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Continuer la lectureLa Poste : Philippe Wahl contraint de tempérer son lobbying pour Stéphane Dedeyan
Le soutien affiché par l’actuel PDG du groupe public à un des prétendants à sa succession commence à agacer jusqu’à l’Élysée. Cinq candidats ont pour l’instant été retenus par le cabinet de chasse.

« Il faut choisir vite : plus on attend, plus la situation devient dommageable pour La Poste », souffle un administrateur. L’ambiance est devenue électrique au siège du groupe public, dans le 15e arrondissement de Paris, tant la rivalité entre deux membres du comité exécutif pour succéder à Philippe Wahl, PDG depuis 2013, affaiblit une entreprise au modèle déjà fragilisé. Se font face pour être choisi par Emmanuel Macron : Nathalie Collin, actuellement directrice générale adjointe chargée de déployer des solutions pour juguler la baisse vertigineuse du courrier et maintenir le réseau de bureaux de poste, et Stéphane Dedeyan, aujourd’hui directeur général adjoint qui bataille pour redresser les comptes de La Banque postale. Selon nos informations, trois candidats extérieurs ont aussi été retenus par le cabinet de chasse de tête Progress : Claire Waysand, la secrétaire générale d’Engie et administratrice du groupe postal, Jérôme Fournel, l’ancien directeur de cabinet de Michel Barnier, et Sylvie Jéhanno, la présidente-directrice générale de Dalkia (groupe EDF). « Les trois candidats extérieurs sont, pour l’instant, des outsiders », indique un proche du dossier.
Car l’actuel PDG, atteint par la limite d’âge de 68 ans cette année, ambitionne de choisir lui-même son successeur en interne, afin de maintenir la stratégie qu’il a mise en place pour préserver le groupe d’un nombre de plis tombé de 18 milliards en 2008 à seulement 5,6 milliards en 2024. Mais, malgré l’influence certaine de cet ancien conseiller des cabinets Rocard, auprès des parlementaires comme d’Emmanuel Macron, il pourrait bien se prendre les pieds dans le tapis, indiquent plusieurs sources.
Contrairement à l’usage, et à ce qu’avait fait son prédécesseur Jean-Paul Bailly, Philippe Wahl a insisté pour participer au comité de sélection du futur PDG mis en place par le conseil d’administration. Malgré l’avis défavorable de l’Agence des participations de l’État, il s’est ainsi immiscé au sein des deux premières réunions qui se sont tenues en janvier et en février pour définir le profil du poste et les attendus de la chasse.
Depuis, le patron ne s’est pas privé de multiplier, en parallèle, les rencontres avec les politiques pour pousser la candidature de son nouveau poulain, Stéphane Dedeyan, qu’il avait choisi de faire venir de la filiale CNP Assurances pour ramener La Banque postale dans le vert. Une surprise alors que sa dauphine historique jusqu’à fin 2024 était Nathalie Collin, qu’il a recrutée en 2014 et promue depuis. « Le virement de bord de Philippe Wahl a beaucoup interloqué, indique un de ses interlocuteurs. Les difficultés persistantes de la Banque postale ont peut-être prévalu pour qu’il préfère un financier comme successeur, mieux à même de redresser la barre de l’activité bancaire. » Une source interne ajoute qu’« avec son caractère bien trempé, Nathalie Collin s’est mis à dos la quasi-totalité du comex de La Poste ». À quoi l’entourage de la dirigeante réplique « qu’à la différence de certains, Nathalie Collin travaille avec le même comité de direction depuis des années ».

Mais le lobbying appuyé de Philippe Wahl auprès de parlementaires et des membres de l’exécutif, comme Patrick Mignola, le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, ou le cabinet du président de la République, a commencé à se faire savoir au sein même du groupe postal. La CFDT, premier syndicat à La Poste et qui soutient officiellement une candidature interne et féminine, s’est inquiétée du manque d’indépendance que ces plaidoyers faisaient peser sur les travaux du comité de sélection. « Il était dès lors compliqué de se maintenir pour Philippe Wahl, il a dû se retirer », concède un de ses proches. Il ne participera pas à la prochaine réunion du comité, prévue mi-avril.
Depuis cet épisode, Philippe Wahl affiche d’ailleurs une attitude plus prudente. « Ce n’est pas moi qui choisirai mon remplaçant. Je resterai neutre », a-t-il ainsi affirmé le 2 avril dernier devant l’Institut Montaigne, un think-tank de patrons qui a l’oreille d’Emmanuel Macron. D’autant que « l’Élysée s’est lassé du forcing du PDG en faveur de Stéphane Dedeyan », croit savoir un proche du dossier. D’ailleurs, la campagne orchestrée de son côté par Nathalie Collin depuis deux ans a marqué des points. Elle est appréciée par Brigitte Macron, rencontrée dans le cadre de l’opération Pièces jaunes dont La Poste est partenaire.
Ses interventions dans les médias sur le groupe postal comme sur les obstacles rencontrés par les dirigeantes, reçoivent un écho plutôt favorable au sein du gouvernement. Sans confirmer un soutien à sa candidature, un membre de cabinet ministériel se montre rassuré par son profil : « Elle est une vraie postière, avec une culture de la relation sociale. Elle est obsédée par l’idée de créer des nouveaux métiers rentables dans le numérique, la distribution de colis, de repas, de visite aux plus âgés… pour que le facteur puisse continuer de distribuer le courrier partout et six jours sur sept. Stéphane Dedeyan, sans rien retirer de ses qualités, n’incarne pas cela, sa connaissance des centres de tri et des postiers est moindre. C’est pour cela que Nathalie Collin est soutenue par la CFDT : elle ne va pas leur faire un coup de Trafalgar. »
Le syndicat s’est d’ailleurs ému de découvrir qu’un article de la Tribune interrogeant Stéphane Dedeyan présente le réseau de 7 500 bureaux de poste comme « une infrastructure qui pèse sur les coûts de La Banque Postale selon une clé de répartition définie (…) par une logique et des contraintes propres à La Poste et ses priorités, en lien notamment avec l’effondrement de l’activité courrier ». Il s’est empressé d’obtenir de la direction qu’elle se désolidarise de cette présentation. « Le corps social est inquiet sur la suite des 12 ans de Philippe Wahl, observe une dirigeante. Il y a un choix entre deux personnalités qui représentent chacune une des deux qualités du PDG actuel : l’attachement au partage stratégique avec les salariés pour Nathalie Collin, la vision financière pour Stéphane Dedeyan. » Le choix présidentiel devrait intervenir courant mai et sera entériné lors de l’assemblée générale prévue le 25 juin prochain.