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Continuer la lectureCe que la Sacem prélèvera désormais sur les musiques d’enterrement
L’organisme de gestion collective a signé avec les professionnels du funéraire sa nouvelle grille tarifaire. La dîme pourrait grimper au-delà des 20 euros par cérémonie.

Le sujet de la taxation des musiques jouées à l’occasion des enterrements n’est pas mort. La société chargée de collecter les droits pour les morceaux diffusés dans les lieux accessibles au public vient même de signer un accord de branche avec la Fédération nationale du funéraire (FNF), l’Union du pôle funéraire public (UFPF) et la Fédération française des pompes funèbres (FFPF). Le mécanisme permet aux opérateurs du secteur d’être couverts en cas de contrôle, puisque les morceaux passés à l’occasion de ces derniers hommages sont générateurs de droits pour les industries culturelles (droits d’auteur, pour la Sacem et « rémunération équitable » pour la Spré, un autre organisme de gestion collective). Si les deux organismes se sont félicités de cette signature dans un communiqué, rien n’a fuité sur le contenu de cet accord. L’Informé soulève le couvercle.
Tout d’abord, le deal retient le « convoi » comme critère de taxation. Derrière cette expression, on trouve la cérémonie d’obsèques, à savoir toutes les étapes des dernières marches de la vie d’une personne : de la commande de prestations funéraires « jusqu’à ce qu’il soit donné, au corps du défunt ou à ses cendres, une destination définitive », écrit poétiquement la présentation du document consultée par l’Informé. C’est l’opérateur fournissant le cercueil qui sera au final redevable des sommes dues. En pratique, les opérateurs devront chaque année déclarer l’ensemble de leurs « convois » réalisés en année N-1 pour les régulariser en N. Avec une précision de rigueur : cette déclaration devra se faire qu’il y ait ou non diffusion effective de musique.
Pour bien comprendre pourquoi, l’accord part du principe qu’en moyenne, seul un quart des cérémonies est accompagné de morceaux « selon les cultes ou [les] usages ». Avec un tel ratio, la SA applique une décote de 75 % sur le nombre de convois déclarés. Sur les 660 000 décès déclarés chaque année environ, ce système permet donc de conserver forfaitairement 165 000 cérémonies comme base de taxation. Cette règle n’aurait pas été fixée à la louche mais à partir « des réponses apportées par les entreprises lorsque nous les avons interrogées sur le choix des musiques diffusées lors de cérémonies », nous confie Florence Fresse, déléguée générale de la Fédération française des pompes funèbres (FFPF). « Tous les opérateurs ont été sondés, abonde Manuel Sauveplane, président de l’UPFP. Nous avons regardé le nombre de cérémonies accompagnées de musique et sommes tombés d’accord sur ce chiffre. Cela aurait pu être plus, cela aurait pu être moins ».
Les entreprises adhérentes aux fédérations vont désormais recevoir « un lien vers une plateforme dématérialisée Sacem dédiée où elles s’identifieront, explique la FNF. Elles signeront un contrat de représentation et ensuite compléteront leurs déclarations de nombre de cérémonies totales réalisées à l’année N-1. Elles recevront une facture de redevance Sacem et Spré sur la base du prix retenu dans l’accord, sur l’assiette de 25 % des cérémonies totales ». Il importera peu « qu’il y ait diffusion ou non de musique aux diverses étapes et lieux potentiels », insiste la déclaration. Avec un tel régime, des droits risquent donc d’être parfois payés alors qu’il n’y aura pas une seule musique diffusée lors d’un enterrement ou inversement, d’autres fois des paiements seront éludés alors qu’il y aura eu plus de 25 % de convois avec musique. « C’est ce que l’avenir nous dira », réagit prudemment Florence Fresse (FFPF). « C’est le principe d’un forfait annuel qui s’appuie sur une moyenne » ajoute Manuel Sauveplane (UPFP). « Avant l’accord, la Sacem ne recevait pas ce qu’elle devait recevoir et certains d’entre nous payaient beaucoup trop pour les autres ».

Le document consulté par l’Informé fournit plusieurs exemples de calculs. Un prestataire ayant organisé 250 cérémonies en 2024 serait taxé sur 63 convois (250 divisé par 4, arrondi au chiffre supérieur). Dans cette hypothèse, le montant dû atteindrait le maximum de 7,74 euros par convoi, soit un total de 482,62 € TTC sur l’année. Ce tarif connaît plusieurs exceptions qui permettent d’en réduire l’addition. Les sociétés funéraires qui signeraient l’accord Sacem directement sur le site de leur fédération profiteront d’un tarif plus bas, à charge pour leur représentant de centraliser les déclarations : 4,80 euros TTC par cérémonie (soit 302,40 euros pour les 63 convois). Les grands comptes, avec plus de 10 boutiques funéraires, profiteront d’un taux encore plus avantageux, à 4,65 euros par convoi. L’accord de branche prévoit aussi des minima de perception pour les PME du funéraire (372,30 et 265,74 euros, selon qu’elles sont ou non adhérentes des fédérations). Pour un petit opérateur qui n’organiserait que 50 cérémonies dans l’année, en tenant compte de la décote de 75 %, le prix de chaque cérémonie effectivement taxée sera donc de 29,78 euros (372,30/(50*0,25)). La FNF salue un système qui facilite les déclarations et offre aux entreprises de pompes funèbres la liberté « des modalités d’intégration dans leurs coûts ». Une mesure qui subit quelques critiques. « Tous les opérateurs funéraires vont donc devoir verser la redevance (dont le montant était inconnu jusqu’à ce jour) depuis le 1er janvier 2024 (l’accord est rétroactif ndlr.), donc sans l’avoir perçue auprès des familles » commente l’une des entreprises du secteur, qui souhaite rester anonyme. Car évidemment, des acteurs du funéraire comptent bien répercuter sur leurs clients la dîme des ayants droit.
Cet accord met fin à une longue bataille judiciaire. Elle avait notamment opposé le groupe OGF (membre de la FNF) et la Sacem. Selon nos informations, les deux parties sont parvenues à un accord transactionnel en décembre dernier pour éteindre la procédure d’appel initiée par la société propriétaire des Pompes funèbres générales. Le 31 janvier 2024, celle-ci avait été condamnée par le tribunal judiciaire de Paris pour contrefaçon, pour avoir joué des musiques sans autorisation lors de ces derniers hommages. Malgré un contrat signé entre 2006 avec la Sacem, OGF ne souhaitait plus verser son obole. Le géant des pompes funèbres considérait en substance que les musiques lors des obsèques étaient diffusées gratuitement dans un cercle limité à la famille et aux quelques amis, permettant de profiter d’une exception au monopole du droit d’auteur. Un argument rejeté par la justice, compte tenu du volet économique de cette prestation proposée par une société commerciale. Contactés, la Sacem et le groupe OGF n’ont pas répondu à nos questions sur cette transaction.
Pour leur part, les fédérations n’étaient visiblement pas prêtes à prendre les armes judiciaires. « Mais la tournure de la procédure étant favorable à la Sacem, il nous a semblé important de rencontrer la direction de la Sacem afin de négocier un accord pour protéger nos adhérents en cas de diffusion de musiques soumises à des droits », explique Florence Fresse (FFPF). Une posture pacifique partagée par l’UPFP : « Je ne vois pas pourquoi le secteur funéraire serait exonéré ad vitam aeternam de cette taxe, à partir du moment où son niveau est raisonnable et que nos exigences ont été écoutées. Je privilégie toujours la discussion au litige ». De son côté, la FPF fait appel « au sens de responsabilité » pour justifier cette signature. Il s’agissait de « sécuriser juridiquement l’usage des œuvres musicales dans un cadre funéraire, tout en veillant à la rémunération des créateurs et des ayants droit ».
Ces paiements couvrent la possibilité de diffuser de la musique « dans les espaces commerciaux et de vente des établissements de pompes funèbres », mais aussi « dans les parties communes des établissements accueillant les cérémonies (couloirs, halls, entrées, salles d’attente… des chambres funéraires, crématoriums…) ». Par contre, il ne concerne pas les musiques d’attente téléphoniques ou encore les diffusions par des opérateurs funéraires qui se limitent à gérer un lieu (espace commercial ou administratif, chambre funéraire, etc.), sans organiser de convoi. Ces autres cas exigent d’autres contrats de rémunérations spécifiques.