L'abonnement à l'Informé est à usage individuel
Un autre appareil utilise actuellement votre compte
Continuer la lectureCanal+, OCS… la TVA sur les chaînes payantes doit passer de 10 % à 20 % selon la justice
La cour administrative d’appel a jugé que le taux réduit ne pouvait plus s’appliquer à OCS. Une décision qui concernera aussi Canal+.

La TVA sur la télévision payante doit-elle rester à 10 % ou grimper à 20 % ? Depuis deux ans, le débat fait rage entre des chaînes comme Canal+ ou OCS et Bercy. Pour le fisc, les abonnés regardent de plus en plus les programmes à la demande, via Internet ou les box : la TV payante doit donc désormais être considérée comme un service fourni par voie électronique et être taxée comme tel, à taux plein. C’est d’ailleurs le régime appliqué aux plateformes de vidéo-à-la-demande illimitée par abonnement (SvoD), comme Netflix, Disney +, Amazon Prime Video, Apple TV +, Max, etc.
Selon nos informations, la justice vient de se prononcer sur le sujet, en donnant raison à l’administration. Saisie par OCS, la cour administrative d’appel de Paris s’est prononcée pour la première fois sur le sujet, jugeant que « le taux de TVA de 20 % est applicable à l’ensemble de l’abonnement ».
Sur le fond, le débat porte sur l’importance du service de rattrapage proposé par les chaînes à leurs abonnés, qui permet de voir les émissions à la demande. Si ce service de replay reste « accessoire » par rapport à la diffusion à l’antenne, alors la TVA peut rester à 10 %. Sinon, le taux doit grimper à 20 %, comme l’ont finalement estimé les juges d’appel, en se basant sur plusieurs éléments. D’abord, la chaîne linéaire représente en moyenne seulement 51 % du temps de visionnage des abonnés, le reste étant lié à des contenus à la demande. Surtout, le replay permet de voir des contenus « plusieurs mois voire plusieurs années » après leur diffusion TV, et propose même des émissions jamais passées à l’antenne, comme les anciennes saisons de séries. Pour les juges d’appel, le replay n’est donc pas un service accessoire pour le téléspectateur, en raison de cette longue durée.
La cour d’appel a ainsi désavoué le tribunal administratif, qui avait tranché en sens inverse il y a un an. Selon les magistrats de première instance, le rattrapage représentait une « part minime » aussi bien dans l’usage, que dans les coûts de programmes. Ils s’étaient aussi appuyés sur un sondage réalisé par OCS auprès de ses clients qui montrent que 73 % d’entre eux se sont abonnés pour la diversité et la qualité des films, 72 % pour le nombre de chaînes et seulement 43 % pour accéder au rattrapage.
Quant à Bercy, il avait publié sa position en août 2023 au Bulletin officiel des finances publiques (Bofip). Pour l’administration, si la durée du replay est inférieure à un mois, alors le service peut bénéficier de la TVA à 10 %. Inversement, ce taux réduit ne s’applique pas si un film est diffusé à de multiples reprises durant un an et disponible en rattrapage durant deux semaines après chaque diffusion, alors « le film est en fait, via la fonctionnalité de rattrapage, accessible à la demande à tout moment ou sur une période significative de l’année ».

Jurisprudence
Cette décision a été rendue dans un litige initié en 2022 par OCS, qui a depuis été racheté par Canal. Elle n’est pas définitive, un pourvoi en en cassation étant toujours possible devant le Conseil d’État. Mais elle devrait faire jurisprudence et s’appliquer à tous les acteurs, y compris Canal+. Dans son prospectus d’introduction en Bourse, la chaîne cryptée juge le cas d’OCS « similaire » au sien. L’enjeu financier est important pour la filiale de Vivendi. En effet, le fisc lui a notifié des redressements à ce sujet de 525 millions d’euros pour la période mai 2019 à décembre 2021, soit 230 millions d’euros par an, comme l’avait révélé l’Informé. Mais la douloureuse pourra être contestée devant la justice administrative, avec toutefois peu de chances de succès vu la jurisprudence qui se dessine.

Tour de passe-passe
Face à ce problème de TVA, Canal+ dispose de plusieurs parades. D’abord, la chaîne cryptée pourrait revoir son modèle de replay, c’est-à-dire en réduisant sa durée à un mois. Surtout, depuis l’été 2023, elle présente ses offres différemment lors de la souscription. Désormais, elles sont découpées en deux briques : d’une part la TV linéaire et le rattrapage (taxée à 10 %), et d’autre part le service Canal+ à la demande et les plateformes de SVoD (taxés à 20 %). Cette dernière composante est proposée à seulement 2 euros par mois, un prix particulièrement bas. Par exemple, l’offre à 27,99 euros par mois se décompose entre une partie à 25,99 euros (Canal+ en live et en replay) et une autre à 2 euros (Canal+ à la demande, Apple TV +, Paramount +). Ce découpage permet donc d’appliquer la TVA à taux plein sur une toute petite partie de la facture, et ainsi de l’appliquer le moins possible. Un étrange micmac puisque les services officiellement proposés pour 2 euros en valent bien plus : Apple TV + est vendu 10 euros par mois, et Paramount + 8 euros. Et d’ailleurs, il n’est d’ailleurs pas possible de s’y abonner séparément en payant seulement deux euros par mois. Ce tour de passe-passe devrait donc probablement être remis en question par le fisc.

Deux ans de débat
- 12 mai 2021 : Canal+ présente à Bercy une demande de rescrit sur la TVA applicable
- 21 avril 2022 : Bercy répond à Canal+ que le taux de 20 % est applicable à certaines offres. Canal+ demande un second examen
- Juin 2022 : Canal+ envoie à ses abonnés un courrier indiquant : « les autorités fiscales nous ont informés que le taux de TVA applicable à certaines de nos offres était désormais de 20 % et non plus de 10 %. Cette augmentation nous contraint à augmenter le tarif de votre abonnement »
- 30 juin 2022 : le président du directoire de Canal+ Maxime Saada déclare lors d’une audition au CSA qu’une hausse de la TVA à 20 % va « remettre en cause notre modèle, et aura des conséquences sur tout l’écosystème et les conditions de financement du cinéma… On est parvenus difficilement à l’équilibre en France et on n’y est pas tout à fait. Là, on rebasculerait dans le rouge… Si Canal Plus se retrouve demain à 20 %, on ne pourra pas supporter 200 millions d’euros de dépenses cinéma… Sans l’avantage d’un taux à 10 %, on ne voit pas bien l’intérêt de rester un acteur investi dans la télévision linéaire, si ce n’est que pour avoir les inconvénients. »
- 23 septembre 2022 : le collège national de second examen confirme la position des services de Bercy, et estime que la TVA de 10 % ne peut s’appliquer qu’à un service de rattrapage cohérent avec la diffusion antenne et d’une durée courte
- Automne 2022 : Canal+ augmente ses tarifs d’environ 10 %. La hausse est appliquée immédiatement pour les offres sans engagement, et au renouvellement du contrat pour les abonnés engagés sur 12 ou 24 mois. En pratique, l’offre d’entrée de gamme passe de 25 à 28 euros. Le bundle Ciné séries augmente de 41 à 46 euros, et sa version moins de 26 ans de 20,5 à 23 euros.
- 2023 : Bercy lance un contrôle fiscal sur la TVA appliquée en 2020 et 2021
- 23 août 2023 : Bercy publie sa doctrine au Bofip, Canal+ fait un recours en Conseil d’État. Parallèlement, Canal+ modifie ses offres, avec une TVA à 20 % qui s’applique seulement sur une brique vendue facialement 2 euros.
- 23 juillet 2024 : le Conseil d’État rejette le recours de Canal+ contre les commentaires au Bofip
- 25 juillet 2024 : le directeur financier de Vivendi François Laroze déclare : « Aujourd’hui, les jeux ne sont absolument pas faits. Il y a toujours des discussions avec les autorités fiscales françaises, qui se termineront avec un peu de chance avant la fin de l’année. Nous considérons que la décision [du Conseil d’État] n’est pas une décision finale. Nous pensons toujours être capables de convaincre les autorités fiscales que nous opérons un service de télévision et pas de streaming. »
- 13 décembre 2024 : le président du directoire de Canal+ Maxime Saada déclare au Figaro : « Nos obligations dans le cinéma sont la contrepartie d’un taux de TVA réduit. La consommation de Canal+ reste majoritairement linéaire. La réglementation qui s’impose à nous est celle de la télévision linéaire. Et l’on voudrait nous imposer le même taux de TVA que les plateformes ! Nous essayons de trouver un terrain d’entente [avec Bercy]. Si nous n’y parvenons pas, nous pourrions envisager des contentieux »
- Janvier 2015 : Canal+ augmente ses tarifs de 2 euros. L’offre d’entrée de gamme passe ainsi de 28 à 30 euros. Parallèlement, Maxime Saada déclare au Sénat : « aujourdhui, certains dans l’administration fiscale prétendent que Canal devrait être soumis à 20% qui est le taux des plates formes, en indiquant que Canal s’est transformé en plateforme. Nous le contestons. Canal est un ensemble de chaînes linéaires. L’essentiel de la diffusion et des investissements, c’est linéaire. Une partie de l’offre de Canal correspond bien à ces 20%, mais la question c’est combien, et certainement pas la totalité. C’est 200 millions d’euros de couts supplementaire pour un groupe qui perd de l argent en France ».