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Continuer la lectureTikTok : les dessous de la campagne massive contre le luxe français
Les réseaux sociaux sont envahis de vidéos dénigrant LVMH, Hermès mais aussi Prada ou Ralph Lauren. Elles encouragent les consommateurs à acheter directement en Chine. Le gouvernement a reçu une note détaillant l’ampleur du dispositif. L’Informé l’a consultée.

Un sac Birkin qui ne coûterait que 1 000 dollars en sortie d’usine mais vendu 38 000 dollars en boutique Hermès ? C’est ce qu’affirmait le compte chinois « sendbags » sur TikTok le 11 avril, point de départ d’une campagne de désinformation massive visant à faire croire que les produits de luxe seraient Made in China alors que la marque se vante de les fabriquer en France. L’attaque survient au moment où Hermès est devenu la première capitalisation boursière du CAC40. Mais la société n’est pas la seule à être visée. Louis Vuitton, Prada, Gucci, Ralph Lauren… Face caméra, des utilisateurs prennent la parole en anglais depuis des manufactures chinoises pour promouvoir le savoir-faire national et inciter à acheter directement chez eux, à prix cassé, pour une qualité supposément identique. Le lien du e-commerçant Taobao ou un numéro de téléphone sur WhatsApp est parfois associé à la publication. Une campagne d’ampleur coordonnée, comme le révèle un rapport de la start-up d’analyse des réseaux sociaux Bloom consulté par l’Informé : en 24 heures, plus de 2 milliards de vidéos sont visionnées, principalement sur TikTok (1,6 milliard de vidéos). « Il s’agit d’un enjeu national car cette campagne vise de grands groupes qui font rayonner l’image de la France dans le monde, estime Aurélie David, vice-présidente de Bloom. Nous avons tout de suite alerté le ministère des affaires étrangères et nos clients régaliens ». Bloom travaille notamment pour le ministère des Armées sur la lutte informationnelle.
Le mécanisme de viralisation est bien rodé. Dès le 12 avril, les premiers contenus chinois sont largement relayés, notamment par des dizaines de faux comptes créés à la chaîne, avec des noms qui suivent le même schéma, commençant par « user » suivi d’un chiffre aléatoire. Les publications suscitent énormément de likes ou de commentaires - 327 000 par exemple pour le compte de LunaSourchingChina, qui raconte que les chemises Tommy Hilfiger, Lacoste et Hugo Boss sont produites dans la province de Guangdong. Elles sont rapidement reprises par des influenceurs américains qui s’indignent dans des vidéos… elles aussi amplifiées par les faux comptes. À partir du 15 avril, des hashtags sur les réseaux sociaux chinois prennent le relais, comme « les usines chinoises créent une tempête sur TikTok », qui enregistre à lui seul plus de 17 millions de vues en moins de 24 heures sur Weibo, l’un des principaux réseaux chinois. « Nous avons identifié le compte à l’origine de ce hashtag, ajoute Aurélie David. Mais nous nous sommes arrêtés là ».

En face, les contre-discours peinent à émerger face à la puissance de frappe des contenus originaux. Ils sont étouffés par la diffusion de fausses réactions ou démentis via des comptes reprenant les codes des chaînes d’informations sur les réseaux sociaux, à l’image de @myhoppening, qui prétend entre autres que Rihanna aurait « exigé de Louis Vuitton qu’il poste une vidéo de ses usines de production ». D’autres comptes profitent de la polémique pour promouvoir des liens d’achat de contrefaçon chinoise.
Dans le contexte de guerre tarifaire entre la Chine et les Etats-Unis, cette campagne constitue « une attaque frontale contre la hausse des droits de douane, en incitant les consommateurs à acheter en direct, hors des canaux traditionnels de distribution », comme l’indique la note de Bloom. La Chine y apparaît comme une « alliée du consommateur », remerciée par des internautes pour « révéler la vérité » ou « rendre le luxe accessible à tous », face à des puissances occidentales qui tenteraient de la décrédibiliser en se concentrant sur la supposée mauvaise qualité de sa production industrielle. Les marques de luxe françaises constituent des « cibles privilégiées », relève le rapport : « Dans cette guerre entre les US et la Chine, la France est la première « victime ». À travers cette manœuvre, la Chine s’approprie tout le savoir-faire et donc le soft power français. » De quoi suggérer une « possible instrumentalisation coordonnée du phénomène, soit par des agences d’influence, soit avec l’encouragement implicite d’acteurs institutionnels chinois, dans un contexte de compétition géopolitique croissante ».
Le ministère des affaires étrangères, celui des Armées, LVMH, Gucci, Ralph Lauren et Kering n’avaient pas répondu à nos sollicitiations à l’heure de notre publication. Prada ne souhaite pas s’exprimer.