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Continuer la lectureLa DGCCRF met son nez dans la taxe copie privée
La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes s’inquiète des difficultés des professionnels à se faire rembourser ce prélèvement qui ne les concerne théoriquement pas.

Qu’ils représentent Samsung, Apple et Xiaomi, Fnac-Darty, Amazon et CDiscount, ou Orange, SFR et Bouygues Telecom… Tous y passent ! Depuis quelques mois, la DGGCRF mène une série de consultations auprès des syndicats et des fédérations d’importateurs et de vendeurs de smartphones et autres tablettes, avant de lancer de possibles contrôles. La raison ? Des bataillons de professionnels seraient en droit de se faire rembourser la taxe copie privée qu’ils payent injustement mais n’en feraient pas la demande par manque d’information ou de preuves. Une situation que les services de Bercy entendent bien améliorer.

Pour bien comprendre cette mécanique, il faut rappeler que la redevance copie privée est prélevée sur chaque smartphone, tablette, carte mémoire, clef USB, disque dur externe, etc. introduit en France. Ces sommes, reversées aux industries culturelles comme la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SACEM) ou la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), viennent dédommager la possibilité offerte aux particuliers de réaliser, sans l’autorisation des titulaires de droits, des copies de musiques, films livres acquis légalement à la Fnac par exemple. En théorie, cette taxe n’est donc supportée que par les consommateurs, mais en France, elle est collectée au moment de l’importation, à un stade où on ne connaît pas encore la destination d’un téléphone Samsung ou d’une tablette Apple. Résultat : comme ce prélèvement leste toute la chaîne commerciale, de l’importateur au détaillant, tout le monde paye, même les pros lorsqu’ils achètent des cargaisons de produits pour les besoins de leur activité, alors qu’ils ne sont pas censés pratiquer la copie privée d’œuvres et n’ont donc pas à se soumettre à la taxe.
Sous pression de la jurisprudence européenne et française, le Code de la propriété intellectuelle a été mis à jour en 2011 pour permettre juridiquement leur remboursement pour ces paiements indus. À l’époque, le gouvernement avait anticipé une saignée pour la culture : « les ayants droit vont perdre les perceptions correspondant aux supports acquis à des fins professionnelles », écrivait-il. L’étude d’impact annexée au projet de loi tablait même sur une perte « entre 20 et 30 % » chaque année. Avec 238 millions d’euros de taxes collectées rien qu’en 2023, les montants théoriquement remboursés aux pros auraient donc dû s’établir entre 47,6 et 71 millions d’euros. En pratique, jamais ces projections n’ont été vérifiées. L’an passé, les remboursements ont encore été ridiculement bas, frôlant péniblement les 5 millions d’euros. Une somme incluant les demandes directes effectuées par les acheteurs pros (environ 2,8 millions d’euros) et les demandes indirectes des fournisseurs de clients exonérés, suite à la signature avec Copie France d’une convention qui leur permet d’acheter des supports sans taxe (2,16 millions d’euros). Toujours pour cette seule année, la différence avec les estimations de 2011 dépasse donc au bas mot les 40 millions d’euros. Autant d’argent conservé dans le milieu de la culture.
En 2024, la situation n’a guère évolué à en croire les difficultés rencontrées par Youssef Soukouna, plus connu sous son nom d’artiste, le rappeur Sefyu. La révélation du public aux Victoires de la musique de 2009 a cofondé en 2021 la société d’investissement dans les événements numériques culturels et éducatifs (Sience) et l’association pour les personnes physiques et morales (APPM) afin d’aider les entreprises à se faire rembourser. Dans un rapport interne consulté par l’Informé, l’association, présidée par l’ingénieur du son Matthieu Calvez, estime que 100 % des distributeurs de produits électroniques ne respectent pas les obligations en vigueur. Le document distribue les bons et surtout les mauvais points auprès de nombreux acteurs de l’e-commerce, comme Darty, la Fnac, Boulanger ou encore Cdiscount. Matthieu Calvez admet être « régulièrement contacté par des entreprises ou des collectivités publiques qui ont effectivement des difficultés à obtenir ces remboursements auprès de Copie France. Notamment la ville d’Aulnay-sous-Bois ou celle de Dourdan ». Parmi d’autres structures qui font appel à l’APPM, l’intéressé cite des hôpitaux ou encore l’association des paralysées de France.
Pourquoi ces difficultés ? D’abord, bien des professionnels ignorent leurs droits : un arrêté d’application de la loi, publié en 2014, impose la diffusion d’une notice explicative dans les boutiques et sur les sites d’e-commerce, mais il n’est pas toujours respecté. Ensuite, ceux qui souhaitent s’engager dans cette voie doivent aussi fournir aux ayants droit une facture mentionnant le montant de la taxe versée initialement par l’importateur. Des obligations trop rarement respectées, à en croire également un rapport de l’Inspection générale des finances (IGF) et de celles des affaires culturelles (IGAC), publié fin 2022. « Le défaut d’information des consommateurs sur la RCP et la méconnaissance des dispositifs d’exonération ou de remboursement participent au non-recours élevé des entreprises » relevaient les deux inspections. « Les difficultés liées à l’affichage de la RCP sur les factures sont amplifiées par la complexité des chaînes de distribution, qui intègrent plusieurs intermédiaires de vente faisant courir le risque que la RCP, bien que refacturée d’une étape à l’autre, cesse d’apparaître clairement. » En bout de course : « l’utilisateur final professionnel ou exportateur peut ainsi se trouver dans l’incapacité de prouver que la RCP a été acquittée par ses fournisseurs afin d’en demander le remboursement. »
De son côté, Copie France se dit simple spectatrice de ces manquements et renvoie la balle aux distributeurs. Charles-Henri Lonjon, cogérant et secrétaire général de la société, joint par l’Informé, rappelle que « l’obligation d’affichage du montant de la RCP pèse, sous l’autorité et la surveillance de la DGCCRF, sur les distributeurs des produits assujettis, et non sur Copie France, qui n’a fait que constater que certains acteurs en milieu et en fin de chaîne refusent d’afficher le montant de la RCP sur les factures qu’ils délivrent à leurs clients ». Sefyu et Matthieu Calvez se sont émus de cette situation directement auprès de la DGCCRF. Alertée par la note de l’APPM, l’administration a alors lancé une série de consultations. « Nous partageons l’intérêt pour cette démarche de sensibilisation, alors qu’aujourd’hui, beaucoup de personnes ne connaissent même pas le dispositif de remboursement », commente Calvez.
La Fédération du e-commerce et de la vente à distance (Fevad), qui représente des acteurs comme Amazon, Cdiscount, Carrefour.fr, Cultura, e. Leclerc ou Fnac.com, apprécie également la démarche. « Nous saluons la méthode choisie qui privilégie une issue amiable sans menacer directement de contrôle les entreprises, y compris nos adhérents » expose Moncef Lameche, responsable affaires publiques auprès du syndicat, contacté par l’Informé. « La direction nous a signalé des manquements afin d’engager le dialogue avec nos adhérents pour qu’ils lancent des démarches de mise en conformité dans les plus brefs délais, ajoute-t-il. Nous ne sommes pas un organe de contrôle, mais nous avons tout de même contacté nos membres pour les sensibiliser sur ces questions. Depuis mi-juin, elle ne nous a pas fait part de nouveaux manquements à ce sujet. » La fédération estime néanmoins que des problèmes soulevés par l’APPM lui semblent erronés s’agissant des marketplaces comme Amazon. « L’obligation d’information et d’affichage de la redevance incombe aux vendeurs tiers, non aux fournisseurs des places de marché. Certaines places de marché ligne ont tout de même rappelé auprès des vendeurs tiers leurs obligations d’affichage des montants de la redevance sur les fiches produits. »
Du côté des fabricants et importateurs, Stella Morabito, déléguée générale de l’Alliance française des industries du numérique (Amazon, Apple, Dell, Google, HP, Intel, Lenovo, Microsoft, Samsung ou encore Xiaomi), souligne la persistance des difficultés pour mettre correctement en application le cadre réglementaire actuel : « Les entreprises souhaitent être conformes, mais il y a des problèmes très concrets qu’il nous faut encore résoudre avec la DGCCRF. » Ils ont trait notamment à la masse d’informations devant figurer sur chacune des factures d’achat. Outre les mentions habituelles (prix, TVA, etc.), l’arrêté de 2014 exige qu’apparaissent « les caractéristiques du support d’enregistrement (pour chaque type de support acheté : marque, capacité de stockage et quantités achetées) et le montant de la rémunération pour copie privée acquittée lors de l’achat ». Un décret de 2013 impose que ce montant figure en « pied de facture », mais sans définir cette notion. De même, l’existence de la notice explicative doit être mentionnée, tout comme l’adresse du site officiel où ce document peut être téléchargé. Seulement le fichier visé par le lien n’existe plus sur le site du ministère de la Culture…

La représentante de l’AFNUM profite de la fenêtre pour réitérer un vœu déjà exprimé voilà 10 ans, sans suite pour l’instant : « nous aimerions que la DGCCRF nous aide à formuler une mention standard à inclure dans tous les supports d’information concernés par la rémunération pour copie privée - en magasin, sur internet et sur facture – et ce au bénéfice de tous les acquéreurs, qu’ils soient professionnels ou non. Par ailleurs, nous avons besoin de comprendre correctement sa doctrine de facturation en pied de facture. Par exemple, nous aimerions savoir s’il est possible de reporter les nombreuses informations exigées, au recto de la facture ou bien dans des annexes. Nous avons besoin de lignes directrices précises. Et plus ces lignes seront claires, plus on pourra espérer une interprétation uniforme lors des contrôles. »
Si de son côté la Fédération française des télécoms (Orange SFR, Bouygues Telecom) estime « difficile de connaître les manquements concrètement reprochés », elle partage l’avis des industriels. Romain Bonenfant, son directeur général, réclame ainsi des « consignes claires et des informations standardisées de la part de Bercy s’agissant de ce qu’il faut faire apparaître sur facture et sur les sites Internet ».
Dernier enjeu, et pas des moindres, les barèmes actuels risquent d’évoluer à l’horizon 2025. La Commission copie privée, en charge de ce chantier, s’attaque actuellement à la mise à jour de la taxe sur les smartphones et les tablettes, et pourrait même assujettir bientôt les ordinateurs. Une révolution dans le secteur. Enfin, les intermédiaires vont devoir absorber une autre réforme, celle de l’écomodulation : ils devront indiquer dès l’année prochaine, le bonus ou le malus des produits électroniques, selon leur niveau de réparabilité. « Des travaux majeurs qui imposeront une mise à jour de l’ensemble des systèmes de facturation », commente Stella Morabito.