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Continuer la lecture« Ils font quoi, avec mon argent ? » : sur Leboncoin, la colère des vendeurs face aux porte-monnaie bloqués
Confrontés à des procédures tatillonnes de vérification d’identité, des utilisateurs ne parviennent pas à récupérer l’argent issu de leurs ventes. Une conséquence de contrôles anti-blanchiment mal maîtrisés.

Depuis le 20 août, Charles fulmine. Impossible pour ce Vendéen de récupérer les 125 euros gagnés grâce à quelques ventes réalisées sur Leboncoin. Son porte-monnaie « sécurisé » sur le site de petites annonces est bloqué à des fins de vérification d’identité : un relevé d’identité bancaire (RIB) lui est demandé. « Pourtant, mes coordonnées bancaires, déjà indiquées dans mon compte, n’ont pas changé », grince-t-il auprès de l’Informé. Son premier envoi, un RIB imprimé au distributeur automatique puis pris en photo, est refusé. Même sort pour un deuxième, imprimé depuis le site de la banque : « Visiblement, le fait qu’il y ait trois fois le même RIB sur la page du PDF leur pose problème. » Le troisième envoi n’a pas eu davantage de succès. « Le service client ne répond pas, ou alors à côté de la plaque. En attendant, ils sont où, mes 125 € ? »
Comme Charles, ils sont nombreux à être confrontés à un blocage de leur porte-monnaie par Leboncoin et son prestataire de paiement, la société néerlandaise Adyen. À chaque fois, c’est la même chose : la procédure de vérification d’identité se solde par des refus de justificatifs à répétition. Ces contrôles, menés par Adyen, sont imposés par la réglementation de lutte contre le blanchiment d’argent. Mais leur application automatisée et obscure place des utilisateurs dans l’impasse. Sur le site d’avis Truspilot, le prestataire hérite d’une note déplorable de 1,4 sur 5. Et les noms d’oiseaux pleuvent : « voleurs en col blanc », « arnaqueurs de premier plan »… « C’est de la rétention de fonds pure et simple », tranche auprès de l’Informé Fred, un quinquagénaire sans emploi qui cherche à récupérer ses 213 € depuis deux mois.

Dès le départ, les échanges ont de quoi crisper. Alors qu’ils avaient déjà fait vérifier leur identité au préalable lors de la création du porte-monnaie, ils peuvent se voir réclamer par Adyen un nouveau justificatif si celui-ci identifie « un comportement ou des transactions inhabituels », indique la notice d’information dédiée aux utilisateurs, sans plus de précision.
À entendre les victimes, c’est surtout la suite de la procédure qui fait tourner en bourrique. Lorsque le justificatif est refusé, le motif n’est pas communiqué. Et Adyen se révèle particulièrement tatillon sur la forme : poids des fichiers, netteté des images, obligation de fichiers séparés pour le recto et le verso… S’il veut comprendre, l’utilisateur doit se manifester. Et tenter de ne pas s’énerver. Car seul Adyen décide de valider ou non les justificatifs fournis : « Leboncoin n’a aucun pouvoir pour influencer cette décision », indique la FAQ du site. Mais seul le service client Leboncoin répond aux utilisateurs : « notre partenaire Adyen ne doit pas être sollicité », précise la même FAQ. Kafkaïen !
Dès lors, pas étonnant que les usagers reçoivent des réponses approximatives ou contradictoires. Fred, qui a vu son permis de conduire refusé comme pièce justificative, s’est vu répondre tantôt que les anciens formats de permis n’étaient pas acceptés, tantôt que c’est son choix d’avoir envoyé une copie rayée, par sécurité, qui posait problème. Cette précaution est conseillée par de nombreux spécialistes en cybersécurité lorsqu’il faut transmettre une pièce officielle, afin de se prémunir des conséquences d’une éventuelle fuite de données chez le prestataire.

Elle pose des difficultés récurrentes. Bruno, internaute de Guipavas (Finistère), s’est vu opposer l’interdiction des filigranes après avoir envoyé, le 9 septembre, une copie de sa carte d’identité sécurisée via le site officiel filigrane.beta.gouv.fr. Pourtant, sur son propre site, Adyen indique explicitement : « Les filigranes sont autorisés, mais ils ne doivent couvrir aucune donnée sur la carte d’identité ». Après dix jours de dialogue de sourds avec le service client, un nouvel envoi, toujours filigrané, sera accepté. « On a l’impression de se heurter à un système arbitraire », se désole-t-il. Si Bruno a pu récupérer son argent, d’autres attendent toujours. La plupart ont décidé, pour leurs futures ventes, de changer de plateforme. Ou de revenir au bon vieux paiement direct entre acheteur et vendeur, pour éviter un porte-monnaie électronique pas si sécurisé…
Leboncoin n’est pas le premier à être mis en cause dans des blocages abusifs au prétexte de vérifications liées à la réglementation anti-blanchiment. La banque allemande N26 et la plateforme de cagnottes en ligne Leetchi ont fait l’objet d’accusations similaires ces dernières années, jusqu’à susciter des procédures en justice. Mais le site de petites annonces et son partenaire ne se pressent pas pour répondre aux journalistes. Contacté par l’Informé, Leboncoin renvoie vers Adyen… dont les porte-paroles n’étaient « malheureusement pas disponibles » dans les délais impartis. Nous avons pourtant laissé près d’une semaine au prestataire pour répondre.