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Continuer la lectureRévélations sur les comptes très inquiétants de Sorare, l’ex-star de la French Tech
Chiffre d’affaires en chute libre, pertes abyssales… malgré 680 millions de dollars levés, le roi du « fantasy football » est dans une situation financière critique.

Son nom est indissociable de ces stars du foot qui lui servent d’ambassadeurs de luxe - les Kylian Mbappé, Antoine Griezmann, Lionel Messi, Zinedine Zidane... Mais dans la French Tech, il évoque surtout un record : celui de la plus grosse levée de fonds jamais réalisée par une start-up tricolore. Sorare a amassé 680 millions de dollars en 2021, quand les liquidités coulaient à flots vers les jeunes pousses dans le marché du « venture capital ». La crème des VCs n’avait pas hésité à valoriser la pépite du « fantasy football » 4,3 milliards de dollars. Le Vision Fund de Softbank, Accel Partners, Bessemer, Eurazeo, Atomico et d’autres ont ainsi rejoint au capital d’autres investisseurs plus anciens comme Kima Ventures, le fonds de Xavier Niel [actionnaire de l’Informé, ndlr] ou Partech.
Avec Sorare, on est pourtant loin de l’intelligence artificielle comme chez Mistral AI, ou d’applications devenues incontournables comme Doctolib. Pour les non-initiés, le fantasy football peut se définir comme un jeu en ligne où l’on collectionne des cartes de footballeurs pour former des équipes qui s’affrontent dans des matchs virtuels dont l’issue est liée aux performances des sportifs dans la réalité. L’utilisateur est une sorte d’entraîneur pouvant acquérir et vendre en toute sécurité des cartes enregistrées dans la blockchain (sous forme de NFT) et qui ont une certaine valeur marchande variant selon leur rareté. Si Sorare a levé autant d’argent, c’est pour pouvoir acheter des licences auprès des ligues professionnelles les plus prestigieuses pour éditer des cartes officielles. Elle a par exemple signé avec la Premier league anglaise, la Liga espagnole ou la Bundesliga allemande. Tout en nouant des partenariats en France avec des clubs comme le PSG, l’Olympique de Marseille ou l’AS Monaco. Mais le frenchy est aussi sorti du foot et d’Europe en s’attaquant au marché américain par la grande porte : il a topé avec la NBA et la Major League Baseball. Bref, tout semblait sourire à Sorare et à ses deux dirigeants fondateurs, Nicolas Julia et Adrien Montfort.
Sauf que, derrière ces succès, le bilan est beaucoup plus contrasté pour la start-up. Début juin, sa sortie des indices Next 40 et Next 120 de la French Tech avait déjà donné un signal négatif. Les comptes que l’Informé révèle pour la première fois - la société ne les publie pas - dévoilent une situation catastrophique puisque son chiffre d’affaires net (qui correspond aux commissions qu’elle a effectivement encaissées sur les ventes de cartes réalisées sur la plateforme) est en chute libre depuis trois ans. Après avoir atteint 143 millions d’euros (pour 500 millions d’euros de transactions) en 2022, il a baissé de 59 % en 2023 pour s’établir à 59 millions d’euros. En 2024, il s’est encore effondré de 27 %, tombant à 43 millions d’euros. L’entreprise se montre prudente pour 2025 puisqu’elle n’a budgété que 42 millions d’euros de recettes. Auprès de l’Informé, elle est légèrement plus optimiste, prévoyant un chiffre d’affaires en croissance sur l’exercice.
Cette chute du chiffre d’affaires de Sorare s’explique-t-elle par une baisse globale du nombre d’utilisateurs réellement actifs sur sa plateforme ? La société ne répond pas vraiment à la question se contentant de rappeler qu’elle évolue dans un marché des cryptos et des NFTs en net recul depuis 2022. « La plupart des concurrents de Sorare, aux USA et partout ailleurs dans le monde, n’ont pas survécu ». La start-up indique à l’Informé avoir drainé une « communauté de six millions de fans de sport », dont « 800 000 utilisateurs actifs en 2024 » pour « 100 000 clients ayant acheté des cartes sur la plateforme ». Sorare dit attendre beaucoup d’une innovation qu’elle a introduite l’an passé : un mode de jeu qui incite des joueurs à racheter des cartes saison après saison. « L’objectif était de générer des revenus de manière plus récurrente, mais également d’avoir une meilleure visibilité sur les revenus à venir », commente-t-elle.
La chute des revenus n’a pas aidé la start-up dans sa course à la rentabilité : selon nos informations, l’Ebitda a encore été négatif de 100 millions d’euros l’an passé. Si les pertes sont le lot de la plupart des start-ups, bien obligées d’investir massivement pour amorcer leur croissance, ce montant reste colossal pour une jeune pousse du Web née il y a sept ans. Il est toutefois deux fois inférieur à 2023, année où le déficit avait dérapé pour atteindre plus de 220 millions d’euros.
Sorare a effectivement taillé dans les dépenses, un effort qui s’est d’abord traduit par la renégociation des contrats initialement passés avec les ligues professionnelles et les clubs. Sorare indique à l’Informé avoir « réussi à diviser (ses) coûts de licencing annuels par cinq, tout en maintenant le même portefeuille de partenaires. » En échange de leurs efforts, certaines ligues se sont vues accorder un accès au capital. « L’essentiel de ces partenariats a été noué en 2022 dans un contexte de concurrence féroce et de pression économique très forte, poursuit la jeune pousse. Sorare étant alors une jeune entreprise, encore peu connue du grand public et des acteurs économiques du monde du sport, il a fallu déployer une stratégie de financement ambitieuse pour gagner la confiance de ces partenaires prestigieux. »
Pour limiter les pertes, Sorare a aussi passé ses dépenses opérationnelles au peigne fin. Début 2024, elle a proposé un plan de départ aux salariés de son bureau new-yorkais et recentré la plupart de ses effectifs à Paris. Sorare compte poursuivre sa chasse aux coûts en 2025 avec l’objectif d’atteindre un Ebitda négatif de « seulement » 43 millions d’euros. Selon une source, l’hypothèse de nouveaux départs dans les équipes serait une piste explorée. Sorare n’a pas voulu commenter cette information à l’Informé.
Dans une interview accordée au site Maddyness mi-avril, Nicolas Julia évoquait « un horizon de retour à la profitabilité dans les 12 à 18 mois, avec un plan très clair qui ne repose pas sur le recours à une éventuelle série C » (un terme qui désigne, dans le jargon du capital-risque, une troisième levée de fonds auprès d’investisseurs). Il faut dire que le trésor de guerre que s’était constitué Sorare lors de son tour de table de 2021 commence à fondre sérieusement. La jeune pousse avait 78 millions d’euros en caisse en fin d’année dernière, contre 196 millions d’euros fin 2023. Ce qui signifie qu’elle a brûlé en moyenne 10 millions d’euros de cash par mois. Sorare indique toutefois espérer « finir l’année 2025 sur une note très positive, avec un « burn » [ndlr une consommation de cash] très limitée, et notamment avec une trésorerie beaucoup plus importante qu’initialement projetée ». Selon nos informations, elle prévoyait début 2025 de terminer l’année avec 35 millions en caisse.
Les difficultés de Sorare impactent évidemment directement les fonds de capital-risque présents à son capital. Selon plusieurs sources, ceux-ci ont procédé à des dépréciations massives de leur participation, souvent au-delà de 50 % et parfois à près de 100 %. Certains fonds estimaient même en début d’année la valorisation virtuelle de la totalité des actions de l’entreprise à seulement un peu plus de 200 millions d’euros au début du printemps. De quoi se poser des questions sur l’avenir même de Sorare. Dans l’immédiat, la start-up espère sortir confortée par le nouveau statut des « jeux à objets numériques monétisables » qui va entrer en vigueur l’automne prochain, après d’âpres débats parlementaires. Et Nicolas Julia espère encore introduire sa société en Bourse dans quelques années.