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Continuer la lectureInvestisseurs déçus, algorithme mystérieux… le trouble business de Royaltiz, partie 2
De nombreux particuliers qui ont misé sur cette plateforme permettant d’investir sur des célébrités le regrettent aujourd’hui. Et le site n’a toujours pas décroché la moindre homologation des organismes de régulation du secteur. Deuxième volet de notre enquête.

Encore mieux qu’un spot télé avant le JT de 20 heures. Le 17 mars dernier, Cyril Hanouna a adressé une vidéo de 37 secondes à la gloire de Royaltiz à ses 5,9 millions de « fanzouze », depuis vue 1,6 million de fois. Certes, les services de modération de Twitter ont glissé sous le post une alerte indiquant que le risque de perte de capital aurait dû être précisé dans cette prise de parole. Mais la fusée promotionnelle de cette « Bourse » aux célébrité (lire le premier volet de notre enquête) était lancée et a embarqué des milliers d’utilisateurs, le plus souvent peu aguerris aux investissements financiers.
Quatre mois plus tard, c’est la soupe à la grimace pour beaucoup d’entre eux. « Investir sur des sportifs en devenir était pour moi un concept intéressant. Mais si je vends mes “Roy” aujourd’hui, je perds 700 euros, soit 70 % de ma mise », déplore le rugbyman Jérôme Vermersch. De son côté, Mathieu a lui aussi perdu 70 % de sa mise d’environ 2 000 euros. « J’ai été naïf… Royaltiz avait un côté rassurant, une belle ergonomie, un paquet de sportifs respectables. Mais ensuite, alors que les rugbymen sur lesquels j’avais investi connaissaient de beaux succès, je ne voyais aucune hausse de leur cours. J’ai tout de suite compris et j’ai sorti le peu de cash qu’il me restait. »
La situation n’étonne pas cet ancien salarié de la plateforme, souhaitant garder l’anonymat : « Aujourd’hui, beaucoup de Roy sont passés sous la barre de un euro, c’est le signe que le marché va très, très mal. Royaltiz joue beaucoup sur le fait que la valeur d’un Roy peut varier en fonction de la performance du talent, alors que ce n’est pas du tout le cas : on est sur un système d’offre et de demande classique. Et à ce jour, la demande n’est pas du tout à la hauteur de l’offre. » En effet, sur le site, la quasi-totalité des valeurs des Roy des personnalités citées dans notre premier article sont en chute libre : -42,5 % pour Fianso, -44 % pour Aurélien Tchouaméni ou encore -59 % pour Ciryl Gane.
« Depuis six mois, le marché est à la baisse : le prix moyen des Roys a diminué de 13 % en moyenne au premier semestre 2024 », concède le président fondateur de la plateforme Christophe Vattier, non sans avoir précisé que les critiques émanaient certainement de joueurs déçus. « C’est peut-être parce que nous attendions d’être régulés sur le marché américain pour la fin 2023 et que ça ne s’est pas encore fait que la déception ressentie par nos investisseurs face à ce retard s’est traduite par une désaffection pour le site. Dans l’attente de cette régulation, nous avons aussi réduit notre marketing, avance Vattier pour expliquer la tendance baissière du site. Pour nous, c’est une baisse passagère. » Difficile toutefois d’en savoir plus sur la santé financière de l’entreprise qui préfère ne pas déposer ses comptes. Revendiquant aujourd’hui 200 000 personnes inscrites et 100 millions d’euros de « trade » des Roy, Vattier et son directeur général Aymeric Granet expliquent aujourd’hui viser davantage un public « d’investisseurs avisés » que d’apprentis boursicoteurs.
« Je m’excuse de le dire, mais ce n’est pas un “rendement“ »
Un challenge, car nombre de prescripteurs du milieu déconseillent formellement de confier ses économies à Royaltiz. « Yield », « wallet », « introduction », « cotation »… Le service marketing ne ménage pas ses efforts pour se donner des allures de marché boursier. Mais la chaîne Youtube Finance Education, démonte l’idée selon laquelle les clients de Royaltiz « investiraient » dans leurs talents. « Un certain montant de l’argent collecté lors de la phase d’introduction est envoyé dans un portefeuille dédié et verrouillé. Royaltiz prélève simplement au moment de l’introduction de l’argent versé par les utilisateurs pour ensuite leur redistribuer au fil du temps en fonction de la performance du sportif. Ça, je m’excuse de le dire mais ce n’est pas un rendement (...) C’est à la limite un remboursement, un remboursement partiel fonction de la performance du sportif », pointe Christophe Dumortier, l’animateur de la chaîne.

Autre critique : l’absence de transparence sur la mise en circulation des Roy. « Quand vous achetez des produits financiers sur un marché, il y a un historique, des fondamentaux économiques, une notice de l’autorité des marchés financiers, rappelle Jean-Baptiste Boisseau, fondateur du site Signal Arnaque. Or Royaltiz a totalement le contrôle sur l’émission de Roy en circulation, on ne sait pas quand ils ouvrent ou pas le robinet. » Une vente massive de Roy par Royaltiz peut ainsi à tout moment jouer sur ce cours. « Nous n’aurions aucun intérêt à faire cela. Nous indiquons combien il y a de Roy en tout en circulation pour un talent. Si nous gardons un nombre important de Roy, c’est parce que nous voudrions pouvoir proposer des Roy au marché américain auquel nous devrions nous ouvrir dans les prochains mois », pare Christophe Vattier.
Un système de Ponzi ?
Pour Jean-Baptiste Boisseau, « Le meilleur moyen de gagner de l’argent sur Royaltiz, c’est de recruter d’autres joueurs pour qu’ils investissent et payent ainsi votre propre rendement. C’est à la limite d’un système de Ponzi et c’est totalement interdit », avance-t-il. « Ces nouvelles formes d’investissement jouent sur la lisière de la légalité, ils reprennent une logique spéculative, aléatoire, qui se rapproche d’un jeu d’argent et de hasard », estime le sociologue des jeux Thomas Amadieu.
Les deux représentants de Royaltiz rencontrés par l’Informé contestent le rapprochement de leur projet avec un système de Ponzi : « Le paiement des rendements (yields) ne dépend pas de l’arrivée de nouveaux utilisateurs sur la plateforme. C’est l’ensemble des revenus de fonctionnement de la société (émissions, frais de transaction, boutique) qui permettent, entre autres, de couvrir les rendements et aussi tous les coûts de fonctionnement. » Et d’ajouter : « Ces critiques confondent deux choses : le prix des Roy, et le rendement. Le prix dépend de l’offre et la demande ; le rendement, lui, est calculé par notre algorithme. » Difficile d’en savoir plus sur les composantes de la formule, jalousement gardée secrète. Tout juste saura-t-on qu’« elle projette sur 10 ans ce qu’on peut escompter d’un talent, prend en compte le taux d’engagement de ses réseaux sociaux, le prix moyen de ses campagnes de publicités, l’âge, le sexe et le lieu d’habitation de ses followers… ». 99 % des contrats conclus avec leurs talents fonctionnent donc ainsi et sont appelés « contrats de performance ».
Bien qu’ils défendent mordicus ces contrats « de performance » contre ceux qui critiquent l’opacité de leur algorithme, Aymeric Granet et Christophe Vattier nous promettent qu’ils comptent désormais ne plus se concentrer que sur les contrats dits « de revenus » qui composent pour l’instant 1 % de leur portefeuille de talents, et par lequel « le talent s’engage à verser 5 % de ses revenus sur les prochaines années ». Pourquoi un tel revirement ? « Le contrat de performance nous a été utile pour ne pas entrer dans des discussions longues relatives à l’évaluation des revenus des talents et pour faire connaître l’entreprise. Nous souhaitons continuer de développer le contrat de revenu, afin de faciliter le financement de jeunes talents », avance l’entreprise.
Une régulation qui ne vient pas
Seule l’homologation de Royaltiz par un organisme de régulation permettrait de clore le débat sur les dangers de son concept. Mais trois ans après son lancement, on ne voit toujours rien venir. Interrogés sur ce point, Christophe Vattier et Aymeric Granet assurent avoir présenté un dossier à l’Autorité des marchés financiers avant le lancement de la plateforme. Celle-ci leur aurait répondu que l’activité ne relevait pas de ses compétences. L’instance serait revenue vers eux suite au coup de com’ de Cyril Hanouna et des discussions seraient en cours depuis, en vue d’un agrément. « Nous leur avons envoyé une note explicative sur notre activité il y a deux mois », indiquent Vattier et Granet. En parallèle, l’entreprise explique attendre également depuis plusieurs mois l’autorisation du gendarme financier américain, la securities and exchange commission (SEC), pour se lancer outre-Atlantique.
Selon nos informations, des échanges sur l’analyse de l’activité du site ont lieu entre l’Autorité nationale des jeux et l’AMF. Cette dernière préfère ne faire « aucun commentaire sur des dossiers ou des sociétés en particulier ». Même silence de la part de la DGCCRF.
« L’AMF devrait mettre Royaltiz sur sa liste rouge »
En attendant, la situation préoccupe plusieurs députés. « Cette plateforme obéit à un mécanisme similaire à celui des paris sans s’inscrire dans le cadre juridique des jeux d’argent », détaille Arthur Delaporte, député socialiste coauteur de loi du 9 juin 2023 visant à encadrer l’influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux. En plus de cela, les stars qui en font la promotion en retirent un bénéfice personnel : on est donc dans le domaine de l’influence commerciale. S’ils ne déclarent pas le caractère promotionnel de leur message, ils s’exposent à des sanctions. » Stéphane Vojetta, coauteur de la loi, abonde : « J’ai alerté la DGCCRF chargée de faire respecter la loi sur l’influence, et l’AMF, qui devrait mettre Royaltiz sur sa liste rouge, en tant que promoteurs d’investissements à risque ».
« Rome ne s’est pas faite en un jour, la première voiture n’avait pas un airbag » se défend Vattier, qui demande encore du temps et de la confiance. Mais peut-on encore le croire ? Mi-2022, il expliquait dans L’Express ambitionner, dès l’automne suivant, « de travailler deux premières thématiques : l’environnement, « pour favoriser l’éclosion de solutions concrètes, efficaces, répondant au défi climatique » et la recherche dans le domaine médical, « pour s’attaquer aux maladies rares, faire en sorte que nos chercheurs soient mieux payés, n’aillent pas s’exiler aux États-Unis ». En 2024, on ne trouve aucune trace de tels « talents » dans le « wallet » de Royaltiz. Quant au fonds de 500 000 euros lancé en avril dernier pour aider les talents émergents, il n’a pour l’instant servi qu’une fois, pour financer le sportif Arthur Hugounenq à hauteur de 20 000 euros au travers d’un « contrat de revenu ». Sa discipline ? Le paddle. Le sport préféré… de Cyril Hanouna.