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Continuer la lectureSuccession, organigramme… comment Jérôme Seydoux prépare Pathé à la Bourse
Le président du géant du cinéma vient de créer une holding pour en verrouiller le contrôle familial. Mais tous les héritiers n’y sont pas.

« Un pour tous, et tous pour… Jérôme Seydoux. » À 89 ans, le président de la société Pathé continue de régner avec autorité et sans partage sur son empire cinématographique. Cette année, il a même pris de gros risques en sortant le 13 décembre le film Les Trois Mousquetaires : Milady seulement huit mois après la première partie d’Artagnan - deux gros budgets (36 millions d’euros pour chacun). « Jérôme est toujours aux affaires et cherche à développer de grosses productions, de gros divertissements pour toucher un public très large, note un connaisseur. Il se rend tous les jours au travail, fait de la gym quotidiennement, ne boit pas et suit un régime alimentaire strict.» Dans une phrase citée par Le Monde, l’intéressé résumait ainsi sa philosophie de vie : « Il ne faut pas prendre sa retraite et il convient de mourir en scène. »
Mais avant d’en arriver là, l’octogénaire met en ordre ses affaires. Il faut dire qu’elles sont multiples. Le président de la société de cinéma créée en 1896, a diversifié son groupe dans la production de films et de séries, la captation de concerts et de spectacles, ainsi que dans les multiplexes (857 écrans en France). Il a aussi acheté des salles dans cinq pays : Belgique, Pays-Bas, Suisse, Sénégal et Tunisie. Et désormais, il vise la Bourse en 2024 comme il l’a évoqué à plusieurs reprises publiquement.

Pour s’y préparer, le grand-père de l’actrice Léa Seydoux a discrètement réalisé plusieurs opérations ces derniers mois. Il a d’abord simplifié l’organigramme, en intégrant à la maison mère les filiales Pathé Films et Pricel (filiale de production télé). Surtout, il a créé fin septembre une holding, Seydoux Family, a appris l’Informé. Dans cette structure (dont il détient 97 %) ont été transférées 51 % de Pathé, afin de sécuriser la majorité du capital. À cette occasion, la major a été valorisée 1,2 milliard d’euros, hors dettes, en se basant sur une expertise du cabinet Accuracy. Les 49 % du capital restant sont toujours détenus en quasi-totalité par Jérôme Seydoux. Ce sont ces titres qui pourraient être cédés en Bourse, au moins partiellement. Les statuts de la holding évoquent clairement l’hypothèse d’une cotation sans en préciser toutefois les modalités.
Ce passage de témoin cache toutefois une surprise : le patriarche a sélectionné une partie - et une partie seulement - de ses multiples héritiers pour entrer dans Seydoux Family comme dirigeants et actionnaires. Il a d’abord retenu sa fille Charlotte, qu’il a eue avec sa première femme Hélène Zumbiehl. Vient ensuite son fils Jules, né de sa seconde union avec Sophie Desserteaux-Bessis. Cette dernière figure aussi dans la structure au côté de sa fille Pénélope, née d’un premier mariage puis adoptée par Jérôme. Deux dirigeants de Pathé, Edouardo Malone et Anne-Laure Julienne-Camus, font également partie du conseil de direction. Toute éventuelle cession d’actions à un tiers devra être validée par leurs soins. En revanche, manquent à l’appel trois des enfants conçus avec sa première épouse (Henri, Ludovic, Alexis) et deux autres de la seconde (Thomas et Raphaëlla), ensuite adoptés par le président de Pathé.
Pour séduire les analystes financiers, Jérôme Seydoux a aussi réduit l’endettement de Pathé de 30 %, de 1,1 milliard à 776 millions d’euros fin 2022. Notamment grâce à la vente de la participation dans l’Olympique lyonnais (136 millions d’euros) et des murs de ses salles aux Pays-Bas (96 millions). Les investisseurs seront aussi rassurés de voir que le chiffre d’affaires est presque revenu à son niveau préCovid (846 millions d’euros en 2022) et que le bénéfice net avoisine les 100 millions d’euros. L’exploitation de salles (87 % des revenus) est redevenue rentable dès 2021.
Un parc de salles géré sans état d’âme
Pour maintenir la rentabilité de son réseau, Pathé n’hésite pas à abandonner des établissements historiques qui font de l’ombre à d’autres salles du groupe. Il vient encore de fermer deux écrans mythiques à Paris : le Gaumont Marignan et le Bretagne, après avoir déjà fermé le Gaumont Ambassade et le Mistral en 2016, et le Bienvenüe Montparnasse en 2012. Parfois, la chaîne achète des salles concurrentes pour mieux les supprimer ensuite. Le Bretagne, le Mistral et le Bienvenüe Montparnasse avaient ainsi précédemment été rachetés à la famille Rytmann.
Dans son scénario idéal, Jérôme Seydoux visait des performances encore meilleures pour l’exercice 2023 afin d’entrer triomphalement en Bourse en 2024. Hélas, les comptes de cette année devraient être plus mitigés. Sur les quatre blockbusters à très gros budget alignés sur la ligne de départ, deux ont franchement déçu. La vie pour de vrai de Dany Boon (29 millions d’euros dont 13 millions venant de Pathé), n’a attiré que 803 000 curieux. Quant à Astérix et Obélix, l’empire du milieu, il a certes attiré 4,6 millions de fans, mais il en aurait fallu 6 millions pour amortir son budget colossal de 64 millions (dont 24 millions de Pathé). Le premier volet des Trois mousquetaires a tiré son épingle du jeu avec 3,3 millions d’aficionados, pour un budget de 36 millions (dont 21 millions déboursés par Pathé). « Astérix et Obélix, l’empire du milieu mais aussi La vie pour de vrai et même les Trois Mousquetaires n’ont pas réalisé suffisamment d’entrées en salle pour être rentables, note un expert du secteur. Mais Jérôme est quelqu’un de très têtu qui n’écoute que lui. Et s’il a décidé d’aller en Bourse, il ira. » De fait, malgré ces petites déceptions, Pathé finira l’année en cinquième position des plus grands distributeurs français, derrière les américains Disney, Universal, Warner et Paramount, avec 11 films et 10,9 millions de billets vendus, selon CBO Boxoffice.
L’homme d’affaires a un autre atout dans sa manche pour réussir sa cotation : Anne-Laure Julienne-Camus. Il l’a nommée en mai dernier directrice générale de Pathé. Ancienne manager et associée chez PwC, elle a déjà préparé la cotation de sociétés en France et aux États-Unis. « Si elle a rejoint Pathé ce n’est pas pour rien, explique Frédéric Fiore, patron du fonds Logical Content Ventures et co-investisseur de plusieurs films Pathé(1). Le projet industriel du groupe est un des plus excitants en Europe et elle est parfaite pour porter cette ambition. » Reste à espérer qu’Anne-Laure Julienne-Camus donne satisfaction à l’exigeant dirigeant. Par le passé, Jérôme Seydoux a remercié une longue liste de dauphins potentiels : François Ivernel, Romain Le Grand, puis Marc Lacan. Il a même parfois présenté sa seconde épouse Sophie (73 ans) comme son successeur naturel.
Réorganisé et piloté par une DG expérimentée, Pathé semble paré pour le grand saut. Reste un point noir : l’environnement économique. La fréquentation des cinémas n’a toujours pas retrouvé son niveau d’avant la crise du Covid. Avec 163 millions d’entrées enregistrées sur les onze derniers mois en 2023, ce chiffre reste inférieur de 12 % aux années 2017-19, selon le Centre national du cinéma. La concurrence des plateformes de vidéo-à-la-demande fait mal. Et les longues grèves des scénaristes et des acteurs américains vont retarder de plusieurs mois de nombreuses grosses sorties. Outre-atlantique, le plus grand opérateur de multiplexes, AMC, a vu sa valeur s’écrouler de près de 80 % depuis janvier 2020, avant la crise du Covid. Tandis que son concurrent, Cinemark, a enregistré une chute de 55 %. Le belge Kinepolis, présent dans 8 pays, a perdu 26 % sur la période. Et en France, CGR, a été mis en vente, mais n’a pas trouvé preneur au prix espéré en début d’année.
Si le projet de cotation est bel et bien maintenu, reste à savoir quelles seront les banques sélectionnées. Dans le passé, Jérôme Seydoux a été conseillé par Grégoire Chertok, associé gérant chez Rothschild, et grand cinéphile. Mais ce dernier est déjà administrateur et petit actionnaire (moins de 1 %) du rival UGC. Circule aussi le nom de BNP Paribas, qui a conseillé Pathé lors de la vente de CGR.
Pour l’heure, le parrain du cinéma français ne laisse rien filtrer, et n’a pas répondu à nos sollicitations. Seule certitude, ses options pour préparer son héritage deviennent de plus en plus limitées : la fusion proposée à son rival UGC a été refusée et la recherche d’un actionnaire minoritaire, comme Xavier Niel (actionnaire de l’Informé) n’a pas abouti. Le vieux lion n’a toutefois pas dit son dernier mot. Il attend son heure, patiemment.
Contacté à de multiples reprises, Pathé n’a jamais répondu.
Quand Jérôme donne un coup de main à son fils Henri
Henri Seydoux a longtemps eu des relations très fraîches avec son père Jérôme en raison d’un drame familial : le suicide de sa mère Hélène en 1989. D’ailleurs, il ne figure pas dans Family Seydoux, la nouvelle société propriétaire de Pathé. Pourtant, leurs relations se sont réchauffées notamment quand Jérôme Seydoux est venu épauler son fils en 2015. Le dirigeant du fabricant de drones Parrot et père de l’actrice Léa Seydoux cherche alors des fonds pour son entreprise d’électronique cotée en Bourse. Jérôme, via sa société Ojej, investit alors 8,5 millions d’euros dans Horizon, la holding d’Henri actionnaire de Parrot. Un coup de main bienvenu. Deux ans plus tôt, le fils Seydoux avait déjà renfloué Horizon en apportant pour 205 millions d’euros d’actions Christian Louboutin.
(1) Fiore a prévu de cofinancer plus d’une quinzaine de films Pathé en investissant 1 à 5 millions d’euros à chaque fois. Plusieurs sont déjà sortis comme Second Tour d’Albert Dupontel (près d’un million d’entrées) ou Acide avec Guillaume Canet (239 000 entrées). D’autres créations arrivent en 2024, dont un biopic sur le général de Gaulle.