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Continuer la lectureLe plan de Thales pour doper son ingénierie en Inde et en Roumanie
À horizon 2030, le géant des hautes technologies veut accélérer la baisse du nombre de ses ingénieurs en Europe.

Tripler le nombre de ses ingénieurs en Roumanie et le doubler en Inde. Voilà l’objectif affiché par Thales à horizon 2030. Ainsi que l’a révélé l’Informé, le géant français des hautes technologies a discrètement décidé d’accélérer la délocalisation de son ingénierie dans ces deux pays aux coûts salariaux attractifs. Quitte à geler en parallèle une partie de ses recrutements en France et au Royaume-Uni. En interne, la feuille de route est claire : selon les éléments qu’a pu rassembler l’Informé, le groupe dirigé par Patrice Caine veut atteindre un effectif de 1 800 ingénieurs à Bucarest et de 2 700 en Inde dans six ans, sur un total de 44 000 dans le monde (en équivalent temps plein).
De quoi modifier la répartition de ses forces de conception à l’échelle du groupe, qui a réalisé 18,4 milliards de chiffre d’affaires l’an dernier avec 81 000 collaborateurs. En 2030, l’industriel veut disposer d’une proportion d’ingénieurs travaillant en Europe de 75 %. Cette part était de 82 % en 2022. L’Inde devra représenter 6 % de la masse salariale des ingénieurs (contre 4 % il y a deux ans) et la Roumanie 4 % (elle était de 1 % en 2022).
Pour atteindre sa cible, Thales mise notamment sur les centres de compétences d’ingénierie (Engineering competence center - ECC). « Au départ, ces structures ont été mises en place pendant la crise sanitaire pour accueillir les ingénieurs travaillant dans des activités confrontées à des baisses de charge, afin de leur confier des projets envoyés par d’autres entités, en surcharge, explique la CFDT Thales. C’était une façon de faire jouer la solidarité intragroupe. » L’ECC France a ainsi intégré quelques centaines d’ingénieurs de Thales Alenia Space, en difficulté.
Mais en décidant d’étoffer à marche forcée ses ECC de Bangalore et de Bucarest, le groupe élargit substantiellement leur vocation. Leur développement est programmé pour « faire décoller [la] délocalisation », comme le précise la note envoyée au comité exécutif le 10 juillet par le directeur opérations et performances de Thales, Philippe Knoche. Il vise aussi à « améliorer la compétitivité », précise un document interne daté du mois d’avril sur les objectifs de l’ECC de Bucarest. « Cette intensification se traduit également par des injonctions aux directeurs des entités de Thales d’envoyer dans ces ECC des projets et de la charge de travail qui pourraient être faits en France », déplore une source interne. D’où le gel des recrutements des salariés français et britanniques…
Dans l’Hexagone, pourtant, Thales bénéficie largement du crédit impôt recherche (CIR). Cette aide fiscale est destinée à soutenir et à encourager les efforts de R&D des entreprises, en couvrant une partie des dépenses engagées. L’industriel a ainsi touché plus de 170 millions d’euros en 2023. Idem outre-Manche, où le groupe a reçu une quarantaine de millions d’euros l’an dernier via un dispositif analogue.
Sur ses ambitions de recrutements, le géant des hautes technologies semble avoir adopté ces derniers mois une communication à géométrie variable. Un accord sur l’organisation du temps de travail a ainsi été signé en novembre dernier avec les partenaires sociaux dans lequel l’entreprise s’engageait à réaliser en 2024 et 2025 « de l’ordre de 8 500 embauches » en France. Mais à l’occasion de l’assemblée générale du printemps sur les résultats 2023, ce n’est plus que 7 000 nouveaux collaborateurs que le groupe promettait dans l’Hexagone sur cette même période. Et en septembre, en réponse aux questions de l’Informé, Thales paraît encore avoir réduit la voilure : il explique vouloir recruter « 2 000 ingénieurs en France en 2024 ». La proportion d’ingénieurs en France étant de 80 % (en effectif), « on voit mal comment ces objectifs vont être tenus avec l’arrivée du moratoire », s’interroge un élu.
Chose sûre, la façon dont le gel des postes a été annoncé en interne - seuls les membres du top management ont été informés - a suscité la crispation des organisations syndicales. Les partenaires sociaux n’ont pas été mis au courant en amont par le directeur des relations sociales Nicolas Flamant, arrivé en juillet 2023 dans le sillage du DRH Clément de Villepin. Un choc dans un groupe où le dialogue social a longtemps été érigé en pilier…