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Continuer la lectureAccents moqués, climat « colonial », diversité en berne… RFI accusé de discrimination
Le rapport d’un cabinet spécialisé ainsi que des témoignages recueillis par l’Informé dévoilent l’ambiance très lourde qui règne au sein de la radio internationale. La direction conteste vigoureusement.

« Rigardi, moi j’porte bonheur / Di l’Afrique, d’où l’on m’envoie » , peut-on lire sous le dessin d’un homme noir caricaturé à l’extrême : lèvres rouges démesurées, yeux écarquillés et vêtements « exotiques ». Cette carte ne sort pas d’un stock d’archives coloniales, mais d’un mail envoyé par Olivier C., alors chef du service France de RFI, à ses collaborateurs pour fêter 2020. À l’époque, ce visuel raciste choque évidemment. Et l’affaire remonte aux RH. Résultat ? Trois jours de suspension, mais le journaliste reste en poste. Une « sanction proportionnée au regard des éléments du dossier », maintient aujourd’hui la direction de RFI dans un mail adressé à l’Informé.
Cet envoi pseudo-humoristique n’est pas un dérapage isolé. C’est ce qu’atteste le rapport remis par le cabinet Médianes à la direction de la radio début 2024, que l’Informé s’est procuré. Mandatées par RFI « pour interroger librement tous les salariés de la chaîne sur tous les sujets de leur choix », les expertes de cette société spécialisée ont échangé avec de nombreux salariés dans le cadre d’un atelier diversité ou via des entretiens individuels. À l’arrivée, le document liste une série de recommandations et surtout dresse un constat alarmant : la radio internationale publique, principalement écoutée sur le continent africain, a un problème de discrimination voire de racisme dans certains cas. L’Informé a recueilli une quinzaine de témoignages de journalistes confirmant les problématiques soulevées par Médianes.
Un manque de diversité
Il y a d’abord ce paradoxe criant : RFI se veut tournée vers l’Afrique, mais ses présentateurs sont majoritairement blancs. C’est « une radio de blancs qui parlent aux noirs », estiment des journalistes interrogés par Médianes. De fait, les chiffres sont têtus si on applique à RFI la méthodologie et la terminologie créées par l’Arcom, le gendarme de l’audiovisuel, qui évalue chaque année dans un rapport public le pourcentage de « personnes perçues comme non-blanches » à la télévision. Sur 137 émissions (magazines, podcasts originaux, journaux, chroniques en ligne) recensées par l’Informé sur l’antenne, seules 21 % ont un présentateur « perçu comme non-blanc ». La direction nuance et indique que « les équipes basées à Paris sont le reflet d’une société française où les sujets de diversité sont encore trop confrontés à des problématiques d’ascenseur social ». Elle affirme que RFI et France Média Monde (FMM, la maison mère de RFI détenue par l’État français) « font beaucoup plus que la plupart des médias français ».

Le problème semble se situer à la racine. Médianes pointe ainsi un souci de recrutement. « Même les stages de troisième, ce ne sont que des blancs », déclare un journaliste. La bourse Charles Lescaut accentue cette sur-représentation. Alors qu’elle offre à son gagnant un CDD d’un an au sein de la rédaction, elle est réservée aux étudiants des 15 écoles de journalisme dites « reconnues par la profession ». Une condition qui exclut de facto de nombreux profils issus de milieux populaires ou « perçus comme non-blanc ». La radio se défend en affirmant qu’elle « déploie des efforts importants pour diversifier le recrutement », sur le plan géographique comme social.
« Dans les autres rédactions françaises, c’est pire, il y a un noir et c’est le noir de la rédaction », abonde un jeune journaliste passé par plusieurs rédactions. « En revanche, j’ai été choqué par le manque de diversité au service Afrique » , ajoute-t-il. Visé par le compte rendu, ce département d’une trentaine de salariés est qualifié de « très blanc » par plusieurs d’entre eux. Or si le service travaille avec de nombreux correspondants sur le continent africain, c’est bien depuis le siège, à Issy-les-Moulineaux près de Paris, que la couverture de l’actualité africaine est pilotée. « Je ressentais un malaise total dans ce service, raconte un ancien pigiste. J’ai fait des sujets de fond sur des territoires où je n’avais jamais été, ça avait un côté très paternaliste. »
Créée en 1975, RFI suivrait-elle encore les pas de son lointain ancêtre ? La radio internationale est en effet l’héritière du Poste colonial, fondé en 1931 et dont l’objectif était de faire entendre « la vie quotidienne de la civilisation occidentale » , afin que la France soit « vraiment une nation de 100 millions d’hommes » selon les mots de son premier directeur Julien Maigret. D’après Médianes, plusieurs salariés interrogés relèvent qu’un « inconscient colonial continue de s’exprimer à des postes décisionnaires ». « Ce sont des mécanismes inconscients mais profonds, poursuit une journaliste. On le sent dans les décisions éditoriales, dans les hiérarchies implicites. » RFI mène d’ailleurs régulièrement des formations en Afrique. « Ils se déplacent au Sénégal, en Côte d’Ivoire, au Bénin, pour leur apprendre à être journalistes, comme s’ils n’avaient pas les moyens de se former sur place », indique une ancienne journaliste de la station.
Dans cette même veine, plusieurs journalistes interrogés dénoncent certains choix d’affectation. Les bureaux africains de RFI (Lagos, Dakar et Nairobi) sont tous dirigés par des personnes blanches qui ne parlent pas les langues diffusées à l’antenne. « Ce n’est pas la couleur de la peau qui me gêne, c’est le manque de compétence, s’insurge une journaliste. Si tu veux gérer une rédaction en Swahili, va apprendre la langue ! Sur le terrain, c’est très mal vu ». La direction répond que ces coordinateurs, à la fois en charge des ressources humaines et financières sont « désignés sur des critères de compétence managériale et administrative, car ces filiales nécessitent un grand nombre de tâches non éditoriales. Ces critères sont les premiers requis ». Elle précise que les rédacteurs en chef, en charge de l’éditorial, eux, « sont tous des ‘locaux’ ». Sauf que ces derniers sont recrutés par les coordinateurs et placés sous leur responsabilité…
Un plafond de verre
Un participant à l’atelier diversité organisé par Médianes évoque « un vrai plafond de verre ». Plusieurs journalistes assurent que la radio ne confie pas souvent des responsabilités aux « personnes perçues comme non-blanches », notamment aux femmes : « On finira par te rajouter un groupe d’hommes blancs pour t’encadrer. »
La direction reconnaît cette problématique et affirme vouloir être « de plus en plus décentralisée, proche du terrain, avec une actualité africaine couverte par des journalistes sur place ». Et signale que le service Afrique « compte aujourd’hui 8 journalistes originaires du continent, une proportion en augmentation régulière ».
Ce n’est pas la première fois que RFI est accusée de freiner la carrière de salariés « perçus comme non-blancs ». En 2014, la Cour d’appel de Paris avait condamné la radio à verser 100 000 euros de dommages et intérêts à une journaliste d’origine africaine, reconnue victime de discrimination et de harcèlement moral. Ayant commencé à collaborer avec RFI en 1980, elle n’avait été embauchée en CDI qu’en 2000… en tant que « journaliste stagiaire » avant d’être placardisée au service Afrique. RFI avait tenté de se défendre en citant des cas particuliers de journalistes noirs ou métisses à des postes enviés. Mais l’argumentaire n’avait pas tenu face à celui de la journaliste : « Sur un ensemble global de 337 journalistes, aucun rédacteur en chef n’est d’origine africaine, alors que les seuls 13 journalistes effectivement d’origine africaine, ont tous subi un important retard à la promotion [...] en dépit d’importantes anciennetés, souvent supérieures à 20 ans. »

Interrogée sur cette affaire, la direction affirme que « des mesures de vigilance ont été prises ». Onze ans plus tard, Médianes évoque pourtant des « discriminations dans les évolutions professionnelles ». Le rapport poursuit :« Tous les employés ne se sentent pas traités de la même manière et ont l’impression que tout le monde trouve ça normal ». RFI diffuse en 16 langues (dont le français) et compte une rédaction par langue. « La discrimination structure notre entreprise : langues vs français », témoigne un journaliste auprès de Médianes.
Raphaël Moran, délégué du personnel au SNJ confirme ce ressenti : « En termes salariaux et en termes d’indice, les journalistes de langue étrangère évoluent moins. Et c’est ressenti comme du racisme par certains. » Le syndicat n’exclut pas de lancer une enquête sur le racisme, du même type que celle - retentissante - menée début 2025 sur les violences sexistes et sexuelles.
Du racisme à RFI ? Comme le SNJ, Médianes n’hésite pas non plus à employer le mot dans son rapport. Gestes déplacés, petites remarques, présomption d’incompétence ou de lenteur visant les personnes noires… plusieurs salariés interrogés « décrivent un racisme ’très insidieux’, qui passe notamment par une dépréciation voire une invisibilisation du travail fourni », alerte Médianes, qui parle de « racisme ordinaire ». « Les victimes déplorent que les témoignages de racisme ne soient pas pris au sérieux par leurs chefs et par les RH, qui ne mettent rien en œuvre pour favoriser un climat de confiance et de sécurité ». Le cabinet fait ainsi remonter un exemple parlant, celui d’une journaliste venue récupérer une bonnette de micro. D’office, on lui en tend une siglée MCD, la radio en langue arabe de FMM. La journaliste détrompe la personne chargée du matériel, qui répond : « Avec ton nom, je pensais que tu travaillais à MCD ».
Glottophobie envers les accents africains
Si de nombreux accents résonnent à l’antenne, la question de la glottophobie envers les accents africains se pose aussi. Plusieurs journalistes attestent avoir entendu des confrères blancs caricaturer des « accents africains ». Et certains reportages français venus d’Afrique sont doublés en français. « Quand on a un accent un peu prononcé, on nous double, ou alors on nous dit qu’on ne peut pas passer à l’antenne. Mais, étonnamment, cette question d’accent n’est un problème que pour les Africains », remarque une journaliste.
Ces accusations irritent profondément la direction de RFI, qui n’hésite pas à remettre en question la véracité des témoignages. « Ces accusations de ‘climat de racisme ordinaire’ à RFI, le média sans doute le plus multiculturel de Paris, sont aussi graves que sidérantes. Si les actes évoqués dans cette question (celle envoyée par l’Informé, ndlr) sont réels, ils sont inadmissibles et scandaleux, et devraient faire l’objet de signalements dans toutes les instances de l’entreprise. Or absolument rien ne remonte via aucune de ces instances. Cela s’apparenterait-il à de la diffamation malveillante ? »
De fait, les salariés interrogés pointent un manque structurel : ils ne savent pas vers qui se tourner, ni comment, pour dénoncer les dérives dont ils s’estiment victimes ou dont ils ont connaissance. La direction affirme que « tout est mis en œuvre pour permettre la remontée des faits » : formations, ateliers de sensibilisation, plateforme d’alerte anonyme. Elle l’assure : « Aucun signalement direct ou indirect n’a été enregistré à ce jour ».
Comment expliquer ce silence ? Certains évoquent une peur des représailles professionnelles. Raison pour laquelle la majorité des journalistes interrogés par l’Informé ont d’ailleurs souhaité rester anonymes. Cette peur est particulièrement sensible chez les précaires. Difficile de dénoncer les agissements de collègues en poste lorsqu’on ne l’est pas. « Au printemps 2024, j’ai vu une journaliste expérimentée toucher les cheveux d’une collègue noire plus jeune sans lui demander la permission, raconte à l’Informé un journaliste pigiste, choqué par cette micro-agression. Mais c’est compliqué de dire quelque chose quand on est soi-même précaire ».
Ceux qui ont dénoncé le racisme ont été perçus « comme des bourreaux » pour s’être défendus, expliquent des salariés à Médianes. Ou bien se sont vu opposer le parcours personnel de leurs interlocuteurs : « Beaucoup de personnes blanches à RFI sont mariées avec des personnes racisées, elles disent ensuite ‘je ne peux pas être raciste, ma femme est noire’ » grince une journaliste.
En mai 2024, quelques mois après le rapport de Médianes, la radio a créé un groupe de travail, le « comité diversité », réunissant journalistes volontaires et représentants RH. En janvier dernier, cette instance a décidé d’une première initiative autour des stages avec deux pistes avancées : le renforcement des liens avec les écoles de journalisme africaines (stages, organisation de master class...) et une collaboration avec l’association La Chance, qui prépare les étudiants boursiers aux écoles de journalisme en France. En avril 2025 : 6 étudiants de La Chance ont pu réaliser un stage de 4 jours au sein de RFI. Une initiative bien mince selon les salariés interrogés par l’Informé. « Cela prend du temps », indique la direction.
Sollicité, le cabinet Médianes n’a pas souhaité répondre aux questions de l’Informé.
Une réponse de France Médias Monde
Le 18 juin 2025, le journal en ligne « L’Informé » a publié un article intitulé « Accents moqués, climat « colonial », diversité en berne... RFI acousé de discrimination »
Selon le titre de cet article et son contenu, France Médias Monde qui édite la chaîne Radio France Internationale (RFI) pratiquerait un traitement différencié entre ses salariés et collaborateurs en fonction de leur origine géographique ou ethnique.
France Médias Monde et la Direction de RFI s’indignent du contenu de cet article qui met en cause le Groupe vis-à-vis du respect de ses valeurs et principes fondamentaux.
France Médias Monde tient à rappeler que cette enquête est fondée sur un rapport qu’elle a elle-même commandé au début de l’année 2024 au cabinet Médianes afin de formaliser les grands enjeux de RFI.
Ce cabinet spécialisé dans le fonctionnement des médias, et non sur les questions de diversité, a rédigé un volumineux document, dont seuls quelques extraits font allusion à des questions de racisme au sein de RFI.
L’analyse de ce rapport fait apparaître qu’il s’agit d’un phénomène résiduel dans une entreprise multiculturelle, avec des implantations dans le monde entier et regroupant plus de 60 nationalités.
France Médias Monde a pris cette question à bras le corps et a créé un comité diversité à RFI pour progresser sur les enjeux de représentativité géographique et sociale dans ses effectifs. Ces enjeux existent dans toutes les entreprises. France Médias Monde et sa chaîne RFI en sont à la pointe compte tenu de la nature de leurs activités et des valeurs qui les animent.
Ce comité diversité a également pour mission de permettre aux salariés se considérant victimes de discrimination de signaler les comportements problématiques, dès lors que ni la Direction des ressources humaines, ni la hiérarchie, ni les représentants du personnel, ni les plateformes d’alerte anonymes existantes n’ont jamais été saisies.
Aucun signalement relatif à des faits de racisme n’a pour autant émergé depuis la création de ce comité. Les exemples cités dans l’enquête parfois très anciens (dont un cas remontant au début des années 2000) et le fait qu’ils ont tous été traités par France Médias Monde tendent à démontrer que les accusations de « discrimination » à son encontre sont infondées.
France Médias Monde et sa chaîne RFI réfutent donc ces accusations et réaffirment leur pleine détermination à lutter contre toutes formes de discriminations et à être à l’écoute de ceux qui ressentiraient toute forme de discrimination.
La réponse de l’Informé
Le droit de réponse publié par France Médias Monde le 23 juin 2025 affirme que seuls « quelques extraits » du rapport Médianes mentionnent le racisme, et que les accusations seraient « infondées ». Or, plusieurs pages de ce même rapport sont consacrées à des témoignages de racisme ordinaire, à des freins structurels à l’évolution professionnelle, à des inégalités dans les pratiques RH et à une perception persistante de discriminations internes.
Ces éléments ne relèvent pas d’une interprétation journalistique, mais d’un document interne et cité dans l’enquête. En complément, notre enquête s’appuie également sur de nombreux témoignages directs, dont la plupart concernent des faits récents, dans la période de 2020 à 2024. Ces témoignages ont été rigoureusement recoupés.