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Continuer la lectureComment Yannick Bolloré a verrouillé son poste à la tête d’Havas
En vue de sa cotation à la Bourse d’Amsterdam, l’agence de communication a mis en place une « pilule empoisonnée » qui empêche un acquéreur hostile de toucher à son patron, à son salaire, de nommer de nouveaux dirigeants…

Le gentleman raider connaît son sujet. Vincent Bolloré a gagné ce surnom à force de prendre le contrôle d’entreprises par surprise en y étant qu’un simple actionnaire minoritaire. Mais le milliardaire catholique n’a aucune envie qu’un autre as de la finance lui fasse subir le même sort sur son pré carré, notamment chez Havas. L’agence de communication, dirigée par son fils Yannick, jusqu’à présent filiale de Vivendi, va reprendre son indépendance. Elle va être à nouveau cotée en Bourse à partir du 16 décembre. Sa taille modeste par rapport aux géants du secteur (Publicis, IPG, Omnicom, WPP, Dentsu) et l’absence d’actionnaire majoritaire (le plus gros sera le groupe Bolloré avec 31 % du capital) en feront une proie tentante pour des prédateurs. Pour contrer cela, les Bolloré ont choisi une cotation à Amsterdam, qui autorise plusieurs dispositifs interdits sur la place parisienne. D’abord, le groupe Bolloré bénéficiera de droits de vote double au bout de deux ans, puis quadruple au bout de quatre. Surtout, une pilule empoisonnée a été glissée en cas d’OPA hostile, présentée ainsi par le PDG Yannick Bolloré : « seule une OPA amicale pourra avoir lieu puisqu’elle devrait obtenir l’aval du conseil d’administration pour être effective ».

Cette poison pill assure à la famille bretonne un contrôle durable sur l’agence de publicité, quelle que soit sa participation au capital. Comment ? En pratique, une fondation néerlandaise, baptisée Stichting Continuity Havas, jouera un rôle central. Elle détiendra une action préférentielle (golden share), qui disposera durant huit ans de superpouvoirs en cas de changement de contrôle, suite par exemple à une OPA hostile. Elle aura un droit de veto sur de très nombreuses décisions : le renvoi du président de Havas, la nomination d’un patron autre que Yannick Bolloré, son salaire, la nomination des autres cadres dirigeants… En outre, elle pourra aussi bloquer l’adoption des comptes annuels, et la distribution de dividendes. De quoi décourager bien des prédateurs…
Le conseil d’administration de cette fondation est composé de trois membres nommés pour une durée indéfinie. Officiellement, « il n’y a aucun conflit d’intérêts potentiel » entre Havas et ces trois personnes. En vérité, deux d’entre eux affichent une certaine proximité avec Vincent Bolloré. D’abord, Laurent Dassault, qui déclarait lui-même au Canard enchaîné en juin dernier : « je connais bien Vincent, on est très proches ». L’industriel breton a d’ailleurs fait rentrer l’héritier Dassault au conseil de surveillance de Vivendi en 2020.
L’autre est René Ricol, qui a été jusqu’à fin 2022 trésorier général de la Fondation de la deuxième chance créée par Vincent Bolloré. Son cabinet d’expertise comptable Ricol Lasteyrie est un des mécènes de cette fondation, et a eu pour client le groupe Bolloré. Une enquête des Échos le classe parmi les « compagnons de route » de l’industriel breton, et rappelle son aide lors du raid sur Bouygues en 1998. De son côté, Capital le présente comme un « conseiller du dimanche" du milliardaire catholique, avec qui il « échange depuis 20 ans". Ce duo est complété par un avocat néerlandais, Peter Corten.
A noter qu’Havas aura donc désormais son siège social à Amsterdam, et y tiendra ses assemblées générales d’actionnaires. En outre, après l’introduction en Bourse, le groupe Bolloré détiendra 31 % du capital, dépassant donc le seuil de 30 % déclenchant une OPA obligatoire sur le reste du capital. Mais il en sera exempté grâce à une disposition du droit néerlandais (dite « clause du grand père ») selon laquelle cette obligation ne s’applique pas si l’actionnaire détenait déjà plus de 30 % avant cotation.