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Continuer la lectureLa Russie reste une machine à cash pour Leroy Merlin
L’Informé a mis la main sur des documents démontrant que l’enseigne liée à la famille Mulliez ne s’était pas complètement retirée du pays en 2023, contrairement à ses dires.
En 20 ans, Leroy Merlin est devenu un poids lourd en Russie, où il compte 114 magasins aujourd’hui. Mais cette présence est devenue bien encombrante. Au début du conflit en Ukraine, le président Volodymyr Zelensky avait par exemple appelé Renault, Auchan, Leroy Merlin à « cesser d’être les sponsors de la machine de guerre de la Russie ». Attaquée également sur les réseaux sociaux avec le hashtag « Leroy Kremlin », Adeo, la maison mère de la chaîne de bricolage avait fini par annoncer en mars 2023 « la cession du contrôle opérationnel » de sa filiale russe au management local. Dans « L’Overview 2023 », le document officiel qui balaye l’activité de cette branche de la puissante Association familiale Mulliez, on ne trouve d’ailleurs plus aucune trace de la Russie. Sur place, les magasins sont même en train de changer de couleur - du vert au jaune - et de nom, pour devenir Lemana Pro, « Lemana » pour Leader, Maison, Nature.
C’est une jolie pirouette de communication : céder le volant n’oblige pas à vendre la voiture. Et selon nos informations, Leroy Merlin Russie continue à rapporter beaucoup d’argent. En 2023, son chiffre d’affaires a atteint 6,06 milliards d’euros. Soit 20 % de l’activité mondiale d’Adeo. En 2022, le chiffre d’affaires réalisé dans le pays était encore plus élevé, à 7,158 milliards d’euros, la baisse observée s’expliquant en partie par l’effondrement du cours du rouble, qui a perdu un quart de sa valeur face à l’euro.
Un dossier sensible en termes de réputation
La rentabilité n’est pas en reste avec un profit net de 287 millions d’euros. « La Russie est la machine à cash de Leroy Merlin » résume un proche de l’entreprise. Ce petit pactole représente même un quart des bénéfices mondiaux d’Adeo (voir encadré plus bas). Dans un document interne, on apprend que l’activité de Leroy Merlin en Russie a été marquée « par une reprise du pouvoir d’achat de la population » en 2023, comme si de rien n’était. Et que l’exercice précédent a été « une année charnière », au cours de laquelle l’entreprise « a atteint son autonomisation financière, technologique, en approvisionnements et humaine, avec une position de trésorerie forte », proche de 500 millions d’euros. La question est désormais de savoir ce que va devenir cet argent. Car face aux sanctions promises aux sociétés européennes qui feraient des affaires en Russie, Adeo laisse sa filiale de l’Est fonctionner en autonomie. Depuis le début du conflit, elle ne la finance pas et le versement de dividendes s’apparente à un parcours du combattant, compte tenu de la fermeture des circuits financiers entre la Russie et le reste du monde, et des restrictions mises en place par les deux camps. Sur place, les seuls investissements encore réalisés le sont pour des questions de sécurité et de maintenance des magasins.
Leroy Merlin déploie des trésors d’ingéniosité sémantique pour minimiser son activité au pays de Vladimir Poutine. Dans ses comptes, sans doute relus à la loupe par les deux commissaires aux comptes Mazars et Ernst & Young, Adeo assure n’être qu’un « actionnaire passif » dans sa filiale et avoir « cédé sa capacité à intervenir dans les décisions opérationnelles en Russie ». La société est toutefois contrainte d’admettre que « d’un point de vue normatif, toutes les conditions pour une qualification de perte du contrôle au sens de la norme IFRS 10 ne sont pas remplies ». Et d’ajouter : « L’analyse de l’ensemble des faits et circonstances requis par la norme, du fait notamment du maintien de la détention capitalistique, conduit à la qualification du maintien du contrôle ».
L’identité du destinataire final reste obscure
Le schéma capitalistique concocté par l’enseigne des Mulliez pour garder la main sur sa filiale russe est aussi un petit chef-d’œuvre. Comme le rapportait l’Express en février dans une longue enquête, 99,993 % des titres de Leroy Merlin Vostok (la dénomination officielle de Leroy Merlin Russie) ont été cédés le 1er décembre 2023 à Scenari Holding, une société créée quelques mois plus tôt et domiciliée à Dubaï, aux Émirats arabes unis. Adeo n’en conservant 0,007 %. Consulté par l’Informé le 23 juillet, le registre russe des sociétés mentionne toujours ces deux actionnaires. On apprenait aussi dans l’hebdomadaire que l’actionnaire principal de Scenari Holding est une autre société dubaïote créée au même moment, Scenari General Management Limited, dont le directeur serait Laurent Desfassiaux… Un pur produit d’Adeo, PDG de Leroy Merlin Russie depuis 2019, si l’on en croit son profil Linkedin. Au-dessus de cette nouvelle structure, on en trouve une autre au nom exotique, Cranberry Holding FZE, avant de perdre le fil. « Les données relatives à l’actionnaire ultime ne sont pas publiques à Dubaï, nous indique un fiscaliste rodé aux règles en vigueur dans le pays. Il serait extrêmement difficile de le découvrir sauf dans le cas d’une procédure devant les tribunaux ».
Sauf que… selon nos informations, Adeo a récemment dévoilé à ses actionnaires la liste des entreprises créées et intégrées dans son périmètre en 2023. Et heureuse coïncidence, Scenari Holding en fait partie, ce qui lui vaut d’être consolidée dans ses comptes. En clair, Adeo aurait donc tout simplement transféré les parts de Leroy Merlin Russie de sa poche droite vers sa poche gauche, via cette nouvelle structure installée à Dubaï. Sous des cieux fiscalement plus cléments, et plus éloignés des sanctions internationales. Adeo a bien sûr pu revendre Scenari Holding à un acteur extérieur depuis le 11 avril 2024, date de validation de ses comptes. Sollicité sur le sujet, le groupe n’a pas souhaité réagir à nos informations, déclarant seulement « avoir cédé le contrôle opérationnel au management local fin 2023 ».
Le bricolage, un secteur rémunérateur pour Adeo et… les Mulliez
Holding spécialisée dans le secteur du bricolage et de l’aménagement de l’habitat, Adeo fait partie des nombreuses entreprises détenues par l’Association Familiale Mulliez, au même titre que Decathlon, Auchan, Norauto, etc. En 2023, le chiffre d’affaires mondial d’Adeo a atteint, selon nos informations 30,2 milliards d’euros, en très léger recul (-0,17 % sur un an).
Avec 8 milliards, Leroy Merlin France en est le principal contributeur, devant Leroy Merlin Russie et ses 6 milliards d’euros. Le groupe est aussi présent en Italie, au Brésil, etc. Côté rentabilité, Adeo affiche un bénéfice de 1,143 milliard d’euros en 2023, contre 1,220 l’année précédente. De quoi récompenser les 850 héritiers Mulliez qui vont se partager un dividende de 819 millions d’euros, soit un taux de distribution de 72%. En 2022, le chèque n’atteignait que 604 millions.
