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Continuer la lectureLes chiffres secrets des chaînes de la TNT
Parmi celles lancées en 2005, quatre sont toujours déficitaires. De quoi les handicaper à l’heure où le régulateur étudie le renouvellement de leur fréquence.

À quoi ressemblera le PAF demain ? Depuis le 8 juillet, le gendarme de l’audiovisuel, l’Arcom, auditionne les candidats à l’obtention des fréquences de la télévision numérique terrestre (TNT), une ressource publique. La bataille est rude, avec 25 prétendants pour seulement 15 places. L’enjeu porte avant tout sur les 9 chaînes gratuites lancées en 2005, dont l’ensemble des titulaires actuels demandent leur renouvellement [1]. Pour obtenir le précieux sésame, leurs résultats économiques sont cruciaux. La loi est très claire : « le financement et les perspectives d’exploitation » font partie des critères de sélection sur lesquels l’Arcom fonde ses décisions.
De ce point de vue, les canaux rentables partent donc avec un avantage. On y trouve BFM TV (bénéficiaire depuis 2011), Gulli (depuis 2013), TMC et TFX (depuis 2017). Selon les chiffres obtenus par l’Informé (cf. graphe ci-dessous), les chaînes les plus profitables sont deux filiales de TF1 : TMC (avec un bénéfice net de 30,2 millions d’euros soit une marge de 20% en 2023) et TFX (9,4 millions soit 12 %).
Inversement, celles qui sont déficitaires partent avec un handicap. En 2023, il s’agit de NRJ 12 et de trois chaînes du groupe Canal+ : C8, CNews et CStar [2]. Les records sont détenus par le canal 8 (avec 736 millions d’euros de pertes nettes cumulées depuis l’origine), et le canal 12 (290 millions). Être toujours dans le rouge 20 ans après leur lancement fait d’autant plus mauvais genre que, parmi les acteurs arrivés plus récemment sur la TNT, en 2012, quatre ont déjà réussi à trouver l’équilibre (TF1 Séries Films, 6Ter, RMC Story et RMC Découverte).
L’antenne où officie Cyril Hanouna est même celle qui affiche le plus gros déficit : 48,5 millions d’euros de pertes nettes en 2023. Toutefois, ce chiffre comprend 3,5 millions d’amendes payées à l’Arcom suite à des dérapages dans Touche pas à mon poste, et 22 millions d’intérêts sur la dette vis-à-vis du propriétaire Canal+. Lors de leur audition le 9 juillet, les dirigeants du canal 8 ont expliqué que cette dette « interne » allait être éteinte, et que le déficit était « plutôt autour de 20 millions ». Précisément, les pertes d’exploitation (qui ne tiennent compte ni des intérêts ni des amendes) se sont élevées à 24 millions d’euros en 2023.
Les chiffres réunis par l’Informé le montrent : il n’y a guère d’adéquation entre les audiences et les résultats économiques des chaînes. C8, qui rivalise avec TMC pour le titre de leader de la TNT, engrange des recettes deux fois moins élevées, selon nos informations. CNews, qui vient de dépasser BFM TV sur le créneau de l’info, fait aussi moitié moins de chiffre d’affaires. Là encore, l’explication est simple. Leurs programmes font des cartons auprès de publics peu prisés des annonceurs, et se monétisent donc difficilement. C8 est ainsi très suivie par les seniors, avec des téléspectateurs âgés de 61,4 ans, contre 53,1 ans chez TMC. Si les deux canaux sont à égalité sur les 4 ans et plus, la filiale de TF1 est très en avance sur la cible préférée des publicitaires, les ménagères de moins de 50 ans : elle a capté 4,5 % de cette catégorie l’an dernier quand sa rivale n’en attirait que 2,7 % . Même chose pour CNews (63,6 ans d’âge moyen), qui vient de rattraper BFM TV sur l’ensemble du public, mais fait trois fois moins sur les femmes responsables des achats. À l’inverse, NRJ 12 surperforme sur les plus jeunes, moins courtisés par les annonceurs.
Mais toutes l’assurent : leurs pertes se réduisent d’année en année, en général grâce à des économies sur les programmes. Elles jurent donc qu’elles vont forcément atteindre l’équilibre bientôt. Problème : toutes ont déjà fait de telles promesses par le passé, sans jamais les tenir. NRJ avait ainsi juré que son activité télévision serait dans le vert en 2014, puis 2016, puis 2017, mais en vain. C8 avait successivement annoncé son équilibre pour 2021, 2022 et 2023, tandis que CNews évoquait 2020, puis 2021, puis 2022. Interrogés il y a quatre mois et demi par la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur la TNT, les dirigeants du groupe Canal+ avaient annoncé que CNews sortirait du rouge en 2025, et C8 « dans trois ans », soit en 2027. Mais depuis, changement de calendrier. « CNews sera probablement à l’équilibre en 2024 », a déclaré le mois dernier son directeur général Serge Nedjar. « C8 sera proche de l’équilibre en 2025, et devrait être profitable en 2026 », a assuré mardi devant l’Arcom son propriétaire Maxime Saada, président du directoire de Canal+, en relativisant (à tort donc) : « quasiment toutes les chaînes de la TNT ont perdu de l’argent ou en perdent encore. »
Les prévisions de la 8 se fondent sur un plan d’affaires inséré dans le dossier de candidatures. Un scénario que l’Arcom a jugé très optimiste. Il se base sur « des taux de croissance [du chiffre d’affaires] quatre fois plus importants » que ceux prévus pour le marché de la publicité télévisée. « Comment, tout d’un coup, on passe d’une situation structurellement déficitaire à une perspective très positive, avec une croissance de recettes publicitaires significative ? », s’est interrogé mardi Roch-Olivier Maistre, le président de l’autorité.

Enfin, l’équilibre peut être aussi défini de plusieurs manières, en employant différentes astuces comptables, tout à fait légales. Ainsi, le PDG du groupe NRJ Jean-Paul Baudecroux a fièrement annoncé ce vendredi devant l’Arcom que sa chaîne était « bénéficiaire en 2023 », ajoutant : « la rentabilité est actée ». En effet, elle affiche un profit net de 6 millions d’euros l’année dernière. Mais, selon nos informations, il est entièrement dû à un gain non récurrent de 17 millions sur un prêt consenti par sa maison mère, qui a opportunément décidé d’y renoncer… Le résultat d’exploitation, lui, est toujours dans le rouge, à -3,8 millions.
En cumulant NRJ 12 et Chérie 25, Jean-Paul Baudecroux a également assuré que son activité télévision était « bénéficiaire ». En effet, ce pôle a annoncé un résultat opérationnel courant de 300 000 euros pour l’exercice 2023, confirmant ainsi « la pertinence de sa stratégie ». En réalité, là encore, ce maigre profit est purement comptable. Il est en partie dû à la reprise d’une provision passée il y a dix ans pour déprécier la valeur de programmes. Sans cela, le résultat opérationnel courant serait négatif de 2 millions d’euros.
Même chose du côté de C8. Ses propres comptes sociaux indiquent que le chiffre d’affaires a reculé en 2022, puis à nouveau en 2023, aussi bien les recettes totales, que les seuls revenus publicitaires. Mais la directrice financière de Canal+ Amandine Ferré a assuré mardi lors de son audition à l’Arcom : « depuis quelques années, C8 est sur une trajectoire croissante du chiffre d’affaires. […] Quand on regarde nos comptes, on voit qu’on a un chiffre d’affaires en croissance du fait de la croissance de la part d’audience. »
Quant à CStar, elle avait déclaré à la commission d’enquête sur la TNT « être à l’équilibre depuis plusieurs années ». Vendredi, le directeur général de Canal+ France Gérald-Brice Viret a répété devant l’Arcom qu’elle est à l’équilibre. Une version contredite par ses comptes sociaux. Ils indiquent que la chaîne musicale du groupe Canal+ est dans le rouge depuis au moins 2015, quel que soit l’indicateur retenu (excédent brut d’exploitation, résultat d’exploitation, résultat net).
Quelles sont les chaînes les plus menacées ?
Alors que l’Arcom doit rendre son verdict fin juillet, les chaînes déficitaires sont les plus menacées de perdre leur fréquence. À commencer par C8 et CNews, accusées par leurs détracteurs de poursuivre un projet idéologique et non économique. Longtemps, les observateurs ont prédit que le régulateur renouvellerait tout de même ces deux autorisations sans barguiner comme il l’a fait pour TF1 et M6 l’an dernier, et comme il l’a presque toujours fait avec les radios.
Mais la cote des deux canaux contrôlés par Vincent Bolloré a fortement chuté lors de la bataille des législatives, durant laquelle leurs animateurs vedettes Pascal Praud et Cyril Hanouna ont affiché leurs opinions politiques. L’ex-iTélé a aussi relayé en pleine campagne deux fake news immédiatement démenties sur la suspension de la loi immigration et sur l’utilisation des pleins pouvoirs par Emmanuel Macron. Des fausses informations qui provenaient du Journal du Dimanche et Europe 1, deux médias appartenant aussi au groupe Vivendi. Sur le plateau de TPMP, Cyril Hanouna a invité essentiellement des politiques de droite et d’extrême droite, et même appelé Jordan Bardella (RN) en direct pour le pousser à s’entendre avec Sarah Knafo (Reconquête). Mardi devant l’Arcom, le patron de C8 Franck Appietto a regretté cette dernière séquence, expliquant qu’il l’aurait « bien sûr coupée » si cela avait été techniquement possible.
L’autre acteur menacé serait NRJ 12, en raison de la pauvreté de ses programmes, dépourvus d’animateurs vedette et essentiellement composés de séries américaines et de fictions françaises rediffusées. « En plus, si l’Arcom retire leur fréquence à C8 ou CNews, elle pourrait aussi supprimer NRJ 12, pour montrer qu’elle ne vise pas uniquement les chaînes Bolloré », souffle le dirigeant d’un groupe concurrent. Ce printemps, Jean-Paul Baudecroux a tenté de redonner in extremis un maigre lustre à son antenne, en lançant un prime time sur les drag-queens, un jeu musical quotidien présenté par Keen’V, puis un magazine dominical sur les tendances présenté par Louis Daubé. Un magazine sur la déco a en outre été annoncé vendredi.
Plusieurs groupes, comme TF1 et CMI de Daniel Kretinsky, sont convaincus que toutes les fréquences ne seront pas reconduites, et ont déposé des candidatures pour récupérer les places ainsi libérées. En face, Canal+ a sans doute réfléchi à des parades en cas de revers. Si CNews perdait la sienne, il serait juridiquement impossible de recréer une chaîne d’information continue sur un autre canal TNT du groupe. En revanche, si C8 était supprimée, TPMP pourrait très bien migrer sur une autre fréquence maison, comme CStar voire Canal+ elle-même. C’est d’ailleurs ce qu’a laissé entendre le directeur général de Canal+ France Gérald-Brice Viret mardi : « Avec ou sans C8, vous retrouverez Cyril Hanouna à la rentrée sur une autre chaîne ».
Autres possibilités, moins radicales, pour le gendarme de l’audiovisuel : renouveler les fréquences mais en durcissant les obligations inscrites dans les conventions. Ou bien les placer sous probation avec une reconduction courte de seulement un an, au lieu des dix années standard. Ce qui renverrait la patate chaude au nouveau président du régulateur, qui sera désigné en janvier par Emmanuel Macron…

[1] le canal de LCI est aussi remis en jeu, mais la chaîne n’est devenue gratuite qu’en 2016
[2] W9 a été rentable de 2018 à 2022, mais elle a indiqué à la commission d’enquête sur la TNT qu’elle serait déficitaire en 2023 (la chaîne n’a pas encore publié ses comptes 2023)
Une réponse de NRJ12
« Par souci de clarté, la société NRJ 12 souhaite apporter les précisions et rectifications suivantes à l’article de Jamal Henni et Emmanuel Paquette, intitulé « Les chiffres secrets des chaînes de la TNT ». Il est en effet indiqué que la fréquence de NRJ 12 pourrait lui être retirée et que cette menace pesant sur la chaîne serait notamment due à la « pauvreté de ses programmes ». Or, il doit être précisé que ces programmes prétendument pauvres sont regardés par 5 millions de téléspectateurs par jour. Par ailleurs, vous remettez en cause le fait que la chaine NRJ 12 soit bénéficiaire en indiquant que cela résulterait « d’astuces comptables légales ». Or, c’est oublier que prendre le seul résultat d’exploitation de NRJ 12 ne permet pas de mesurer le résultat complet de la chaîne. La chaine NRJ 12 contribue au résultat d’exploitation de deux sociétés du Groupe NRJ : NRJ 12 et NRJ Global. Et la chaîne NRJ 12 est bénéficiaire en 2023 puisqu’elle contribue positivement aux résultats cumulés de NRJ 12 et NRJ Global II n’y a donc la aucune « astuce », étant encore précisé que les comptes de la société NRJ 12 sont audités et reflètent avec une grande transparence la situation financière de la société en 2023. »
La réponse de l’Informé
L’Informé rappelle que Hervé Godechot, membre du collège de l’Arcom, avait, lors de l’audition de NRJ 12, déploré que la chaîne « s’engage à 300 heures de programmes inédits par an, ce qui est, pardonnez-moi, assez faible par rapport à tous les dossiers de candidature. C’est en fait le plus faible de tous les dossiers de candidature qu’on a eu. »
Concernant les résultats, l’Informé maintient que le bénéfice net de 6 millions d’euros affiché par NRJ 12 en 2023 est entièrement dû à un produit financier de 17 millions d’euros, correspondant à l’abandon d’un prêt du même montant consenti par sa maison mère NRJ Group, comme l’indiquent les comptes sociaux de NRJ 12 reproduits ci-dessous :
