L'abonnement à l'Informé est à usage individuel
Un autre appareil utilise actuellement votre compte
Continuer la lectureUn membre de Tragédie viré de la SNCF après son passage chez Cyril Hanouna
Le jour contrôleur de train, le soir membre du boys band des années 2000, renommé T30. C’est la double vie qu’a reprochée la SNCF à un ancien employé. À raison, selon la cour d’appel de Lyon.

Juin 2017, dans les locaux de C8. Le prime de « Touche pas à mon poste » touche à sa fin, quand une musique retentit soudainement sur le plateau. Trois jeunes gars bien lookés débarquent à l’antenne et commencent à pousser la chansonnette autour de Cyril Hanouna, qui se remue sur la mélodie. « Je suis fan », exulte l’animateur, ravi d’accueillir dans son émission le grand retour de Tragédie, boys band des années 2000, rebaptisé T30 et désormais fort d’un troisième membre, qu’on surnomme AZ.
Celui-ci, chapeau sur la tête, lunettes de soleil et barbe taillée au poil, prend la parole. « On t’a ramené une exclu, spécialement pour toi », lance-t-il à « Baba ». Et d’entonner, avec ses deux acolytes, le nouveau single du groupe « Tu n’aurais jamais dû »… Un titre semble-t-il prémonitoire : ce passage télévisuel lui a coûté son travail. Car dans la vie quotidienne, le chanteur est contrôleur SNCF et… s’est déclaré ce jour-là en arrêt maladie, selon son employeur. Il est convoqué à un conseil de discipline puis mis à la porte. Un licenciement que l’homme, Hazdine Souiri de son vrai nom, a contesté en justice, en vain.
À ceux qui l’auraient oublié, Tragédie s’est fait connaître en 2003, avec leur tube « Hey oh », deux ans avant de se séparer. Une décennie plus tard, le groupe a décidé de se reformer et d’accueillir AZ en tant que nouveau membre. Depuis, le trio a enchaîné deux albums et plus de 400 concerts… Et pourtant, « personne ne connaissait la carrière musicale de Hazdine Souiri », assure Me Romain Mifsud, du cabinet Octojuris, l’avocat de la compagnie ferroviaire. C’est un de ses collègues qui, devant TPMP ce fameux soir de 2017, reconnaît le contrôleur et informe sa hiérarchie.
Après quelques recherches, la SNCF découvre que les dates de ses concerts et de ses enregistrements, y compris à l’étranger, correspondent « quasi systématiquement à des périodes d’absences pour maladie ». Comme ce show à Madagascar en 2016, un autre en Belgique en 2017 ou deux tournées en Chine d’une vingtaine de dates. À chaque fois le contrôleur apparaît sur les photos de ces événements, visibles sur les réseaux sociaux, aux côtés des deux membres historiques du groupe Tragédie.
Problème, l’homme n’avait pas le droit de jongler ainsi entre ses vies, même s’il avait posé des congés plutôt que des arrêts maladie. Car il n’a jamais demandé l’autorisation de cumuler des emplois auprès de sa direction, une étape pourtant obligatoire pour les salariés chargés de la sécurité ferroviaire. « La SNCF veille à ce que les conducteurs de train, les agents de contrôle à bord ou responsable de toutes les missions sensibles, aient un temps de repos suffisant, explique Me Romain Mifsud. Les règles statutaires de l’entreprise sont donc très strictes et les obligent à déclarer les doubles activités. »
Pour sa défense, d’abord dans une lettre à son employeur puis devant la justice, le salarié assure que ses prestations musicales n’ont jamais eu lieu sur des périodes d’arrêt maladie, qu’il ne joue dans le groupe T30 que pendant ses loisirs et qu’il le fait à titre bénévole. L’ex-contrôleur tente d’ailleurs, avec des captures d’écran de Facebook, de montrer que d’autres collègues jouent eux aussi de la musique. L’argumentaire ne passe pas aux yeux de la SNCF. « Rejoindre un groupe de rap dans le top 10 des meilleures chansons des années 2000 et qui tente de se relancer, toute une communication autour, ce n’est pas la même chose que jouer avec ses copains dans le coin d’un parc le soir de la fête de la musique », soulève Me Romain Mifsud.
L’artiste figure au répertoire de la SACEM en tant qu’auteur de plusieurs chansons. Quand bien même ses droits lui ont rapporté seulement 10 euros et des poussières pour l’année 2017, la compagnie ferroviaire n’exclut pas que AZ ait pu toucher des cachets pour ses prestations sur scène ou dans des clubs. « Je doute que lorsqu’on joue dans une boîte de nuit, annoncé comme la guest star de la soirée, ce soit à titre gracieux », souffle Me Romain Mifsud. La cour d’appel de Lyon vient de trancher et de donner raison à la SNCF. Dans un arrêt du 27 septembre, l’instance juge que la présence d’AZ dans le groupe Tragédie était bien professionnelle et que faute de la déclarer, le salarié a commis une faute.
Mais l’affaire ne s’arrête pas là. Chez les Souiri, la musique est une affaire de famille. Comme la SNCF. Le petit frère d’Hazdine, lui aussi contrôleur de train, s’est vu licencier le même jour et pour le même motif que son aîné. La compagnie ferroviaire lui reprochait d’être le manager du groupe T30 sans y être autorisé, de les accompagner aux événements artistiques sur ses périodes d’arrêt maladie et d’avoir participé à un clip. Le cadet, lui, a en revanche eu gain de cause devant la justice. La cour d’appel de Lyon a reconnu, toujours le 27 septembre, qu’il s’est fait mettre à la porte abusivement.
Selon l’instance, la SNCF n’apporte pas la preuve que le jeune homme était bien imprésario du groupe, bien qu’il se soit présenté comme tel sur sa page Facebook et qu’il soit inscrit au répertoire de la SACEM comme auteur de chansons du groupe. Selon la cour, l’employeur ne démontre pas non plus qu’il était présent lors des tournées et des enregistrements du groupe T30. La SNCF devra lui verser 12 000 euros d’indemnités pour licenciement abusif. Contactés, ni les frères Souiri, ni leur avocate, n’ont souhaité commenter les décisions de justice. Les deux parties ont encore la possibilité de se pourvoir en cassation.