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Continuer la lectureSites X : Jacquie et Michel craint qu’un contrôle d’âge profite aux plateformes étrangères
Le gouvernement veut imposer aux sites porno de vérifier l’âge de leurs visiteurs. Plusieurs voix craignent qu’un dispositif bâclé rate sa cible.

Bientôt la fin du porno pour les mineurs ? Jean-Noël Barrot, ministre du numérique, Charlotte Caubel, secrétaire d’État chargée de l’Enfance, la CNIL et l’Arcom devraient, selon Le Parisien, dévoiler cette semaine les esquisses d’un dispositif reposant sur une attestation numérique de majorité que l’on obtiendrait via une application mobile. « Cela fonctionnera un peu comme le contrôle demandé par votre banque lorsque vous réalisez un achat en ligne, sauf que ce certificat de majorité sera anonyme », soutient Jean-Noël Barrot à nos confrères. Avant d’entrer en vigueur, le futur texte passerait par l’avis du Conseil d’État, de la CNIL, de l’Arcom et enfin devant la Commission européenne, puisque cette solution s’imposerait à l’ensemble des sites pornos installés dans l’Union avec de possibles atteintes disproportionnées à la liberté de circulation. Comment les acteurs du porno réagissent-ils à cette annonce ? Contacté par l’Informé, Jacquie et Michel, l’un des leaders français du secteur, exprime ses souhaits mais aussi ses craintes.
« Nous avons toujours été favorable à ce qu’il ait une protection des mineurs mais cette protection doit s’appliquer à l’entièreté des sites, et pas seulement aux deux ou trois entreprises françaises qui seraient les seules à se conformer rapidement » expose un porte-parole de Jacquie et Michel. Autre vœu, les sites porno ne devraient pas être les seuls dans le viseur. « Ce n’est qu’un début de solution. Comment des sites comme Twitter ou 4Chan vont-ils se mettre au pas ? ». Concrètement, Jacquie et Michel craint que le verrou français ne profite in fine à ses concurrents étrangers et aux réseaux sociaux s’ils ne sont pas soumis aux mêmes règles.
Jacquie et Michel a déjà payé pour savoir. Pour contrôler l’âge de ses visiteurs, elle a installé depuis la fin 2020 la solution commerciale de la société britannique Yoti. Son principe est simple : l’utilisateur doit scanner sa pièce d’identité, effectuer une capture de son visage et uploader le tout dans le service en ligne Yoti pour que Jacquie et Michel lui ouvre ses portes. Un dispositif très proche de celui présenté par le ministre Jean-Noël Barrot. Problème : ce contrôle a fait fuir de nombreux visiteurs, et pas forcément des mineurs. La baisse de trafic a dépassé 10 % selon nos informations. « Il y a eu une baisse de fréquentation, c’est indéniable, confirme le site. Beaucoup d’internautes ne souhaitent tout simplement pas s’authentifier et ont préféré se tourner vers des sites totalement gratuits et sans vérification. Voilà pourquoi on aimerait que la loi soit appliquée à tout le monde pour éviter que les entreprises françaises ne soient pénalisées ! ». Contacté, le député Philippe Latombe (MoDem et Indépendants), émet aussi des doutes et s’interroge sur l’efficacité de la future solution gouvernementale. « Comment fera-t-on avec les internautes qui utilisent un VPN ou qui partagent une connexion Wi-Fi dans un même foyer ? En quoi cela va-t-il régler le problème des échanges sur Whatsapp ou des boucles Telegram ? ». Pour le parlementaire, membre de la commission des lois et spécialiste du numérique, « il faudrait se rendre compte que l’usage de porno n’est plus seulement sur Jacquie et Michel et consorts, mais aussi sur ces services en ligne. Trouver des systèmes, c’est bien mais encore faut-il qu’ils fonctionnent sinon c’est une perte de crédibilité pour l’État ».
La procédure de blocage de Pornhub devrait se poursuivre
L’annonce du ministère du numérique dans Le Parisien tombe un peu comme un cheveu sur la soupe. Tout l’écosystème attendait que l’issue au problème vienne plutôt de la médiation ordonnée par le tribunal judiciaire de Paris dans le cadre d’une procédure de blocage de plusieurs autres gros sites X. Fournisseurs d’accès, Arcom, mais également les sites en cause (Pornhub, TuKif, xHamster, XNXX et xVideos) et même la CNIL, ont depuis septembre 2022 été invités à s’asseoir autour de la table pour trouver une technologie de contrôle d’âge qui puisse répondre aux contraintes de la loi pénale. Cette procédure confidentielle n’a toujours pas abouti, mais selon plusieurs participants joints par l’Informé, les discussions avançaient bien, sauf au goût de l’Arcom qui ce mardi, a tout simplement décidé de mettre fin à ces pourparlers. Contactée, l’Arcom confirme (lire la réponse intégrale en fin d’article*) : « Nous avons décidé de nous retirer de la procédure de médiation car nous n’entrevoyions plus d’issue positive possible ». L’ancien CSA estime aussi qu’une récente décision de la Cour de Cassation rend la médiation inutile. « Dans ce contexte nous entendons revenir devant le juge judiciaire pour que les sites contrevenants soient effectivement bloqués ». Cette décision de l’Arcom serait donc sans lien avec les annonces gouvernementales, l’autorité souhaitant désormais que la procédure poursuive sa route normale afin d’aboutir au blocage de Pornhub, TuKif, xHamster, XNXX et xVideos.
Bientôt une majorité numérique à 15 ans
Les avancées sur le contrôle d’âge à l’entrée des sites porno vont alimenter le débat sur l’accès des mineurs aux réseaux sociaux comme TikTok ou Instagram. Une proposition de loi déposée par le groupe « Horizons et apparentés » d’Édouard Philippe envisage en effet d’instaurer une « majorité numérique », fixée à 15 ans, conformément au règlement général européen sur la protection des données à caractère personnel (RGPD). Les réseaux sociaux devraient s’assurer du respect de ce seuil avant d’autoriser un mineur à s’inscrire. Quant aux mineurs de treize à quinze ans, ils devraient en plus bénéficier du consentement exprès de l’un des titulaires de l’autorité parentale. Il reviendrait à un décret en Conseil d’État de définir les modalités d’application. La proposition de loi sera bientôt examinée en Commission des Affaires culturelles et de l’Éducation. Une autre réglementation est attendue de pied ferme. C’est le Digital Services Act (DSA), un texte européen publié le 27 octobre 2022 au JO de l’Union européenne, et qui doit entrer en vigueur dans quelques mois. Les très grandes plateformes en ligne, et même les principaux moteurs de recherche auront désormais l’obligation de mettre en place « des mesures d’atténuation » de plusieurs « risques systémiques » spécifiques à leur service. Le texte les invite en particulier à adopter des « mesures ciblées visant à protéger les droits de l’enfant, y compris la vérification de l’âge et des outils de contrôle parental ».
*La réponse intégrale de l’Arcom :
« Nous avons décidé de nous retirer de la procédure de médiation car nous n’entrevoyions plus d’issue positive possible. Aussi, le terrain juridique a été dégagé par la décision de la Cour de cassation du 5 janvier 2023, dans laquelle est considéré que l’atteinte portée à la liberté d’expression, en imposant de recourir à un dispositif de vérification de l’âge de la personne accédant à un contenu pornographique, autre qu’une simple déclaration de majorité, est nécessaire, adaptée et proportionnée à l’objectif de protection des mineurs. Dans ce contexte nous entendons revenir devant le juge judiciaire pour que, en application de l’article 23 de la loi du 30 juillet 2020 et de l’article 227-24 du Code pénal, les sites contrevenants soient effectivement bloqués. »
