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Continuer la lectureLa Russie, une cash machine devenue boulet pour Leroy Merlin
Après avoir longtemps rapporté gros à l’enseigne de bricolage des Mulliez, ce marché pèse aujourd’hui sur ses comptes. En plus d’entacher sa réputation.

La Russie est un marché stratégique pour Leroy Merlin. Le deuxième en termes de chiffre d’affaires après la France. Mais la machine à cash de l’enseigne s’est semble-t-il grippée. En 2022, la filiale russe affichait un chiffre d’affaires de 7,158 milliards d’euros, avant que le rouble s’effondre. Depuis, selon nos informations, ses ventes se sont affaissées de 6,06 à 5,83 milliards d’euros entre 2023 et 2024 (-3,8 %).
Ce recul des ventes repose en partie sur les orientations économiques d’un pays marqué par la guerre et l’inflation. Orientations qui ont favorisé les investissements et les dépenses dans d’autres secteurs que la construction et l’aménagement. Après un premier semestre 2024 soutenu, le second a été plus maussade. La filiale a enregistré une perte de 166 millions d’euros en 2024 contre un bénéfice de 287 millions d’euros l’année précédente. Pour tenir compte de cette dégradation financière et du contexte national, Adeo, la maison mère du groupe Leroy Merlin qui regroupe aussi Weldom, Bricoman ou Saint Maclou, a déprécié la valeur de ses actifs russes de 685 millions d’euros en 2024. De quoi plomber son résultat net, qui est passé de 1,145 à 0,678 milliard d’euros alors son chiffre d’affaires - 30,3 milliards d’euros - et sa marge opérationnelle - 1,6 milliard - stagnaient.
Le pays des tsars est pourtant longtemps resté une cash machine pour l’enseigne. Il assurait encore un quart des bénéfices totaux de cette holding en 2023 (soit 287 millions sur 1,145 milliard). Une jolie contribution à la « bottom line » justifiant certainement la réticence à couper les ponts avec cette filiale devenue encombrante depuis le déclenchement de la guerre contre l’Ukraine.
Si Auchan, une entreprise du secteur alimentaire - cousine de Leroy Merlin au sein de l’empire Mulliez - a pris le parti de rester en Russie « pour le bien de la population du pays », et lui permettre de s’alimenter, la position de l’enseigne de bricolage n’est pas simple. Au début du conflit, elle avait été attaquée sur les réseaux sociaux via le hashtag « Leroy Kremlin », et même pointée du doigt par le président ukrainien Volodymyr Zelensky. Pour éviter les sanctions pouvant frapper les sociétés européennes qui travaillent en Russie, Adeo a décidé de faire bonne figure. Fin 2023, il a ainsi cédé, très officiellement, le contrôle de sa branche russe et de ses 40 000 employés à un management local. Mais comme l’Informé l’avait déjà précisé, le capital de la filiale, lui, est toujours entre les mains d’Adeo, via un savant Meccano financier passant notamment par Dubaï. Dans des documents internes, la maison mère multiplie les contorsions sémantiques pour ne pas être en contradiction avec ses annonces publiques. Elle indique ainsi qu’elle reste tenue, d’un point de vue normatif comptable, de consolider les comptes de sa business unit russe, car le maintien de la détention capitalistique « conduit à la qualification de maintien du contrôle ». Et ce alors qu’elle assure y maintenir un rôle « d’actionnaire passif ».
« Leroy Merlin n’est jamais parti et n’a jamais eu l’intention de partir. Ils ont cherché à faire semblant », estime un connaisseur du secteur. La version officielle est en tout cas bien rodée, toute référence à la Russie ayant été expurgée des documents. Dans la dernière version de son « Overview », le groupe Adeo précise être implanté physiquement, en propre, dans 11 pays, dont l’Ukraine (3 magasins). Mais la Russie n’y figure pas, tout comme dans l’édition précédente. Pas plus que le pays n’apparaît dans la liste des partenariats avec des distributeurs locaux.
Fonctionnant en autonomie financière par rapport au reste du groupe, c’est-à-dire sans bénéficier de financements internes ni pouvoir remonter de dividendes, Leroy Merlin Russie se contente de rénover son parc (114 points de vente dans l’ensemble du pays), et pouvait compter sur une trésorerie de 749 millions l’an dernier. De quoi refaire quelques magasins, et financer un grand chantier de « rebranding », avec des changements de dénomination à tous les étages. Et il y a de quoi faire. Leroy Merlin Vostok, la dénomination sociale officielle de Leroy Merlin Russie pour l’administration est désormais Le Monlid. Et, pour les consommateurs, une grande bascule entamée il y a un an est en train de s’achever. Depuis leurs premiers pas en Russie en 2004, les magasins Leroy Merlin ont dernièrement troqué leur nom pour celui de Lemana Pro et abandonné la couleur verte emblématique de leur logo pour passer au jaune. Une façon de se « désoccidentaliser ». Mais aussi de relancer les ventes. Contactée, l’entreprise n’a pas donné suite à nos questions.