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Continuer la lectureL’énorme bourde du BHV qui ravive la fronde de ses fournisseurs impayés
En envoyant par erreur un email à ses partenaires sans les mettre en copie cachée, le directeur commercial de la célèbre enseigne parisienne a fédéré tous ceux qui se plaignent de retards de paiement.

Jeudi 18 septembre, le directeur commercial adresse un email aux très nombreux fournisseurs du grand magasin parisien pour les prévenir de la prochaine opération commerciale. La BHV Week, qui se déroulera du 10 au 17 octobre, promet d’être haute en couleur puisqu’une fanfare paradera dans la rue lors de la soirée d’avant-première tandis qu’un Monsieur Loyal et des hôtesses distribueront des tickets à gratter aux passants. Ce soir-là, la fermeture sera plus tardive que d’habitude. Et, dans son email, le directeur commercial qui veut motiver ses partenaires leur suggère d’adapter les horaires de leurs salariés en conséquence. Jusqu’ici, rien que de très normal.
Seulement voilà, Cédric Moulart a commis une énorme bourde, dont l’Informé a pris connaissance. Dans cet envoi adressé à environ 240 personnes, il a tout simplement oublié de mettre les destinataires en copie cachée. En clair, chacun a pu en consulter la liste complète. Cela n’aurait sûrement pas prêté à conséquence si le BHV n’était pas pris dans une tourmente depuis qu’il a été racheté fin 2023 par la Société des grands magasins (SGM) auprès du groupe Galeries Lafayette. Comme nous l’avions raconté en juillet, les fournisseurs, qui exploitent les stands disséminés dans le grand magasin situé à proximité de la mairie de Paris, sont en effet très nombreux à réclamer leur part de l’argent encaissé par le BHV. Des dizaines ont entamé des procédures devant les tribunaux. Autant dire que cette boulette a remis de l’huile sur le feu et, pire encore pour le BHV, suscité la naissance d’une sorte de collectif des victimes d’impayés. Au nombre des destinataires, le dirigeant du Slip Français s’est ainsi fendu d’une réponse courroucée au directeur commercial, avec évidemment tout le monde en copie. Et d’un autre message auprès de ses collègues. « Suite à de nombreux messages reçus je vous propose de coordonner une action commune auprès du BHV, explique le patron du Slip Français. Chacun de nous le sait, le contexte économique est tendu, nous nous battons chaque jour pour tenir nos entreprises, nos emplois, nos clients dans une conjoncture plus que sportive et l’attitude du BHV est tout simplement inacceptable ».
Son message a fait boule de neige, et il a suggéré de fédérer tous les mécontents en les invitant à remplir sur Google Sheet un fichier partagé recensant les montants d’impayés. Lorsque nous avons pu le consulter, il ne recensait pas moins d’une quarantaine d’entreprises, pour un montant d’impayés de 3,9 millions d’euros de la part du BHV au 15 septembre. Une somme à laquelle il faut ajouter 1,3 million d’euros d’impayés supplémentaires, pour les magasins Galeries Lafayette situés en région et exploités par la SGM. Et de nouvelles lignes se rajoutent toutes les heures au document.
Lors de notre enquête, en juillet, nous relations les péripéties rencontrées par de nombreuses marques avec la nouvelle gouvernance du BHV. Dans le fichier de la discorde de nombreuses nouvelles griffes sont mentionnées. Une marque de chaussures et de maroquinerie renommée se plaint ainsi d’attendre depuis un an et demi des règlements, pour une somme supérieure à 150 000 euros. Pour un spécialiste du sportwear chic, l’ardoise dépasse les 400 000 euros (en comptant les Galeries Lafayette en région). Kusmi Tea, Aubade, Eden Park, Moleskine, de Buyer, Repetto, IKKS, YellowKorner… Grandes marques comme PME chic sont concernées à des degrés divers. Plusieurs sociétés désabusées ont depuis préféré arrêter de livrer les corners ou elles sont installées, quand elles n’ont tout simplement pas quitté les lieux.

« Cette erreur de mail serait drôle si la situation n’était pas aussi navrante. Je suis à la fois atterré et affligé », nous indique un dirigeant. « En discutant avec des personnes du BHV, on m’a dit que c’est le système comptable qui avait des ratés, peut-être en raison du transfert depuis le rachat du BHV au groupe Galeries Lafayette, fulmine un de nos interlocuteurs. Mais si c’est la vraie raison dans ce cas-là on prend des intérimaires. De mon point de vue le BHV a un problème de cash ».
Pour calmer le jeu, Karl Stéphane Cottendin, récemment nommé à la tête du magasin, s’est fendu d’un email quelques heures après le premier message du directeur commercial, qu’il qualifie au passage de « très maladroit ». « Nous sommes parfaitement au fait de certains retards que vous avez remontés, et nous continuons de travailler à leur régularisation, y explique le dirigeant aux fournisseurs, cette fois-ci en copie cachée. Si je peux comprendre votre frustration (même si pour avoir eu accès au tableau certains montants me semblent inexacts (…) je reste convaincu que se liguer contre le BHV n’est pas la voie pour sortir par le haut. Nous ne nions pas la situation, bien au contraire, mais nous voyons la fin du tunnel avec notre chantier d’autonomisation qui sera complété en novembre, et nous donnera enfin nos propres outils de paiement ». Il faudra donc patienter quelques semaines de plus, puisque selon ses dires, « nous sommes très proches de retrouver une situation saine et sereine avec l’ensemble de nos fournisseurs ».