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Continuer la lectureLa rédaction du Parisien s’inquiète d’une droitisation de son journal
La direction veut imposer une ligne idéologique plus marquée au quotidien, historiquement neutre. Tandis que la rédaction réclame des protections face à l’actionnaire LVMH.

Une assemblée générale très attendue se déroulait ce mardi 5 décembre au Parisien, a appris l’Informé. Durant plus d’une heure, le bureau de la Société des journalistes (SDJ) a retranscrit à la rédaction son rendez-vous avec Pierre Louette, patron du quotidien, tenu le 8 novembre dernier. En résumé ? Ce jour-là, le dirigeant leur a expliqué que leur journal n’était pas neutre, mais devait être positionné idéologiquement, sur une ligne laïque, pro-institutions et anti-extrêmes. Selon le PDG, il est légitime que ce positionnement soit le même que celui de son propriétaire, à savoir LVMH. Contacté, l’entourage de Pierre Louette confirme : « la ligne du Parisien est pro-républicain, pro-institutions, pro-laïque. Il reste ainsi fidèle à […] la ligne éditoriale défendue par ses fondateurs issus de la Résistance. L’origine du Parisien est celle d’un journal ‘gaulliste de droite.’ »
Ces déclarations passent mal en interne. Depuis deux ans maintenant, la rédaction s’inquiète d’un positionnement politique de plus en plus affirmé, particulièrement perceptible dans les éditoriaux du directeur de la rédaction. En 2021, elle avait déjà dénoncé un édito trop favorable à Nicolas Sarkozy « ne correspondant pas aux valeurs portées depuis 77 ans par Le Parisien… En arrivant au Parisien, Jean-Michel Salvator a assuré qu’il n’était pas question de faire de notre quotidien un journal d’opinion. Cet engagement doit être respecté. »
Rebelote en mars dernier, cette fois au sujet de la réforme des retraites, dont la SDJ a jugé le traitement " partisan, sinon orienté, dans un journal traditionnellement respectueux de toutes les sensibilités républicaines et démocratiques… Le sentiment d’un traitement privilégié du pouvoir en place [est] aujourd’hui largement partagé dans la rédaction. " Une motion de défiance avait alors été votée contre Nicolas Charbonneau, qui a succédé à Jean-Michel Salvator en septembre 2022.
À plusieurs reprises, la SDJ a demandé la suppression de l’éditorial, en vain. « Notre succès s’est bâti sur nos révélations autour des faits divers, pas sur nos éditos », dit un journaliste. Interrogée, la direction rétorque : « L’éditorial ne sera pas supprimé. Pourquoi le Parisien serait le seul journal à ne pas en publier ? ».
Plusieurs journalistes craignent que « la droitisation du journal ne se durcisse encore. Il n’y a qu’à voir ce qui se passe dans les médias de LVMH… ». Parmi les signaux relevés ? D’abord, la nomination à la tête du magazine Historia de Franck Ferrand, historien « néo réac » (selon ses propres dires) et chroniqueur chez CNews et Valeurs Actuelles. Ensuite, l’arrivée de Rachel Kahn comme chroniqueuse chez Radio Classique - recrutement qui a été effectué par Pierre Louette en personne, selon les propres dires de l’intéressée. Enfin le recrutement par les Échos d’une journaliste de Valeurs actuelles, Virginie Jacoberger-Lavoué, pour suivre… le luxe.
Inquiètes, certaines plumes soulignent aussi que LVMH a été le premier annonceur à revenir dans le Journal du Dimanche de Geoffroy Lejeune. D’autres s’étonnent qu’en mars dernier, Alexandre Arnault soit allé dîner chez Donald Trump, qui a ensuite fait son éloge. Ou que Bernard Arnault, fidèle téléspectateur de CNews, ait invité Pascal Praud à prendre le thé, à en croire le Monde. « Tout le monde a lu attentivement cet article qui nous a bien inquiétés », dit une plume du quotidien.
Face à cette situation, la SDJ plaide pour l’adoption d’une nouvelle charte garantissant des grands principes éditoriaux. Elle remplacerait le texte en vigueur, négocié par les syndicats en 2015 lors du rachat du titre, mais aujourd’hui jugé peu protecteur. Les représentants des journalistes ont aussi demandé la création d’un comité indépendant qui veillerait au respect de cette charte. Leur argument ? LVMH a octroyé ce type de dispositif aux Échos lors du rachat du quotidien économique en 2007. Mais Pierre Louette s’est montré réticent lors de son rendez-vous avec la SDJ, dont un compte rendu a été effectué à toute la rédaction ce mardi 5 décembre. Lors de son entretien avec la rédaction, Pierre Louette s’est aussi dit opposé à un vote sur le directeur de la rédaction. Son porte-parole confirme : « ce n’est pas d’actualité ».
Ce droit de veto sur le patron de la rédaction risque toutefois de revenir par la fenêtre. En effet, c’est une des principales questions débattues actuellement par les États généraux de l’information voulus par Emmanuel Macron. D’ores et déjà, une proposition de loi transpartisane suggère d’accorder des aides à la presse uniquement aux médias ayant accordé un tel vote. Un projet jugé « anticonstitutionnel » par le patron du Parisien et des Échos, convaincu que cela « porte atteinte au principe de la liberté du commerce ». En interne, le PDG aurait même dit préférer renoncer à toute subvention publique plutôt que d’instaurer un tel scrutin. Ce qui coûterait cher : le Parisien Aujourd’hui en France a touché 13,1 millions d’euros l’an dernier.
Pour mémoire, ce droit de veto existe déjà à Challenges (dont LVMH détient 40 %) et surtout aux Échos, où cela a été accordé lors du rachat en 2007. À l’époque, le groupe de luxe avait déclaré que « les dispositifs permettant de préserver la tradition de qualité éditoriale et d’indépendance des Échos… sont des éléments fondamentaux » de cette acquisition.
Dans une interview au Figaro, le n° 2 du groupe, Nicolas Bazire, avait même assuré que les garanties accordées constituaient « le meilleur système d’indépendance au monde ». Il détaillait : « pour révoquer le directeur de la rédaction, il faudrait l’accord de deux administrateurs indépendants sur trois. Et une majorité simple des journalistes peut invalider ce choix [du directeur de la rédaction par l’actionnaire]. Aucune nomination de complaisance à la tête de la rédaction des Échos ne peut être envisagée, et c’est heureux ! »
Seize ans après, Bernard Arnault a donc changé d’avis. Il a sûrement été échaudé par le rejet massif de son candidat François Vidal par la rédaction du quotidien économique en septembre. Un vote survenu après plusieurs interventions remarquées de LVMH. D’abord, le directeur de la rédaction Nicolas Barré a été limogé sans aucune explication, alors qu’il n’avait apparemment pas démérité. Ensuite, son éviction a pris la forme d’une « démission », afin de contourner les règles applicables en cas de révocation. Enfin, le propriétaire a essayé de vider de sa substance le vote sur la candidature de François Vidal, en gonflant le corps électoral. « Bernard Arnault n’a visiblement pas compris que le droit de veto accordé à la rédaction implique de ne pas la brutaliser. Au contraire, LVMH a accumulé bourde sur bourde. Le rejet de la candidature de Vidal était donc logique », analyse un observateur.
Le 22 novembre, lors du colloque Médias en Seine qu’il organisait, Pierre Louette a enfoncé le clou, selon des propos rapportés par la Correspondance de la presse : « Si on n’est pas d’accord, on peut partir, et exercer son talent dans beaucoup d’endroits […] Un journal de presse écrite n’a pas besoin de pluralisme interne. Il n’est pas fait pour ça, il a une ligne éditoriale. Les radios et les télévisions doivent en avoir, car ils utilisent une concession de l’État […] Le pluralisme d’oligarques n’est pas une tradition française. […] Sans les industriels, il n’y aurait plus rien. »