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Continuer la lectureLes méthodes musclées de Stéphane Courbit pour reprendre un hôtel de luxe à Courchevel
Depuis dix ans, le pape de la téléréalité ferraille avec les copropriétaires de l’ancien Mercure, situé dans l’endroit le plus select de la station savoyarde.

Ce jour-là, même un mort n’aura pas suffi à contrarier les projets de Stéphane Courbit. En ce matin d’octobre 2014, le producteur télé devenu passionné d’immobilier a l’occasion de faire avancer sa conquête de la station la plus cossue d’Europe : Courchevel. L’investisseur y détient déjà deux palaces à quelques pas des pistes, les Airelles et le Melezin, et ne compte pas s’arrêter là. À son agenda ? Une assemblée générale avec les propriétaires des murs de l’hôtel Mercure, un trois-étoiles parfaitement situé au cœur du Jardin alpin, le coin le plus huppé de la ville. L’homme d’affaires se prépare à faire une annonce à la centaine de particuliers réunis en société civile immobilière : il va reprendre le bail et s’occuper de faire tourner la boutique… Quand survient un triste imprévu : le directeur de l’hôtel Dominique Bottelin, attendu à la réunion, est retrouvé mort dans sa chambre à peine la séance commencée. « Lorsqu’on a appris le décès, plusieurs copropriétaires ont bien sûr proposé d’ajourner l’AG, se souvient Liliane Konqui, actionnaire de la SCI et scrutatrice de la réunion. Mais le gérant a insisté pour que l’assemblée soit maintenue, car le nouvel exploitant de l’hôtel était venu spécialement pour nous présenter son projet. » Business is business.
L’épisode signe le début d’une bataille épique, où tous les coups sont permis. Un étonnant combat en terre chic, où les bonnes manières ne semblent plus de mise. Depuis 10 ans, Stéphane Courbit ferraille avec les détenteurs des murs de l’ex-Mercure devenu le Lake Hotel. Son objectif ? Mettre la main sur cet espace exceptionnel, situé dans le plus bel emplacement de Courchevel, juste au bord du lac. L’enjeu est de taille : dans cette station envahie par les ultra-riches étrangers – notamment des Russes surnommés les « blingcheviks » - où les chambres peuvent être proposées plusieurs milliers d’euros la nuit, cet établissement est un des trois derniers du Jardin alpin à ne pas avoir déjà été transformé en palace par un milliardaire de l’immobilier. Preuve du potentiel, le groupe Kerzner se propose de débourser 165 millions d’euros pour acquérir le bâtiment et y installer sa marque One & only. Mais pour contrer le projet, le pape de la télé, producteur de Koh lanta et Fort Boyard, ne manque pas d’audace. Entre procès, coups de pression et pieds de biche, l’affaire révèle des méthodes pour le moins singulières.
Au départ, il y a donc cette AG endeuillée, où le serial investisseur annonce aux copropriétaires qu’il va reprendre l’exploitation de l’hôtel. Pour cela, il décide de s’associer avec François Dubrule, dont les connexions peuvent être utiles. En effet, son oncle, Paul, est le cofondateur et le coprésident d’Accor, le groupe qui exploite les lieux sous la marque Mercure depuis 1978. Stéphane Courbit, François Dubrule et le géant hôtelier créent alors une société baptisée Société hôtelière Courchevel investissement (SHCI), qui rachète à Accor le fonds de commerce et le bénéfice du bail. De quoi susciter des premières interrogations chez les propriétaires, car l’opération se conclut pour seulement 600 000 euros, un prix de vente étonnamment bas pour un établissement qui engrange 4 millions de chiffre d’affaires par an. Deux ans plus tard, une expertise commandée par Courbit et Dubrule eux-mêmes valorisera d’ailleurs le fonds de commerce à 6 millions d’euros, soit dix fois plus. Autre étrangeté : le groupe Lavorel, via sa filiale les Clefs du luxe, avait proposé de reprendre le fonds de commerce, mais son offre n’a pas été retenue. Elle s’élevait pourtant à un million d’euros, selon Isabelle Monsenego, gérante de la SCI depuis 2017. Ces bizarreries conduiront finalement la SCI à porter plainte en 2023 pour « abus de bien social » et « présentation ou publication de compte infidèles ».
Stéphane Courbit, lors de son discours en AG, annonce aussi un projet de rénovation nécessitant d’importants travaux. Et pose d’emblée une condition : renégocier par anticipation le bail, qui expirait normalement fin 2017. Plusieurs copropriétaires soulèvent alors un loup : « si nous avions renégocié le bail par anticipation, se serait appliquée alors la toute nouvelle loi Pinel, qui mettait les grosses réparations à la charge des copropriétaires, se souvient Liliane Konqui. Alors que dans le bail dont nous bénéficions, tous les travaux au-delà de 160 000 euros étaient à la charge du locataire. Évidemment, Stéphane Courbit ne nous a pas parlé de ce point important dans son discours. Il pensait que nous ne nous en apercevrions pas, mais nous avons compris sa manœuvre. » Un an plus tard, le duo Courbit-Dubrule chiffre les travaux à 10 millions d’euros et demande aux copropriétaires d’en payer la moitié. Ce qu’ils refusent, arguant ne pas en avoir les moyens. « Stéphane Courbit voulait nous pousser à vendre et racheter l’immeuble pour une quinzaine de millions d’euros seulement », analyse Isabelle Monsenego.

La collaboration semblant assez mal engagée, les copropriétaires décident de ne pas renouveler le bail des deux locataires et de trouver un autre exploitant – en l’occurrence, la société Honotel, sous la marque Lake Hotel. Parallèlement, ils décident de vendre l’immeuble et mandatent un agent immobilier. Celui-ci « a consulté tous les gros propriétaires d’hôtel à Courchevel comme LVMH ou Xavier Niel, qui disait que l’immeuble ne valait pas plus de 100 millions », raconte Isabelle Monsenego. Deux propositions sont finalement déposées. L’une vient du sulfureux marchand de biens Pierre Reynaud. L’autre émane de Kerzner, sérieux groupe du magnat sud africain Sol Kerzner qui signe une promesse de vente pour 165 millions d’euros. Courbit et Dubrule, eux, ne formulent pas d’offre. « Nous aurions été tout à fait prêts à leur vendre s’ils avaient proposé le juste prix. Mais ils ne supportent pas d’avoir perdu le bail et veulent nous avoir à l’usure », assure Isabelle Monsenego.
Les deux hommes d’affaires se lancent en tout cas dans une guérilla tous azimuts, toujours en cours aujourd’hui. D’abord sur le terrain juridique, en réclamant à la SCI des dommages pour ne pas avoir renouvelé leur bail. En 2023, la cour d’appel de Chambéry leur accorde 5,5 millions d’euros d’indemnités d’éviction. Un procès qui a repoussé le changement d’exploitant, finalement opéré mi-2023.
Toujours au tribunal, lorsque les copropriétaires doivent se prononcer sur le mandat de vente, le duo conteste cette résolution en référé, mais en vain. Puis, lorsque la promesse de vente est signée, François Dubrule écrit à Isabelle Monsenego en l’accusant de commettre « une faute de gestion, ce que nous nous réservons le droit de faire sanctionner en justice ». Il demande que les copropriétaires ne votent pas sur l’opération.
Plus original, Courbit et Dubrule ont aussi l’idée d’acheter une des chambres d’hôtel pour 235 000 euros, ce qui leur permet de devenir copropriétaires et de participer aux AG. Ils votent ainsi contre le mandat de vente, puis contre la cession elle-même, mais sont suivis par seulement une poignée de copropriétaires.

De manière plus astucieuse encore, le binôme rachète en 2016 pour 4,6 millions d’euros les murs du bar restaurant de l’hôtel, puis un appartement de fonction, ainsi qu’une des chambres de service. Avec la ferme intention de les garder. « Nous vous le redisons formellement, nous ne sommes pas vendeurs », écrit ainsi François Dubrule en 2021. Selon Isabelle Monsenego, ils auraient ainsi refusé une offre de Kerzner à 30 millions d’euros pour le bar restaurant.
Les deux associés mènent la vie dure aux copropriétaires. D’abord, lorsqu’ils perdent le bail de l’hôtel en 2023, ils ferment le bar restaurant, ce qui contraint le nouvel exploitant à installer une yourte devant l’hôtel pour y servir les petits déjeuners…
Surtout ils cherchent à empêcher toute vente des murs. « Toute offre de vente soumise à un accord de notre part sur la vente des biens nous appartenant, ne pourra qu’échouer », assure le courrier de François Dubrule. De quoi, potentiellement, faire dérailler la promesse de vente signée avec Kerzner, car celle-ci contient plusieurs conditions suspensives, notamment le rachat du bar, de l’appartement de fonctions et de toutes les chambres de service. Face à ce blocage, Isabelle Monsenego et ses acolytes ne se laissent pas abattre. « Si Courbit et Dubrule parviennent à bloquer la vente à Kerzner, alors les copropriétaires ne remettront pas en vente les murs, les mêmes causes produisant les mêmes effets, mais continueront à exploiter ou faire exploiter l’hôtel ", explique la patronne de la SCI.
Mais Stéphane Courbit trouve une faille mettant en cause la sécurité de l’hôtel et, par là, son exploitation. En pratique, il parvient à empêcher toute circulation entre l’hôtel et le bar-restaurant, désormais séparés par une cloison, avec une porte fermée à clef. Comment ? Le 28 décembre 2023, son neveu Mathieu Zuchiatti débarque avec quelques hommes, se présente comme « un des actionnaires » du bar restaurant, et explique qu’il est venu changer la serrure de la porte. Un, parce qu’il affirme ne pas avoir la clé, et deux, parce que « comme ça, plus personne n’aura accès ici. ». Dans une vidéo filmée par un témoin ce jour-là, on voit en effet un autre homme s’affairer au niveau de la serrure. « Une semaine plus tôt, Mathieu Zuchiatti avait déjà fait une première tentative qui s’était avérée infructueuse, car je m’étais mise devant la porte pour faire barrage de mon corps et j’avais appelé les gendarmes », raconte Isabelle Monsenego, qui a alors porté plainte pour « dégradation en réunion » et « menaces ». Depuis lors, Courbit et Dubrule refusent de fournir une clef au personnel de l’hôtel. Ce qui pose un problème si une alarme incendie se déclare dans l’espace restauration. Dans un tel cas de figure, les équipes de l’hôtel ne pourraient y accéder.
Ce point a été relevé lors d’un contrôle mené en mai 2024 par la commission de sécurité qui dépend de la préfecture. Cette visite avait été demandée par le maire Jean-Yves Pachod, membre de cette commission. L’instance a rendu un avis défavorable sur l’exploitation de l’hôtel en raison de « l’impossibilité de la levée du doute [en cas d’alarme incendie] due à l’absence d’accès à certains locaux ». Dans la foulée, le maire a indiqué aux copropriétaires que « la fermeture de l’établissement pourra être prononcée dans l’hypothèse où les prescriptions de la commission n’étaient pas respectées ».
Un courrier qui a rendu furieuse Isabelle Monsenego : le jugeant illégal, elle a déposé un recours pour excès de pouvoir. Elle s’est aussi fendue le 21 août d’un email virulent au maire et aux conseillers municipaux : « il n’existe pas de problème réel de sécurité incendie, mais une manœuvre des sociétés de M. Courbit, [qui] ont fait le choix de créer artificiellement un problème de sécurité incendie. … M. le Maire, plutôt que de vous opposer à ce détournement des règles de sécurité incendie, fait le choix de soutenir ces agissements. »
Auprès de l’Informé, celle qui est aussi conseillère municipale d’opposition ajoute : « le maire, au lieu de menacer de fermer l’hôtel, aurait dû s’adresser à Courbit et Dubrule pour leur demander de régler le risque d’incendie dans le bar-restaurant. D’autant que ce risque est quasi-nul vu que le bar-restaurant est fermé et n’est plus alimenté en électricité. En soutenant ainsi Courbit, le maire va à l’encontre de l’intérêt de la commune. Mais Courbit fait la loi à Courchevel, il fait tout ce dont il a envie, c’est le patron. Quand il veut faire fermer un hôtel, on l’aide, au lieu de lui dire stop. Quand il construit des chalets hors la loi, on régularise a posteriori. » Une référence à une autre affaire que nous vous raconterons dans le prochain épisode…

Contacté, le maire Jean-Yves Pachod assure : « je n’ai aucun parti pris dans ce conflit privé qui ne concerne pas la commune. Ce n’est pas à moi d’être le juge de paix de ce conflit ». L’édile ajoute : « la commission de sécurité rend seulement des avis consultatifs, et n’impose pas la fermeture des établissements. Cinq ou six hôtels de Courchevel ont déjà reçu des avis défavorables et maintenu leur exploitation jusqu’à la mise en conformité. Après l’avis défavorable, j’ai envoyé le même courrier administratif à la SCI et à la société de M. Courbit, car en matière de sécurité sur la commune, le maire est responsable. Pour l’instant, je discute avec les services de la préfecture pour trouver une solution. Je fais tout pour que le Lake Hotel soit ouvert cet hiver, c’est primordial pour nous ».
Enfin, il assure que si le Lake Hotel a fermé cet été, ce n’est nullement suite à son courrier datant de juin, car l’hôtel avait indiqué à la mairie dès mars-avril qu’il n’ouvrirait pas pour la saison estivale.
Contactés, Stéphane Courbit, François Dubrule et son groupe Valuestate n’ont pas répondu. Kerzner a indiqué qu’ "aucun projet à Courchevel n’a été confirmé à ce stade ». Accor a indiqué ne pas être informé de la plainte, et avoir vendu ses 33 % dans la Société hôtelière Courchevel investissement (SHCI) en 2023 suite à la fin du bail, et conformément au pacte d’actionnaires avec Stéphane Courbit et François Dubrule.