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Continuer la lectureAirbnb : la France retoquée par Bruxelles sur le contrôle des locations courte durée
Le gouvernement veut centraliser les informations des sites de réservation pour mieux s’assurer du respect de la réglementation. La Commission européenne demande à Paris de revoir sa copie.

Un camouflet en règle… Dans un avis adressé ce 18 juillet au ministre des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, la Commission européenne a invité le gouvernement à revoir entièrement le cœur de son projet de décret « API meublés » - issu de la loi SREN (*) - dont l’objectif est de renforcer les contrôles sur les locations meublées saisonnières. Pour mémoire, le texte en question, qui avait été soumis à la Commission européenne en avril dernier, prévoyait de confier à la Direction générale des entreprises - administration rattachée à Bercy - le soin de centraliser sur une seule et même plateforme numérique toutes les données issues des locations meublées qui leur seront transmises par les sites de réservation (Airbnb, Abritel, Booking…. Le but visé était ainsi de permettre aux élus locaux, qui le souhaitent, de s’assurer plus facilement du bon enregistrement de chaque location sur leur territoire, et surtout de vérifier que celles-ci ne dépassent pas la limite légale de 120 jours par an autorisée pour les résidences principales.
Simple dans l’idée, le texte a néanmoins fait tiquer la Commission sur plusieurs sujets précis le rendant totalement inapplicable en l’état. Premier point d’achoppement notifié : l’incompatibilité du décret français avec le règlement européen STR (Short terms rentals) sur les locations de courte durée. Ce texte, qui doit entrer en application le 20 mai 2026, a en effet fixé des règles bien précises pour harmoniser la collecte des données issues des activités des plateformes de locations saisonnières au sein de l’Union européenne. Il prévoit entre autres la mise en place des relevés de données mensuelles auprès des sites de location, avec des conservations de datas ne pouvant excéder 18 mois. Des règles communes dont le décret français n’a pas tenu compte… « La Commission a jugé que le projet français avait précisément fixé des délais de conservation excessifs et non proportionnés en prescrivant une mise à disposition des données relatives à l’année en cours et aux trois années précédentes, note Debora Cohen, avocate en droit du numérique. La France a donc été invitée à se mettre en conformité. »
Un projet en contradiction avec plusieurs textes européens
Dans son avis ciselé, l’Europe a par ailleurs invité les autorités françaises à « veiller à ce que la loi finale soit cohérente avec l’architecture de surveillance et d’application du règlement sur les services numériques (DSA) », le règlement qui régit l’activité de tous les prestataires et plateformes de l’Union. Or, là encore, la Commission a émis un certain nombre de réserves, indiquant que le décret prévoyait des obligations… non prévues par le DSA. « Les autorités européennes ont notamment insisté sur le fait que le projet français envisageait de confier le pilotage de la collecte des données à une nouvelle instance comme la DGE, alors même que la France a déjà désigné une autorité compétente pour assurer le rôle de coordonnateur de services numériques - ndlr : l’Arcom - en application du DSA », pointe Debora Cohen. Autre grief : la mise en place par les autorités françaises d’un système de surveillance qui n’a pas été prévu dans le texte européen. D’après le projet de décret, les fonctions de contrôle du dispositif seraient confiées aux agents assermentés des services municipaux ou départementaux des logements, ce qui est contraire au règlement européen.
Dernier écueil, et non des moindres, dénoncé par la Commission européenne : en obligeant toutes les plateformes européennes de location à transmettre des données sur leur activité - qu’elles soient ou non établies en France -, le projet de décret français s’est de facto opposé à la directive de 2000 sur le commerce électronique. Et pour cause, celle-ci a instauré la règle selon laquelle il revient au seul État membre du lieu d’établissement de réguler les plateformes qui y sont installées. Airbnb Europe étant par exemple basé en Irlande, c’est à cette dernière de réguler en priorité les activités du géant américain sur le continent. « Ces plateformes ne sont soumises qu’au droit du pays d’origine concernant la collecte des données : sauf dérogations très limitées concernant des raisons d’ordre public, de protection de la santé publique ou encore de protection des consommateurs… et qui en l’espèce n’ont pas été notifiées par les autorités françaises », explique l’avocate Debora Cohen. Le texte français a en effet choisi d’imposer des obligations générales et indiscriminées à tous les intermédiaires pour la transmission de données telles que le type de location (résidence principale ou non, professionnelle ou non), l’identité des propriétaires… Un tel régime avait déjà été déclaré non conforme par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) dans un arrêt très important concernant Google Ireland en 2022.
Face à cette avalanche de remarques, les autorités françaises ont désormais jusqu’au 23 août 2025 pour conformer l’écriture du décret avec le droit européen. De fait, si le texte venait à être publié en l’état, la France s’exposerait à d’éventuelles poursuites de la Commission, devant la Cour de justice l’Union européenne. De quoi donner de sacrés devoirs de vacances aux services concernés...
Contactés, le service de communication de Bercy et la DGE ne nous avaient pas répondu au moment où nous avons publié notre article.
(*Loi visant à sécuriser et réguler le numérique votée le 21 mai 2024)