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Continuer la lectureCanal+ : ce contentieux avec Bercy qui pourrait lui faire perdre 200 millions d’euros par an
Le gouvernement veut relever de 10 % à 20 % le taux de TVA applicable sur les abonnements à la chaîne. La filiale de Vivendi a saisi le Conseil d’État, qui l’a déboutée.

Canal perd une manche dans son match face à Bercy. Depuis plus de deux ans maintenant, le fisc estime que la chaîne cryptée doit s’acquitter d’une TVA à taux plein sur ses offres. Le raisonnement de l’administration ? Les abonnés regardent de plus en plus les programmes à la demande, via Internet ou les box. Dès lors, le taux applicable n’est plus celui de la télévision traditionnelle dite « linéaire » (10 %), mais celui des services fournis par voie électronique (20 %). C’est d’ailleurs le régime auquel sont soumises les plateformes de vidéo-à-la-demande illimitée par abonnement, comme Netflix, Disney +, Amazon Prime Video, HBO Max, etc. Ce changement de paradigme reviendrait à un surcoût de 200 millions d’euros par an pour la filiale de Vivendi. Remontée, elle a saisi le Conseil d’État pour s’éviter cela. Mais selon nos informations, la haute juridiction l’a déboutée aujourd’hui.
La bataille a commencé en avril 2021, lorsque Canal+ demande à Bercy d’expliciter sa position dans un rescrit fiscal. Un an plus tard, le ministère de l’économie lui répond que la TVA peut rester à 10 % si le service de replay reste de courte durée et cohérent avec la grille de programmes. La filiale de Vivendi saisit alors un instance de recours interne à Bercy, le collège national de second examen des rescrits, qui confirme la position de l’administration. En juin 2022, la chaîne décide d’informer ses abonnés qu’elle va répercuter la douloureuse sur leurs factures. « Les autorités fiscales nous ont informés que le taux de TVA applicable à certaines de nos offres était désormais de 20 % et non plus de 10 %. Cette augmentation nous contraint à augmenter le tarif de votre abonnement », leur annonce un courrier révélé par les Échos.
Peu après son courrier aux abonnés, Canal met sa menace à exécution, et augmente discrètement certains tarifs pour les nouveaux abonnés, ou lors des renouvellements de contrats. L’offre d’entrée de gamme passe de 25 à 28 euros. Le bundle Ciné séries grimpe de 41 à 46 euros. Les anciennes offres qui ne sont plus commercialisées ont aussi été augmentées, comme l’Intégrale (qui a bondi de 100 à 110 euros) ou Integrale+ (passée de 110 à 121 euros).
Auditionné mi-2022 par l’Arcom, son président du directoire Maxime Saada dénonce alors un projet qui va « remettre en cause notre modèle et qui aura des conséquences sur tout l’écosystème et les conditions de financement du cinéma… On est parvenus difficilement à l’équilibre en France et on n’y est pas tout à fait. Là, on rebasculerait dans le rouge… Si Canal Plus se retrouve demain à 20 %, on ne pourra pas supporter 200 millions d’euros de dépenses cinéma… Sans l’avantage d’un taux à 10 %, on ne voit pas bien l’intérêt de rester un acteur investi dans la télévision linéaire, si ce n’est que pour avoir les inconvénients. » A l’époque, le patron de la chaîne envisage donc en creux de rendre ses fréquences de diffusion en télévision hertzienne terrestre (TNT). Une menace qui n’a pas été mise à exécution à ce jour. Au contraire, le canal contrôlé par Vincent Bolloré a demandé le renouvellement de sa fréquence.
Parallèlement, la chaîne continue à discuter avec Bercy, qui arrête finalement une position en août 2023, publiée au Bulletin officiel des finances publiques (Bofip). Le ministère estime que la TVA peut rester à 10 % tant que les services à la demande restent « accessoires » par rapport à la diffusion TV linéaire. Reste à définir ce qui est « accessoire » de ce qui ne l’est pas. Facile à dire, mais difficile à faire. Dans son texte, l’administration tente de donner des exemples, pas toujours très clairs. Ainsi, si les émissions « restent disponibles en rattrapage sur des périodes au plus égales à un mois postérieurement à leur diffusion », alors le taux réduit s’applique. En revanche, si un long métrage est diffusé à de multiples reprises durant un an et disponible en replay durant deux semaines après chaque diffusion, alors « le film est en fait, via la fonctionnalité de rattrapage, accessible à la demande à tout moment ou sur une période significative de l’année ». Dès lors, un tel service ne relève pas de la TV linéaire et donc n’est pas éligible à la TVA à 10 %. Un cas qui correspond grosso modo au modèle appliqué actuellement par Canal+, où les films sont disponibles en replay durant plusieurs mois.
Décidée à ne pas se laisser faire, la filiale de Vivendi a alors décidé de contester cette nouvelle doctrine en Conseil d’État. Sans succès, donc…
Est ce pour autant la fin de l’histoire ? Pas forcément. D’abord, le sujet est politique : la mansuétude de Bercy dépend aussi des relations entre le pouvoir en place et le groupe Bolloré. Ensuite, la chaîne pourrait aussi bénéficier du taux de TVA réduit en revoyant son modèle de replay, c’est-à-dire en réduisant sa durée à un mois.
Surtout, deux autres batailles se déroulent en parallèle, selon nos informations. D’un côté, Bercy a lancé l’an dernier un contrôle fiscal de Canal+ portant sur les années 2020 et 2021. L’administration estime qu’une TVA à 20 % aurait dû être appliquée dès ces années-là et donc menace la chaîne d’un lourd redressement.
Qui plus est, la même question fait déjà l’objet d’un autre contentieux entre le fisc et OCS, le bouquet de chaînes payantes d’Orange qui vient d’être racheté Canal+. Fin 2022, l’opérateur télécoms avait également demandé un rescrit à Bercy. L’administration avait, là aussi, répondu vouloir appliquer une TVA à 20 %, notamment car le service à la demande d’OCS proposait en replay des durées très longues et même des programmes non diffusés à l’antenne, comme les anciennes séries de HBO.
Orange avait alors contesté cette décision devant le tribunal administratif de Paris, qui lui a donné raison il y a trois mois. Les juges ont estimé que le rattrapage représente une « part minime » aussi bien dans l’usage, que dans les coûts de programmes. Ils se sont aussi appuyés sur un sondage réalisé par OCS auprès de ses clients qui montrent que 73 % se sont abonnés pour la diversité et la qualité des films, 72 % pour le nombre de chaînes et seulement 43 % pour accéder au rattrapage.
Furieux, Bercy a contesté cette décision et a même demandé - avec succès - à suspendre son application en attendant le verdict d’appel. La cour administrative d’appel lui a accordé cette suspension, estimant que les arguments du ministère sont « sérieux et de nature à justifier l’annulation du jugement du tribunal administratif ».
Contactés, Canal+ n’a pas répondu, tandis que Bercy indiquait que les commentaires publiés au Bofip en août 2023 sont bien entrés en vigueur.
Mise à jour : le 25 juillet, lors de la conférence des résultats de Vivendi, le directeur financier François Laroze a indiqué : « Aujourd’hui, les jeux ne sont absolument pas faits. Il y a toujours des discussions avec les autorités fiscales françaises, qui se termineront avec un peu de chance avant la fin de l’année. Nous considérons que la décision qui a été révélée il y a deux ou trois jours n’est pas une décision finale. Nous avons des signaux positifs qui nous rendent plutôt confiants que nous convaincrons les autorités fiscales que Canal+ est un vraiment service de télévision dont la majeure partie du chiffre d’affaires doit être taxée à 10%. Nous pensons toujours être capables de convaincre les autorités fiscales que nous opérons un service de télévision et pas de streaming ».
Mise à jour le 12 septembre : dans un rapport daté de mars 2024 révélé par Contexte, l’Inspection générale des finances recommande de relever le taux de TVA de 10 % à 20 %, estimant que cela ferait rentrer 100 à 175 millions d’euros de recettes fiscales.
Canal+ accusé d’avoir minoré sa TVA
Les relations entre Canal+ et Bercy sont d’autant plus tendues que les deux parties étaient déjà en conflit sur la TVA depuis plusieurs années. Selon nos informations, le fisc a notifié en 2021 des redressements pour les années 2016 à 2019, avec des pénalités de 40 % pour « manquement délibéré ». La chaîne est accusée d’avoir minoré sa TVA depuis avril 2017. La raison ? Depuis cette date, la quasi-totalité des abonnés se sont vu offrir un bouquet de journaux numériques Cafeyn (ex-le Kiosk), permettant de lire 1 600 titres : Libération, le Parisien, le Point, l’Obs, Marianne, l’Express… Cela sans supplément de prix : « Je suis un peu étonné de pouvoir consulter toutes ces revues gratuitement, mais on ne va pas se plaindre », se félicitait un abonné dans un forum en 2019.
Si le tarif facturé au client ne bouge pas, en revanche cela change tout d’un point de vue fiscal. L’astuce permet d’appliquer sur une partie de la facture le taux réduit dont bénéficie la presse (2,1 %) et donc de diminuer l’obole versée au fisc. Le gain pour la chaîne s’est ainsi élevé à 40 millions d’euros pour la seule l’année 2017 et peut être estimé autour de 60 millions d’euros par an.
Au demeurant, ce tour de passe-passe a aussi été largement utilisé par les opérateurs télécoms. Bouygues Telecom proposait aussi le Kiosk, tandis que SFR mettait sur pied son propre bouquet et Free préférait offrir des livres. Las ! Le fisc est venu jouer les empêcheurs d’optimiser en rond. Il a encadré la pratique à compter du 1er mars 2018. Depuis cette date, la part de la facture bénéficiant du taux de la presse devait correspondre au prix d’achat des journaux auprès de Cafeyn. Nouveau tour de vis en janvier 2021 : désormais, en cas d’offre composite, c’est le taux le plus élevé qui s’applique à toute la facture. Le patron de Canal Plus Maxime Saada avait alors immédiatement protesté : « Avec la nouvelle loi de finances pour 2021, notre TVA va augmenter. L’impact est substantiel », a-t-il déploré dans le Figaro, se gardant toutefois de donner le moindre détail et notamment de parler de son utilisation extensive de la taxe sur la valeur ajoutée.
Malgré tout cela, Canal a continué à proposer son bouquet de magazines et l’a même étendu en 2020. Enfin, en 2023, Cafeyn a été remplacé par PassPresse, un service édité par Prisma, société sœur de Canal+ au sein du groupe Vivendi.
NB : l’article a été mis à jour avec les hausses des tarifs des offres