million de francs en 1999 d’une propriété en Eure-et-Loir à Merlin Éditions, qui l’avait acheté entre 1995 et 1997, pour 1,1 million de francs, puis qui y avait fait un million de francs de travaux. Le fisc a considéré que le prix de revente était minoré de 465 000 francs.
Le fisc a ajouté des pénalités de 80 % pour manœuvres frauduleuses.
Dieudonné a contesté le redressement devant le tribunal administratif d’Orléans, qui a annulé le redressement sur la facture de 650 000 francs, et réduit de 192 720 francs la valeur de la propriété. Dieudonné a fait appel, et obtenu que les pénalités de 80 % soient réduites à 40 % (mauvaise foi).
- Année 2002
Le redressement portait sur le rachat par Dieudonné en 2002 pour 175 316 euros du domaine de Saint-Lubin-de-la-Haye à Merlin Éditions, qui l’avait acquis en 1996 pour le même montant. Le fisc a considéré que le domaine valait 500 000 euros, et infligé un redressement de 312 414 euros (incluant des pénalités de retard et de mauvaise foi). Dieudonné a contesté le redressement devant le tribunal administratif d’Orléans, qui l’a débouté.
- Années 2008-10
Redressement de 19 262 euros
- Année 2011
Redressement avec pénalité de retard de 10 %
- Année 2012
Le redressement portait sur :
-139 660 euros de revenus d’origine indéterminée (différence entre les espèces retirées des comptes bancaires et les espèces expédiées à l’étranger ou versées sur des comptes bancaires).
-15 991 euros de dépenses personnelles (voyages avec des billets aux noms de sa mère et de ses enfants, frais de transport pour un bateau, un quad, une remorque et des véhicules) prises en charge par les Productions de la Plume.
Les jugements pénaux indiquent que les droits éludés visés au titre des poursuites pénales s’élevaient à 112 172 euros concernant l’impôt sur le revenu et les contributions sociales pour les années 2011 et 2012.
Les redressements des Productions de la Plume
- Exercices 2011-12 et 2012-13
Le redressement portait sur l’impôt sur les sociétés, TVA, CVAE, avec des pénalités de 40 % pour manquement délibéré, et des amendes pour non-déclaration du bénéficiaire des revenus distribués et opposition à ce que le fisc emporte une copie de documents. Il portait sur :
– les recettes non déclarées des spectacles au théâtre de la Main d’Or
– la prise en charge de 124 946 euros de TVA de dépenses relatives au « bal des quenelles » du 13 juillet 2013
– la prise en charge de dépenses concernant des véhicules acheminés au Cameroun pour le tournage du film Métastases
– la prise en charge de prestations administratives et de secrétariat mise à disposition de matériels, facturées par la société Bonnie Production
Les Productions de la Plume ont passé une provision de 618 265 euros lors de l’exercice 2014-15, ajusté à 575 670 euros lors de l’exercice 2015-16. L’arrêt pénal indique : « l’administration fiscale estime aujourd’hui que l’impôt sur les sociétés éludé est de 313 672 euros… Elle a fait état d’un montant de droits éludés visé au titre des poursuites pénales, s’agissant de la TVA, de 27 903 euros ». La société a contesté le redressement devant le tribunal administratif, qui l’a déboutée, sauf sur le bal des quenelles. Elle peut faire appel du jugement.
- Exercice 2013-14
Le redressement s’élevait à 470 572 euros. La société l’a contesté devant le tribunal administratif. En cours de procédure, le fisc a reconnu une erreur de procédure dans le contrôle et a prononcé un dégrèvement total.