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Continuer la lectureIl avait transmis des notes diplomatiques à sa femme : un haut fonctionnaire de l’Intérieur écarté
L’administration lui reproche aussi un séjour en Ukraine non autorisé et d’avoir supprimé des documents internes.

La direction des affaires européennes et internationales du ministère de l’Intérieur n’a vu le jour qu’en 2020, mais connaît déjà son lot de remous. Selon nos informations, un sous-préfet, chargé des questions frontalières et de la gouvernance territoriale, a été suspendu puis placé à la retraite d’office fin 2022, à l’âge de 61 ans. C’est une des sanctions les plus graves dans l’administration. Jean-François Devémy, qui se défend de faits selon lui « mal analysés » voire « faux », a contesté la sanction devant le Conseil d’État pour excès de pouvoir. En vain. La plus haute juridiction administrative a récemment confirmé l’éviction du fonctionnaire, après 40 ans passés dans les services de l’État, des rangs de l’armée jusqu’à la place Beauvau, en passant un temps par le ministère des Affaires étrangères.
Après des semaines d’enquête, l’Inspection générale de l’administration (IGA) a conclu en octobre 2022 que le comportement du haut fonctionnaire, en poste à l’Intérieur depuis presque 15 ans, était émaillé de fautes professionnelles. Les centaines de pages du rapport déroulent les agissements que le ministère lui reproche. À commencer par ce voyage d’une semaine en Ukraine, effectué en mai 2021 sur son temps de travail et sans prévenir sa hiérarchie. Contacté par l’Informé, le sous-préfet assure de son côté que c’est faux, et que la présence au bureau n’était dans tous les cas pas obligatoire à ce moment-là, compte tenu des mesures sanitaires. « Je conteste aussi le mode d’exercice de la preuve de la part de l’administration, c’est-à-dire la localisation de mon téléphone professionnel », dit-il, sans exclure que ce soit sa femme, d’origine ukrainienne et sur place sur ce laps de temps, qui ait pu utiliser le mobile.

D’autres griefs sont d’ailleurs directement en lien avec cette dernière, Tetiana K. L’administration reproche à Jean-François Devémy d’avoir « transmis à son épouse, experte juridique internationale pour le compte d’une entreprise privée, des notes diplomatiques et plusieurs documents de travail du ministère de l’Intérieur ». « À l’exception d’un document, c’était des projets ou des brouillons, que j’avais rédigés moi-même ou en collaboration avec d’autres », se défend le haut fonctionnaire. Le fonctionnaire reconnaît l’envoi d’une note diplomatique sur la gouvernance territoriale de l’Ukraine, par erreur selon lui. « C’était une pièce jointe parmi 13 autres, dans un message interne où j’avais mis ma femme en copie parce qu’elle suivait le sujet ». Le fonctionnaire assure pour sa défense que la note n’avait pas de caractère secret.
L’enquête relève par ailleurs que Jean-François Devémy a, « par l’entremise de son épouse », présenté sa candidature pour participer à une mission d’assistance technique dans la partie néerlandaise de l’île de Saint-Martin, aux Antilles, à nouveau sans prévenir sa hiérarchie. L’ancien sous-préfet soutient au contraire avoir rendu compte dans un rapport du fait qu’il postulait à ces fonctions, bien qu’il assure que ce n’était pas nécessaire à ce stade. Mais ce n’est pas tout. L’administration lui reproche aussi d’avoir supprimé plusieurs milliers de documents sur le serveur informatique de sa direction centrale. Le haut fonctionnaire ne le nie pas, mais conteste toute intention maligne. Il dit avoir pressenti sa suspension, intervenue le 22 septembre, quelques semaines avant la fin de l’enquête. « Au cours de ma dernière semaine en poste, explique-t-il, j’ai voulu conserver le maximum des documents pour assurer ma défense, et j’ai fait une erreur de manipulation, en cliquant sur supprimer au lieu de copier pour une partie d’entre eux ».

Sur le fond de l’affaire, l’ancien fonctionnaire explique son éviction par une « mésentente » avec son chef de service, le préfet Jean Mafart, désormais en partance vers l’ambassade de Zambie selon un article de la Lettre. Jean-François Devémy avait notamment contesté devant le tribunal administratif de Paris, en janvier 2022, un ordre de mutation dans une sous-direction du ministère qu’il vivait comme une « brimade ». Il avait aussi fait valoir son droit de retrait, à cause, selon lui, des conditions sanitaires en vigueur au sein des locaux : « Je considérais que les conditions matérielles et sanitaires n’étaient pas réunies pour travailler correctement, en particulier pour ceux de ma tranche d’âge ». Le rapporteur public, dans le cadre de la procédure judiciaire, considère que l’ancien sous-préfet a exercé ce droit de retrait de manière abusive.
Selon lui, si l’on peut s’interroger sur la gravité de quelques éléments pris isolément, d’autres sont en revanche constitutifs d’une faute grave. Un avis qu’a suivi le Conseil d’État dans sa décision : « L’accumulation de ces faits, qui ne sont pas sérieusement contestés, constitue de la part d’un haut fonctionnaire expérimenté, de graves manquements au devoir de loyauté, de discrétion professionnelle et d’exemplarité. » Jean-François Devémy, désormais secrétaire général d’InterRegioNovation, une association de conseil dans les relations internationales que préside son épouse, considère que l’arrêt du Conseil d’Etat ne respecte pas la jurisprudence et ne compte pas en rester là. Il entend saisir prochainement la Cour européenne des droits de l’Homme. Contacté, le ministère de l’Intérieur n’a pas répondu à nos solliciations.