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Continuer la lectureCinéma : contre le piratage, les ayants droit veulent désormais le blocage des hébergeurs de fichiers
Selon nos informations, le secteur du cinéma réclame le blocage de quatre services de stockage de fichiers. Une première dans l’histoire de la lutte anti-piratage.

Les ayant droits passent la vitesse supérieure. La Fédération nationale des éditeurs de films (FNEF), le Syndicat de l’édition vidéo (SEVN), l’Association des producteurs indépendants (API), l’Union des producteurs de cinéma (UPC) et le Syndicat des producteurs indépendants (SPI) ont assigné les principaux fournisseurs d’accès à Internet (FAI) devant le tribunal judiciaire de Paris. Dans une audience qui se tiendra ce lundi 5 décembre, ils réclament le blocage de plusieurs services d’hébergement (ou « cyberlockers ») utilisés par de nombreux sites pirates. Une première, dont l’Informé vous révèle les principaux détails.
Depuis plusieurs années, Bouygues, Free, Orange, SFR et SFR Fibre sont régulièrement assignés pour bloquer des sites comme Allostreaming, Libertyland ou encore Zone Téléchargement, autant d’« annuaires de liens » permettant de voir ou télécharger des séries et films hébergés chez des prestataires tiers. Cette fois, les organismes de défense du cinéma ont donc décidé de frapper au niveau au-dessus : ils réclament directement le blocage de quatre de ces prestataires, à savoir Fembed, Upvid, Uqload, Vudeo. À l’occasion de l’audience programmée au tribunal judiciaire de Paris, ces professionnels du cinéma tenteront de démontrer que cette bande des quatre est essentiellement dédiée au piratage de films.

Selon les demandeurs, ces hébergeurs spécialisés dans le stockage de vidéos reposeraient tous sur le même modèle économique : la valorisation de l’accès, notamment par l’incrustation de pubs, et l’incitation au partage des vidéos. Avec de tels ingrédients, plus les films sont partagés, plus les rémunérations publicitaires sont importantes. Quelques exemples : selon les plaignants, Fembed rémunèrerait ceux qui ont mis en ligne le contenu (les « uploadeurs ») 1 dollar les 1 000 vues. Upvid leur octroierait 22 dollars, cette fois pour 10 000 vues. À la différence d’acteurs comme YouTube ou Dailymotion, les quatre services en cause ne mettraient cependant aucun outil efficace à disposition des ayants droit pour lutter contre la présence ou la remise en ligne des vidéos illicites. C’est en tout cas ce que les auteurs de l’assignation déduisent de l’absence de réponse aux demandes de suppression envoyées par l’Alpa, l’association de lutte contre la piraterie audiovisuelle, qui travaille avec eux.
Sur le volet technique, ces cyberlockers ont pour autre particularité de ne proposer aucun moteur de recherche interne. Leur modèle repose donc essentiellement sur les sites d’indexation tiers, avancent encore les organisations. Et selon elles, 21 sites déjà jugés contrefaisants par la justice partageaient des liens vers Upvid menant vers des films piratés. Ce nombre grimpe à 38 pour Uvideo, 51 pour Fembed, et même jusqu’à 69 pour Uqload. Le nombre d’utilisateurs uniques se chiffrerait en centaines de milliers. Selon les données Médiamétrie de mai 2022, Fembed a enregistré par exemple 583 000 utilisateurs uniques et Uqload, 873 000.
Des victimes collatérales
Seulement, il y a un hic. Si la justice ordonne le blocage d’accès de ces quatre cyberlockers entre les mains des FAI, les contenus légaux mis en ligne par d’autres internautes sur ces serveurs en seront des victimes collatérales. Ces vidéos, professionnelles, de vacances ou encore familiales, ne seront en principe plus accessibles. Pour exhorter la juridiction à ordonner malgré tout la coupure d’accès, les organismes de défense, défendues par le cabinet Soulié & Coste-Floret, tenteront de convaincre que ces quatre services sont essentiellement dédiés au piratage. À cette fin, ils ont procédé d’abord à un inventaire des liens (ou « backlinks ») menant vers ces serveurs sur les 90 derniers jours. Ensuite, ils ont prélevé un échantillon au hasard de 100 liens (que les contenus visés soient toujours accessibles ou non). Enfin, ils ont procédé à un décompte : le pourcentage de liens menant vers des contrefaçons serait de 53 % pour Fembed, 63 % pour Vudeo, 85 % pour Upvid et même 88 % pour Uqload (avec marge d’erreur de 6 à 9 %). Mieux, 100 % des liens encore actifs lors des constats pointaient vers des contenus illicites. Dans le lot, les films « Camping 3 », « Plonger », « 40 ans, toujours puceau », « Fast and Furious 4 », « Au revoir là-haut » ou encore « Un beau voyou ». Leur conclusion : le piratage représente bien l’activité prépondérante de ces cyberlockers.
Un blocage durant plusieurs mois
Sur le terrain juridique, jamais la justice n’a ordonné le blocage d’un tel service, et pour cause, ces acteurs bénéficient en principe du statut protecteur dit de « l’hébergeur ». Les organisations considèrent cependant que ces quatre acteurs ne peuvent s’en prévaloir : elles sont persuadées que leur modèle économique reposerait sur l’incitation à « uploader » et partager des contenus illicites. Une analyse d’autant plus naturelle que ces services ne mettraient à disposition aucun outil efficace pour mettre un terme à ces diffusions. Au contraire, ils proposeraient même des outils pour remettre en ligne automatiquement un contenu supprimé ou pour cacher les vraies adresses des contenus. Dans le détail, FNEF, SEVN, UPC, API et SPI s’arment d’un article du Code de la propriété intellectuelle qui leur permet de réclamer d’un tribunal « toute mesure » à l’encontre de « toute personne » pour prévenir ou faire cesser une atteinte aux droits qu’ils défendent. Ils réclament un blocage d’accès chez les principaux FAI français durant 18 mois, visant les noms de domaine fembed.com (et plusieurs de ses variantes comme les .net et .one), uqload.com (et .org), vudeo.net (et .io), et enfin upvid.co (et .biz, .pro, .live, .host, .cloud, .net, .org). Sauf surprise, la décision du tribunal judiciaire ne sera pas rendue avant plusieurs mois.