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Continuer la lectureEric Lombard contraint de se déporter de sujets liés à la Caisse des dépôts, à Bpifrance et à La Poste
Le nouveau ministre de l’économie est au cœur de multiples conflits d’intérêts. Notamment à la Caisse des Dépôts (qu’il dirigeait depuis 2017), où il pousserait officieusement la candidature d’Olivier Sichel à sa succession.

Un patron de Bercy au champ d’action fortement limité. Selon des informations obtenues par l’Informé, Eric Lombard, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, a adressé le 20 janvier dernier un courrier de déport au premier ministre François Bayrou. Il l’informe dans cette missive ne pas pouvoir traiter d’un grand nombre de dossiers de la sphère publique. Afin d’éviter tout risque de conflit d’intérêts, l’ex-directeur général de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) demande d’abord de ne plus « avoir à connaître des actes de toute nature relatifs à » sa succession à la tête de l’institution de la rue de Lille. Mais le ministre garde la main sur les autres sujets de la Caisse, à l’instar du Livret A utilisé pour financer le logement social dont il vient de ramener la rémunération de 3 % à 2,4 %. Eric Lombard ne participera pas non plus à la fixation du « versement annuel » de la CDC, les dividendes que celle-ci apporte chaque année au budget général de l’État (ils atteignaient 1,5 milliard d’euros pour l’année 2023). Il se déportera aussi de tous les dossiers structurants des entités publiques comme privées dont il était administrateur au titre de la Caisse : il transfère donc au premier ministre la responsabilité de la tutelle de Bpifrance, la banque publique d’investissement dans les grands groupes comme les PME françaises, et de La Poste.
Selon son entourage, Eric Lombard « a transmis, dès sa prise de fonction au gouvernement, sa déclaration d’intérêts portant sur l’ensemble de ses activités passées à la Haute autorité pour la vie publique (HATVP) ». Dans l’attente de l’examen de son dossier par l’Autorité, qui devrait intervenir dans les prochaines semaines, il a « par précaution » tenu à acter un déport assez large. Objectif : éviter d’entacher certaines de ses décisions ministérielles d’un risque juridique. Un choix prudent auquel il s’est finalement résolu près d’un mois après sa nomination au gouvernement, le 23 décembre 2024. Le ministre a été conseillé en ce sens par la direction des affaires juridiques de Bercy.
Un nouveau patron pour la Caisse
« Quand on est le directeur général de la Caisse des dépôts, il est normal de demander un déport juridique quand on devient ministre de l’économie pour éviter le soupçon de conflit d’intérêts. C’est le contraire qui serait choquant ! », assure un ancien ministre, auprès de l’Informé. De fait, beaucoup craignent qu’Eric Lombard ne favorise, de par sa position au gouvernement, une candidature interne pour sa succession à la CDC. Depuis son départ, Olivier Sichel, l’ex-numéro 2 de la Caisse, a été nommé directeur général par intérim le 24 décembre. Les deux hommes, qui pilotent ensemble l’institution financière depuis 2018, sont réputés proches. À tel point que, selon plusieurs sources, le ministre de l’économie poussait jusqu’ici la candidature de son ancien collaborateur. Face à ce dernier, on trouve Emmanuel Moulin, l’ancien directeur du Trésor et directeur de cabinet de Gabriel Attal à Matignon, qui mène campagne avec, de son côté, les faveurs de l’Élysée.
Avec le déport effectif au 20 janvier du ministre de l’économie, Olivier Sichel perd un de ses meilleurs appuis. Eric Lombard ne l’a-t-il pas présenté, dans l’e-mail informant les agents de la Caisse des dépôts dès le lendemain de sa nomination à Bercy, comme son « successeur », alors qu’il n’assure que l’intérim ? « C’était nécessaire de réagir le plus rapidement possible pour éviter le vide, élude un dirigeant de la Caisse. Cela a rassuré tous les collaborateurs de savoir qu’Olivier Sichel, qui connaît déjà les dossiers, est désormais aux manettes. » Le message en forme d’adoubement a néanmoins laissé des traces. « Déport ou pas, il n’empêche qu’on connaît le candidat d’Eric Lombard, juge un bon connaisseur de la maison. Le ministre garde tout de même des moyens de faire campagne pour Olivier Sichel… comme pour pousser Stéphane Dedeyan, autre dirigeant issu de la sphère Caisse des dépôts (il était directeur général de CNP Assurances avant de prendre la tête de La Banque Postale, ndlr), à la tête de La Poste. »
« Olivier Sichel a une vraie légitimité pour prendre le poste, le défend un dirigeant de l’institution financière. Il connaît sur le bout des doigts l’ensemble des dossiers de la maison. Il a aussi développé une vraie proximité avec les parlementaires comme avec les élus locaux ». « En tant que directeur de la Banque des territoires, il a œuvré pour débloquer les dossiers de financement de projets défendus par énormément de collectivités locales, ajoute un autre. Le programme Action cœur de ville (de revitalisation des villes moyennes, ndlr), qu’il a mis sur pied, lui assure de nombreux soutiens. » Il est d’ailleurs resté proche de Christophe Béchu, le maire d’Angers qui fut ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Quand la CDC réclame 4 milliards à l’État
Un autre dossier posait aussi question, à La Poste cette fois. À la fin de la dernière réunion du conseil d’administration du groupe, le 19 décembre dernier, soit quatre jours avant la formation du gouvernement Bayrou, Eric Lombard a pris la parole pour proposer un projet de résolution. En tant que représentant de l’actionnaire majoritaire de l’entreprise postale (66 % du capital), celui qui était alors directeur général de la Caisse des dépôts réclamait à l’État le remboursement à La Poste des 4 milliards d’euros de pertes cumulées depuis 2017. Ce montant astronomique est lié à l’insuffisante compensation financière, année après année, des missions de service public que l’État confie au groupe postal. Celles-ci comprennent le service postal universel, l’accessibilité bancaire, la contribution à l’aménagement du territoire, ainsi que le transport et la distribution de la presse.
Le dossier n’est pas nouveau : le PDG Philippe Wahl l’avait lui-même évoqué devant les sénateurs le 30 octobre dernier. « Le premier sujet stratégique de La Poste est celui de la sous-compensation des missions de service public, avait-il asséné. Nous vous remercions du milliard que nous recevons, mais (…) les missions à notre charge coûtent 2,2 milliards d’euros. Pour le dire autrement, chaque année, il manque plus de 1 milliard d’euros à La Poste. » La nouveauté de cette démarche ? Qu’un dirigeant d’une institution financière publique (elle est placée sous le contrôle du Parlement, majoritaire à sa Commission de surveillance), défende ses intérêts d’actionnaire en réclamant à l’État de payer son ardoise. La résolution intervient aussi dans un moment de difficulté extrême pour le gouvernement, qui cherche à faire des économies de toute part après un déficit de 162,4 milliards d’euros pour 2024, soit 6,1 % du PIB.
La représentante de l’Agence des participations de l’État (Bercy) au conseil d’administration a tout de suite mis le holà à la résolution présentée par Eric Lombard, affirmant qu’elle ne pouvait la soutenir et qu’elle devait au préalable en référer à sa hiérarchie, c’est-à-dire à l’époque au ministre Antoine Armand. Face à cette opposition inédite entre l’APE et la Caisse, deux « bras armés de l’État dans l’économie du pays », Philippe Wahl s’est empressé de clore les débats en repoussant l’examen de la résolution à un prochain conseil d’administration. « C’était tellement étrange, personne n’était vraiment attentif pensant que les débats étaient clos, se souvient un témoin de la scène. Chacun a été surpris par la passe d’armes inattendue qui s’est jouée devant ses yeux. » Lombard n’aura finalement pas à trancher l’épineux sujet qu’il a lui-même lancé. En se déportant des sujets sur la Poste, il n’aura pas à répondre… au Lombard d’hier.