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Continuer la lectureCette mission qui pourrait bouleverser le calcul de la copie privée
Les services de Rachida Dati ont commandé une étude sur la méthodologie d’évaluation - vieille de 12 ans ! - de cette taxe en faveur des ayants droit de la culture.

La commission copie privée finit l’année en chantier ! Comme nous le révélions en octobre 2023, l’instance chargée d’encadrer la taxe sur les smartphones, les tablettes et peut-être bientôt les ordinateurs en faveur des sociétés de gestion collective (SACEM…) mène actuellement des études d’usages auprès d’un panel d’utilisateurs. L’idée ? Jauger leurs habitudes de copies d’œuvres sur ces trois supports, qu’ils soient neufs ou d’occasion. Très schématiquement, plus les sondés indiqueront copier des films, musiques ou séries, plus les créateurs pourront espérer des taux de perception élevés, et inversement. Les résultats sont attendus d’ici quelques semaines, pour une mise à jour de la taxe en 2025. Mais en parallèle, d’autres travaux cruciaux sont conduits au sein de la commission, où siègent 12 représentants de la culture, 6 représentants des consommateurs et 6 importateurs et fabricants de produits : l’actualisation des prix de référence. Ce chantier névralgique doit permettre de fixer les futurs niveaux de taxes. Pour accompagner cette réforme, le ministère de la Culture vient de confier une mission à Pierre-Jean Benghozi, directeur de recherche émérite au CNRS et à l’École polytechnique. L’Informé a consulté la lettre qui vient de lui être envoyée, signée Luc Allaire, secrétaire général du ministère de la Culture.
Objectif assigné à Benghozi ? Apporter des « éclairages méthodologiques » pour actualiser les précieux calculs, « au regard notamment du marché, de ses pratiques et des modes de consommation des œuvres culturelles ». Et ses conclusions seront à rendre au plus tard le 31 mars 2025. Dans le cadre de cette mission, le directeur de recherche pourra consulter les membres et le président de la commission, et même recueillir les précisions nécessaires auprès de Yannick Faure, le chef du service des affaires juridiques et internationales de Rachida Dati. D’ores et déjà, le ministère lui rappelle que les niveaux de taxe copie privée doivent être établis en tenant compte du « préjudice potentiel » subi par les créateurs d’œuvres. Ce préjudice, qui varie suivant le type de contenus (films, textes, etc.) et de produits informatiques, est celui consécutif à la liberté laissée à chaque consommateur de réaliser des copies sans l’autorisation des artistes. En mars 2019, la commission copie privée avait déjà précisé qu’il devait être lié « au revenu globalement analogue à celui que procurerait le paiement d’un droit par chaque auteur de copie privée s’il était possible de l’établir et de le percevoir pour chaque copie privée d’œuvre (sonore, audiovisuel, écrit, image fixe), fixé à partir des données économiques connues du marché ». En pratique, pour déterminer ces montants, deux critères sont pris en compte : le volume de copies d’œuvres, mesuré par les études d’usages, et la valeur économique estimée de ces copies.
Consultée, l’Inspection générale des finances avait sèchement épinglé la méthodologie actuelle. Et pour cause, elle « n’a pas été mise à jour depuis 2012 et repose sur des hypothèses parfois obsolètes au regard de l’exploitation numérique des œuvres ». En matière de vidéo, l’équation retient par exemple le tarif « d’un DVD, d’un Blu-ray et de quatre places de cinéma, à leur prix en vigueur en 2010 et sans prise en compte de la vidéo à la demande ». Dans ce panier, le coût d’une place de cinéma retenu est de 6,32 € (HT) « alors qu’il est actuellement de 7,04 € en moyenne », relevait encore l’Inspection. D’autres ingrédients sont beaucoup plus favorables aux industries culturelles. Le prix d’un DVD est par exemple fixé à 11,20 €, alors que ce montant vieux d’une quinzaine d’années s’approche aujourd’hui des 5 euros. Même anachronisme pour le prix des Blu-Ray (22,30 € HT retenus, quand le tarif moyen a fondu à 8,53 € HT en 2021). Plus ces valeurs de référence sont élevées, plus les industries culturelles peuvent percevoir. Dans le courrier du ministère, le bras droit de Rachida Dati rappelle tout de même à Pierre-Jean Benghozi que la taxe « constitue une part substantielle des ressources des ayants droit et est une composante essentielle du financement de la vie culturelle française ».
La formule indigeste de la copie privée
Pour calculer le montant de la taxe pour chaque produit, la commission a adopté la formule suivante, inchangée depuis 2012 : ((TR x V/CM)- A) x CO. Comme résumé par l’IGF, le paramètre « TR » est le taux de référence calculé en tenant compte de plusieurs critères, parfois complexes : d’abord, « la sélection, pour chaque répertoire, d’éléments de rémunération de référence, i.e. d’équivalents licites qui auraient pu se substituer à l’acte de copie privée dans la situation contrefactuelle ». Ensuite, « la mesure, pour chacun des équivalents licites, des revenus globaux générés par l’exploitation autorisée en application des droits exclusifs », mais aussi « la quote-part revenant aux ayants droit ». Enfin « l’application d’un abattement de 85 % à cette quote-part », qui vient valoriser la copie à hauteur de 15 %, un montant négocié en 2001. Toujours dans l’équation, « V » est le volume moyen de copies (de source licite, donc sans tenir compte des copies pirates) par types d’œuvres déclarées au fil des études d’usages. CM est la capacité moyenne d’enregistrement pour chaque type de produit électronique. « A » est un abattement destiné à contenir l’impact économique de la taxe sur le marché des supports concernés. Enfin, le coefficient « CO »permet de prendre en compte que le nombre de copies n’est pas proportionnel à la capacité de stockage d’un appareil (il n’y a pas forcément deux fois plus de copies sur un smartphone de 64 Go par rapport à un modèle ne disposant que de 32 Go). L’IGF avait dénoncé plusieurs problèmes dans ces calculs. Elle citait par exemple un biais de « désirabilité sociale », qui conduit un sondé interrogé lors des études d’usages à sous-déclarer ses pratiques illicites, ou encore le calibrage des barèmes, inadaptés face à l’augmentation des capacités de stockage sur le marché des smartphones. « Ainsi, en dépit du caractère progressif du barème des téléphones portables, plus de la moitié des téléphones facturés se voient appliquer le tarif maximal de RCP (14 €) ». Sachant qu’au final, les montants théoriques sont sujets à négociations entre les différentes parties réunies en commission.