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Continuer la lectureNutella très vexé que Nocciolata communique sur sa pâte à tartiner « sans huile de palme »
La célèbre marque de Ferrero a attaqué en justice les publicités de son concurrent italien. En vain.

Nutella vient de perdre une bataille symbolique dans le domaine très bataillé des pâtes à tartiner. Le leader incontesté du secteur avait mal digéré un spot diffusé par son petit concurrent Nocciolata. À peine la réclame était dévoilée que Nutella voyait rouge, hurlait au dénigrement et attaquait le fabricant de Nocciolata, criant à la concurrence déloyale. Mais selon nos informations, Ferrero vient tout juste de perdre son procès en appel après une défaite en première instance, durant laquelle on aura rarement autant parlé des orangs-outans dans un prétoire.
Cette histoire tient de l’affrontement entre deux groupes familiaux italiens, avec la multinationale Ferrero dans un coin (marques Nutella, Kinder, Tic Tac, etc.), et Rigoni di Asiago (Nocciolata, Fior di frutta, Mielbio) dans l’autre. En 2019 et 2020, Rigoni di Asiago diffuse à la télévision française une publicité pour faire la promotion de son produit, mettant en scène un enfant et sa mère et train de préparer des tartines, ainsi qu’une peluche géante d’orang-outan. Les différents messages et voix off indiquent « Nocciolata c’est sans huile de palme », ou encore « Nocciolata c’est plein de bonnes noisettes bio ». Cela ne plaît pas vraiment à Nutella, qui n’est pourtant pas nommé une seule fois dans les spots, pas plus que Ferrero.
Le géant des produits sucrés croit déceler dans ces spots une attaque directe et une allusion aux polémiques dont la marque a fait l’objet dans les années 2010 sur l’utilisation de l’huile de palme. Son extraction étant fréquemment associée à la déforestation des forêts tropicales et à l’extinction d’espèces comme les orangs-outans. Gros utilisateur de cet ingrédient, qui contribue à la texture et à la stabilité de sa pâte à tartiner star, Nutella a souvent été pointé du doigt à ce sujet par des associations de défense de l’environnement. Ce qui l’a d’ailleurs incité la marque à montrer patte blanche sur l’origine de son huile de palme.
En 2020, Ferrero envoie une mise en demeure à Nocciolata pour qu’il stoppe sa campagne, sans succès. L’affaire se déplace alors sur le terrain judiciaire, avec une assignation pour « concurrence déloyale par dénigrement et parasitisme ». « Ferrero est confrontée à une publicité agressive et malveillante, avec une recherche de stigmatisation de l’huile de palme, destinée à détourner la clientèle de Nutella » explique l’entreprise. Ce à quoi son concurrent rétorque que l’équation « huile de palme (Nutella) = danger des orangs-outans (Nutella) » n’existe que dans l’imagination de Ferrero. La multinationale réclame l’interdiction de diffusion des spots sous astreinte de 100 000 euros par parution, et 1,5 million d’euros en réparation du préjudice commercial et moral.
Un sentiment de persécution infondé
Des motifs balayés point par point par le tribunal de commerce de Paris. Ce dernier constate que les messages présentés dans la pub se bornent à décrire le produit de Rigoni di Asiago et ses composants, et ne jettent pas le discrédit sur l’huile de palme elle-même. « Rigoni s’est plutôt placée dans un courant biologique, écologique et de santé, porteur depuis 2019 » tranchent les juges, en ajoutant, que ces spots sont « sciemment portés sur la nature, la famille, le bien-être et l’écologie, ce qui est une stratégie de communication originale ». Le simple commerce par un concurrent d’un produit similaire n’est pas une faute parasitaire au regard du principe de la liberté du commerce. D’autant que ce concurrent n’a pas lésiné à la dépense en publicité pour faire son trou. Et d’enfoncer le clou : « Ferrero ne détient aucun droit sur la pâte à tartiner à la noisette ».

La décision reste en travers de la gorge du fabricant de Nutella (tout comme les 50 000 euros de frais de justice à régler à son concurrent), qui a fait appel de la décision… pour se voir de nouveau débouté de toutes ses demandes, le jugement initial étant intégralement confirmé. La Cour d’appel est restée sur la même ligne, précisant que « sans qu’il soit besoin d’entrer dans le débat de la nocivité ou non de la culture de l’huile de palme pour l’environnement et le monde animal, (…), aucune polémique sur l’huile de palme n’est véhiculée par cette publicité qui ne présente nullement de manière tendancieuse cette huile, Rigoni di Asiago pouvant sans déloyauté présenter son produit comme étant biologique et exempt d’huile de palme et comme étant favorable à l’environnement, cette présentation positive n’étant nullement axée contre l’achat des pâtes à tartiner contenant de l’huile de palme comme le Nutella ».
Ferrero (qui nous a indiqué « avoir pris acte » de la décision de la cour d’appel, sans plus de commentaires) n’est pas au bout de ses peines. Depuis quelques années, de très nombreux rivaux viennent en effet le titiller sur son marché : en 2021, le géant Mondelez et Andros ont lancé leur pâte à tartiner, respectivement sous marque Milka et Bonne Maman et rejoint le français Lucien Georgelin qui commercialise aussi la sienne, sans huile de palme et aux noisettes du Lot-et-Garonne. Sans oublier les produits de Poulain ou Banania. De quoi faire reculer la part de marché de Nutella sur le segment, passée de 85 % en 2013 à 66,5 % en 2022, sur un rayon qui représente 609 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel selon le magazine professionnel LSA. Et devinez qui en est le deuxième intervenant ? Il n’est autre de Rigoni di Asiago, qui pèse 7 % du marché avec la Nocciolata classique, et ses déclinaisons chocolat blanc, sans lait, ou aux éclats de noisettes. Contacté, ce dernier n’a pas répondu à nos questions.
Rigoni vs Ferrero : une PME contre un géant mondial
A travers toutes ses marques (dont Nutella), Ferrero réalise 1,4 milliard d’euros de chiffre d’affaires dans l’Hexagone. Soit 10 % des ventes mondiales du groupe (14 milliards d’euros, données 2022), dont l’héritier et propriétaire de la société est Giovanni Ferrero.
Rigoni di Asiago, entreprise fondée il y a 100 ans par Elisa Rigoni sur le plateau d’Asiago (à une cinquantaine de kilomètres de Venise) est plus modeste. Toujours détenue et dirigée par la famille, cette PME enregistre aujourd’hui un chiffre d’affaires global de près de 150 millions d’euros, en développement constant via ses gamme de confitures, miels et pâtes à tartiner, toutes bio. En France, selon nos informations, la société a atteint 31 millions d’euros de revenus en 2021, trois fois plus qu’en 2015.