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Continuer la lectureCMA CGM a encore payé un impôt ridicule en 2024 grâce à sa niche fiscale
Face aux attaques de LFI et du RN, le groupe de Rodolphe Saadé a sauvé à l’Assemblée le dispositif dont il bénéficie depuis 2013. En 2024, il a ainsi payé cinq fois moins d’impôts qu’une entreprise classique.

Le couperet n’est pas passé très loin. Lors de l’examen du projet loi de finances 2025, LFI mais aussi le RN se sont attaqués à la niche fiscale dont bénéficient les armateurs, à commencer par le plus important d’entre eux, le marseillais CMA CGM. Depuis 2013, ce dispositif permet à la société dirigée par la famille Saadé de payer une taxe au tonnage de quelques pourcents, plutôt que les 25 % d’impôts habituels sur les bénéfices. Grâce à ce système, renouvelé pour dix ans en 2023, le groupe calcule son imposition sur la base de la capacité de ses navires (305 détenus)… et réalise des cargaisons d’économies. Selon la Cour des comptes, cette niche a représenté un manque à gagner de 3,8 milliards d’euros en 2022 pour les caisses de l’État, puis 5,6 milliards en 2023. « Je considère que c’est anormal », avait lancé la présidente du RN, Marine le Pen, sur France 2 en juin dernier, pointant les bénéfices records engrangés par CMA CGM durant la crise du Covid. Aussitôt, son PDG, Rodolphe Saadé, avait lancé la riposte lors d’une conférence de presse. « Si la France décide d’arrêter le régime de la taxe au tonnage, ça nous met dans une situation de désavantage par rapport à nos concurrents européens et à nos partenaires asiatiques », avait-il prévenu. En revanche, le dirigeant s’était dit prêt à payer une contribution exceptionnelle de solidarité des grosses entreprises. Dans ce cas, « on serait là », avait-il ajouté. La niche a finalement été maintenue telle quelle (cf. encadré).
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Une aubaine considérable pour le géant marseillais. Ce dispositif lui a permis de passer une charge d’impôt de seulement 314 millions d’euros l’an dernier, sur 5,17 milliards d’euros de bénéfices, soit un taux de seulement 5,7 %, a calculé l’Informé.
En revanche, la société va bien devoir verser une contribution exceptionnelle dès cette année calculée à hauteur de 12 % de son résultat d’exploitation moyen calculé sur 2024 et 2025 (cf. encadré ci-dessous). Son impôt devrait donc doubler, sauf si la guerre commerciale des taxes douanières entamée par Donald Trump met un coup d’arrêt à sa croissance. « Je souhaite être dans un marché où on peut faire des affaires dans tous les pays. Mettre des barrières dans certains d’entre eux, et notamment aux États-Unis, ça peut être problématique pour les compagnies maritimes », a expliqué Rodolphe Saadé dans une interview récente aux Échos. Et d’ajouter, « une fois qu’on a dit ça, si les décisions sont prises, on s’adaptera. Mais je crois que le commerce entre les nations est le meilleur antidote au conflit, et a été un moteur essentiel de la croissance mondiale et du pouvoir d’achat des consommateurs » Des propos tenus presque un mois avant les annonces du président américain du 2 avril d’imposer des droits de douane à tous les pays, lors du « jour de la libération ».
La prudence est donc de mise. D’ailleurs, malgré une hausse de son chiffre d’affaires de 18 % à 53,3 milliards d’euros en 2024 et un profit en progression de 54,5 %, CMA CGM a décidé de verser beaucoup moins de dividendes cette année. Selon nos informations, il vient de distribuer à ses actionnaires 929 millions d’euros au titre de l’exercice 2024, contre 2,5 milliards d’euros un an plus tôt. Le gros de ce montant reviendra à la holding familiale, Merit, propriétaire de 73 % des titres du groupe*. La fratrie (Rodolphe, Tania et Jacques Junior) touchera ainsi 678 millions d’euros, contre 1,85 milliard d’euros l’an dernier, soit 63,5 % de moins. Les Saadé, marqués par plusieurs moments difficiles par le passé qui auraient pu mettre à terre l’armateur, restent prudents dans la gestion de leur entreprise. CMA CGM conserve une trésorerie de 5 milliards d’euros pour faire face aux mauvais jours. Et ses réserves, constituées de 43,5 milliards d’euros de dividendes accumulés et non versés, servent à investir dans son développement.*
À noter que Merit, au-delà de ses parts dans l’armateur, possède aussi divers biens immobiliers et des participations dans le service de musique Deezer ou la société de production Banijay. Elle contrôle également 20 % de BFM RMC, acquis l’an dernier par CMA CGM pour 1,55 milliard d’euros auprès d’Altice France.
Contacté, le groupe n’a pas pu répondre à nos sollicitations au moment de la publication.
* Article modifié le 9 avril à 21h58 avec les précisions sur la différence entre la trésorerie disponible et les réserves.

Une fiscalité de plus en plus contestée
Chaque année, la niche fiscale de la taxe au tonnage devient plus fragile. Fustigée de longue date par la gauche, elle est désormais aussi dans le collimateur du Rassemblement national. Certes, l’Assemblée nationale n’a pas trouvé de majorité pour supprimer cette niche lors de l’examen du budget Barnier à l’automne dernier. Toutefois, la gauche et le RN combinés ont adopté un amendement du socialiste Philippe Brun plafonnant ce dispositif aux 500 premiers millions d’euros de bénéfices, et appliquant au-delà l’impôt normal sur les sociétés. Pour les députés socialistes, « ce qui est inacceptable, c’est quand les superprofits amènent CMA CGM à payer 1 % d’impôt en 2022 et 2 % en 2023 ». Mais cette mesure a été emportée avec la censure du budget Barnier, et la taxe au tonnage est finalement restée inchangée.
Toutefois, Bercy, dans sa recherche désespérée d’argent, s’est quand même résolu à instaurer des taxes exceptionnelles sur les sociétés réalisant plus d’un milliard d’euros de chiffre d’affaires. Concernant les armateurs, le gouvernement Barnier avait proposé une contribution durant deux ans, avec un taux de 9 % du bénéfice d’exploitation sur l’exercice 2024, puis 5,5 % pour 2025. Ce qui devait rapporter 500 millions d’euros en 2025, puis 300 millions en 2026. En octobre, une majorité de députés avait adopté un amendement de l’écologiste Eva Sas qui pérennisait cette contribution au-delà de deux ans, avec un taux de 5,5 %. Là encore, cette dernière mesure a disparu avec le changement de gouvernement. Finalement, après un intense lobbying de Rodolphe Saadé, ce coup de bambou ne durera qu’un an, et son taux sera de 12 %.