L'abonnement à l'Informé est à usage individuel
Un autre appareil utilise actuellement votre compte
Continuer la lectureL’aventure Eataly aura été un gouffre pour les Galeries Lafayette
La maison mère de la chaîne italienne reprend en direct la franchise pour la France. Un échec financier pour le groupe de la famille Houzé.

Inauguré le 12 avril 2019 à l’intérieur des locaux du BHV Marais, en plein centre de la capitale, Eataly Paris devait être le fleuron gastronomique des Galeries Lafayette. Le groupe détenu par la famille Houzé avait alors obtenu la licence exclusive de développement pour la France de ce « restaurant-magasin » qui fait la part belle aux produits alimentaires italiens de qualité. L’ambition affichée ? Séduire les parisiens avec ce concept auréolé de succès dans le monde, et, pourquoi pas, l’étendre à d’autres villes de l’Hexagone. Mais la donne vient de changer. La maison mère d’Eataly vient d’annoncer ce 6 décembre « avoir signé un accord avec le groupe Galeries Lafayette pour reprendre la franchise de sa marque pour la France et exploiter désormais le flagship parisien Eataly Paris Marais ». La raison avancée ? Mieux maîtriser son développement international en propre. « Cette opération nous permet de devenir encore plus forts et de développer davantage nos activités en France », déclare Andrea Cipolloni, patron du groupe italien dans un communiqué. Mais ce divorce s’explique aussi - surtout ? - par le parcours compliqué de l’enseigne en France, où elle n’a jamais connu le développement espéré. Et a finalement coûté beaucoup d’argent aux Galeries.
Selon nos informations, le chiffre d’affaires patinait autour de 20 millions d’euros en 2023. C’est à peine plus que les 16,5 enregistrés dès 2019, et surtout beaucoup moins que les ambitions fixées à 30-35 millions d’euros lors de l’ouverture. Au lancement, on visait aussi, en coulisses, un retour sur investissement en 3 à 4 ans, en espérant multiplier les ouvertures pour écraser les coûts fixes….Malheureusement les pertes, de l’ordre de 3,8 millions en 2023, se sont accumulées au fil des ans, pour atteindre un total de 24,5 millions. En clair, Eataly Paris n’a jamais gagné un euro. Entre le coût des travaux, et 8 millions d’euros remis au pot en 2019, l’ardoise s’est vite alourdie pour les Galeries. Et fin novembre, le groupe des Houzé a dû injecter 23,5 millions de plus en cash pour recapitaliser sa filiale. Histoire de rendre les clés à leur franchiseur avec une entreprise remise sur pied financièrement pour la passation de pouvoir.

À l’origine, tous les ingrédients étaient pourtant réunis pour poursuivre la success-story de ce réseau créé en 2007 à Turin par le truculent Oscar Farinetti, grand partisan du slow food, et riche d’une quarantaine d’établissements dans le monde. À Paris, le temple de la bonne bouffe italienne s’étale sur 2 500 m2 dans le quartier touristique du Marais, avec une magnifique cave à vins, des espaces de restauration à n’en plus finir, ainsi que des produits alimentaires transalpins soigneusement sélectionnés. Ici, pas de Nutella, de Barilla ou de Martini à l’horizon : ne sont référencés que des marques de PME ou des petits producteurs. Mais moins d’un an après l’inauguration des lieux, le Covid s’installait. De quoi porter un sérieux coup au pôle restauration, essentiel dans le business model, pendant de long mois.
Et ce ne fut pas là le seul problème. « Le concept est super sympa, mais à Paris il souffre d’un manque de visibilité lié à son emplacement dans un enchevêtrement de petites rues, alors que dans le reste du monde Eataly s’installe généralement dans des grandes halles », souligne un bon connaisseur de l’enseigne. Casés dans d’anciens locaux dédiés au personnel du BHV, les différents stands, rayons et espaces restauration s’étendent en effet sur plusieurs niveaux et mezzanines, ce qui ne facilite pas l’exploitation. « Pour l’exécution opérationnelle, ce n’est pas l’idéal. Et cela se ressent sur le bas de page », confie à l’Informé un ancien cadre, qui cite d’autres obstacles au développement : la difficulté d’accéder au centre de Paris, le manque de touristes, ou encore l’absence de zones de bureaux dans les environs, qui pourraient apporter un flot régulier de clients. « Certains week-ends on pourrait doubler la surface sans souci pour accueillir tous les visiteurs. Mais en semaine on pourrait la réduire de moitié. Et les habitudes des Français, qui mangent plutôt à heure fixe à la différence d’autres pays, provoquent des pics de fréquentation entre midi et 14 h 00, et des vides entre-temps. »
La séparation annoncée s’explique aussi par des choix stratégiques des deux partenaires. Certains côté Houzé : après la pandémie, le rachat progressif de la Redoute (entre 2018 et 2022) et le recentrage opéré sur les grands magasins (cession du BHV au groupe Société des Grands Magasins entamée en 2023), les investissements et le marketing dédiés à Eataly ne sont peut-être plus aussi prioritaires. D’autres côté italien. Eataly souhaite à l’avenir une gestion directe de la marque en France, pour mettre en place de nouvelles stratégies commerciales : développement dans les aéroports parisiens (Charles de Gaulle et Orly) et les gares, installation dans « des emplacements stratégiques dans les principales zones urbaines »…
Contactés depuis plusieurs jours, ni Eataly ni les Galeries Lafayette n’ont répondu à nos questions.
