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Continuer la lectureThales gèle en catimini le recrutement d’ingénieurs en France et au Royaume-Uni
Le groupe préfère les embaucher en Roumanie et en Inde malgré des performances financières spectaculaires.

La note ne fait guère plus de quatre pages, mais elle est lourde de conséquences pour Thales en France et au Royaume-Uni… Signé par le patron des opérations du groupe Philippe Knoche et daté du 10 juillet, le message - que l’Informé a pu consulter - est adressé aux membres du comité exécutif du géant des hautes technologies dirigé par Patrice Caine. Son titre est sans équivoque : « gel des recrutements d’ingénieurs pour accélérer la montée en puissance des centres de compétences d’ingénierie (Engineering competence center - ECC) de Bangalore, de Bucarest et de l’ECC-France. »
Le reste du texte est tout aussi clair : le tour de vis voulu par Philippe Knoche est quasi général. Sont concernés « les recrutements externes et les contrats à durée indéterminée ou à durée déterminée » et « tous les postes, indirects ou directs, des familles de métiers ou des activités ». Presque toutes les business units de Thales sont dans le collimateur : aéronautique, défense et sécurité, identité et sécurité numérique… N’y échappe que Thales Alenia Space, en difficulté. Et pas question pour les managers de recourir à de la sous-traitance en France pour passer entre les mailles du filet. La note spécifie qu’il « n’est pas autorisé de compenser ce gel par une externalisation accrue ». Le calendrier est, lui aussi, sans appel. Si les embauches en cours sont épargnées, il ne sera pas possible d’en proposer de nouvelles après le 15 juillet.
La raison de ce sevrage brutal ? La délocalisation de l’ingénierie à Bucarest et Bangalore, initiée par le groupe il y a deux ans, n’est pas assez rapide. « Les effectifs des ECC stagnent. Notre vision pour 2030 ne se concrétise pas », précise dans son message l’ancien directeur général d’Areva - arrivé il y a tout juste un an chez Thales - et qui entend y remédier avec ce moratoire.

Les entités opérationnelles, sommées d’appliquer la mesure, risquent de tiquer. « Thales, qui bénéficie pourtant très fortement de la commande publique, a choisi d’accélérer le recrutement d’ingénieurs à faible coût à l’échelle du groupe, au détriment de son ingénierie française », regrette un cadre de la maison. « Cette différence de coût est visiblement un motif suffisant pour que la direction prenne le risque de fragiliser le socle de compétences, déplore une autre source interne. C’est une vision très quantitative de l’allocation des ressources, qu’on place ici ou là comme si elles étaient immédiatement équivalentes. C’est également un signal malheureux envoyé au marché : Thales ne recrute plus d’ingénieurs en France alors que toute l’industrie en recrute… »
L’État, détenteur de 26,1 % du capital du groupe, pourrait trouver à redire à cette stratégie, qui intervient alors que le leader des hautes technologies aux 81 000 salariés vient d’annoncer - une nouvelle fois - des résultats semestriels exceptionnels : une hausse de 8,9 % de son activité, une augmentation de 57 % de son résultat net consolidé part du groupe entre janvier et juin et un carnet de commandes atteignant 47 milliards d’euros, « nouveau plus haut historique » !
Le tout, après des performances 2023 qualifiées de « remarquables » par l’industriel lui-même (18,4 milliards d’euros de chiffre d’affaires, un résultat net consolidé part du groupe de plus d’un milliard d’euros). Lors de la présentation de ses résultats annuels, Thales insistait d’ailleurs sur sa volonté de recruter 7 000 personnes dans l’Hexagone « pour accompagner la forte croissance »…
Contacté par l’Informé, le groupe explique maintenir son objectif d’embaucher « 2 000 ingénieurs en 2024 en France », tout en confirmant l’accélération de cette délocalisation des cerveaux, avec des termes plus politiquement corrects que ceux utilisés par Philippe Knoche dans sa note : « dans un contexte de forte croissance de ses activités au niveau mondial et de concurrence pour le recrutement des talents, Thales poursuit le recrutement d’ingénieurs au sein de ses centres de compétences en ingénierie, basés en Roumanie et en Inde. Ces pays sont des viviers de talents qui viennent enrichir les compétences du groupe en particulier en développement logiciel ». Ces embauches « se font de manière dynamique en fonction des différentes activités, types de compétence et zones géographiques », donne-t-il en guise de justification sur l’organisation de ce moratoire.
Article modifié à 18h00, avec la réaction de Thales.
