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Continuer la lecturePiratage sportif : le nombre impressionnant de sites de streaming bloqués
Sur la pelouse, tout va bien. Les décisions de blocage s’enchaînent au tribunal judiciaire de Paris. Dans les vestiaires, FAI et chaînes télé peinent à trouver l’accord voulu par le législateur pour industrialiser ces suspensions.

Depuis le 1er janvier 2022, les titulaires de droits du sport peuvent réclamer du juge le blocage des sites diffusant en direct et sans autorisation des matchs de foot, des tournois de tennis ou des courses de F1. Une fois saisi, le magistrat ordonne la suspension des portails existant au jour de la décision mais aussi leurs sites miroirs, qui apparaîtraient au long de la saison sportive. Nul besoin de revenir au tribunal : les chaînes télé et les fédérations sportives surveillent le Web. Elles n’ont qu’à signaler ces copies à l’Arcom, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, qui demande alors aux FAI et moteurs l’extension la suspension. Pour améliorer les rouages de ce volet dynamique, le législateur a réclamé un accord entre les parties prenantes. Dix mois plus tard, les statistiques de blocage sont importantes mais les négociations loin d’être abouties, comme le révèle l’Informé.
Combien de noms de domaine bloqués ?
Avant de plonger dans ces coulisses, voici des chiffres exclusifs sur le blocage : depuis le début de l’année, une dizaine de décisions de justice ont été rendues concernant aussi bien la diffusion de la Coupe d’Afrique des Nations, les Ligue 1 et 2 de foot, le Top 14 de Rugby, la Ligue des Champions, Roland-Garros, la Formule 1, les Grand Prix moto ou encore la Premier League anglaise. Au total, 835 noms de domaine ont été bloqués, sachant que plusieurs noms peuvent diriger vers un même site. Dans ce lot, 354 l’ont été au fil des ordonnances rendues au tribunal judiciaire de Paris et 481 à la demande de l’Arcom. La procédure est donc maîtrisée. Au point que l’Autorité va publier ce mardi une étude d’impact pour vanter son efficacité, document qu’elle présentera lors d’une table ronde au Sénat.
La situation est beaucoup plus enlisée sur le terrain de l’accord que doivent toujours trouver titulaires de droits et FAI. Partant du constat qu’il est simple de rouvrir un portail de streaming illicite à quelques heures d’une soirée foot, les chaînes souhaitent tout simplement une « industrialisation du processus afin de bloquer les sites dans un timing le plus restreint possible » selon les mots de Caroline Guenneteau, la secrétaire générale adjointe de beIN MEDIA GROUP, jointe par l’Informé. Problème, si les FAI et les chaînes s’entendent sur les grands principes, ils ne s’accordent toujours pas sur les modalités du blocage, les aménagements technologiques et la répartition des coûts.
Quelle technologie de blocage ?
Déjà, les ayants droit ne veulent plus se satisfaire du seul blocage DNS, mais souhaitent ajouter un blocage par IP dans leur armurerie anti-piratage. Schématiquement, plutôt que d’agir sur les noms de domaine, ils voudraient que les intermédiaires coupent l’accès au serveur, là où est abrité le site de streaming ou le service d’IPTV pirate. Caroline Guenneteau vante la proportionnalité de cette suspension d’accès : « ce blocage n’interviendrait que pendant la durée du match », soit 90 minutes pour une rencontre de foot sans prolongations.
Comme l’avait écrit cette étude européenne de 2010 sur le filtrage, il y a un souci. Et pas des moindres : « plusieurs sites web peuvent être identifiés sous des noms de domaine différents tout en partageant une seule et même adresse IP ». Si l’accès à un serveur est bloqué, tous les sites qui y sont hébergés sont frappés, le portail illicite mais aussi ses voisins parfaitement licites. C’est ce qui est arrivé en Autriche en août dernier où plusieurs portails légitimes avaient été victimes de ce coup de filet trop grossier.
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Pour la représentante de beinSport, la solution présente malgré tout un intérêt lorsqu’un serveur n’héberge que des sites pirates. Dans les autres hypothèses, elle concède que « si un gros site de transactions financières est bloqué, cela pourra représenter des dommages importants ». Qui porterait alors la casquette des responsabilités ? « Si nous donnons une information qui est fausse, on en assume la responsabilité. Si le FAI bloque quelque chose qui n’était pas ce qu’on a demandé, il en assume la responsabilité. On part donc du principe que chacun est responsable pour sa partie » commente Caroline Guenneteau. Au-delà de ces grands principes, elle concède que dans le détail, « la question n’est pas entièrement résolue aujourd’hui ».
Partage des coûts
Autre interrogation, le législateur souhaite que les chaînes se partagent les coûts avec les FAI, mais se garde de bien de fixer la moindre proportion. Place à la négociation donc où tout dépendra des modalités opérationnelles (blocage manuel ou automatisé, blocage DNS ou par IP) qui influeront grandement sur le tarif de l’opération. « Ce serait merveilleux que les informations [sur les sites à bloquer, ndlr] passent des chaînes télé à l’Arcom et de l’Arcom aux FAI de manière automatisée plutôt que par fichiers Excel » explique Caroline Guenneteau.
Bonne nouvelle, cet automatisme est favorablement accueilli par la Fédération Française des Télécoms (FFT). Contacté par l’Informé, Michel Combot, son directeur général, comprend « la nécessité de réduire les délais entre la décision de justice ou l’injonction administrative et le blocage effectif ». Et pour cause, l’interfaçage TV-ARCOM-FAI permettrait non seulement d’accélérer les procédures, mais aussi de réduire la part de manuel et donc mobiliser moins de ressources humaines chez les FAI.
Les télécoms préfèrent avancer par étape
L’harmonie est cependant de courte durée. Contrastant avec l’empressement des titulaires de droits, la fédération des télécoms préfère ne pas « poursuivre plusieurs lièvres à la fois » selon Michel Combot. La première étape a été le blocage DNS manuel. Il est effectif. « Il faut maintenant avoir un accord sur les coûts et les modalités de son automatisation ». Ce n’est qu’une fois ces menues questions réglées que la FFT envisage « d’entamer une troisième étape », et encore, cette phase ultime ne consistera qu’à « étudier la viabilité du blocage IP » avec étude de faisabilité technique et encadrement juridique des responsabilités. Pour l’heure, Michel Combot l’assure : « on est prêt à travailler rapidement dès lors qu’un accord est signé ». Les montants en jeu sont encore inconnus, mais selon nos informations, l’ardoise globale pourrait représenter plusieurs centaines de milliers d’euros. Un montant qui fait sursauter les titulaires de droits.
Diplomate, Laurence Pécaut-Rivolier, membre du collège de l’Arcom, salue « la bonne volonté de l’ensemble des parties ». Dans un échange avec l’Informé, la co-présidente du groupe de travail sur la protection des contenus sportifs en ligne, milite elle-aussi pour un « système moins artisanal », ce qui passera par « une automatisation du fonctionnement ». Toutefois, « il faut une discussion sur qui paie quoi. C’est notre travail actuellement ». L’autorité chapeaute ces échanges pour aboutir à une entente. À défaut ? « L’Arcom mettra en ligne un projet d’accord unilatéral, mais il n’est l’intérêt ni des ayants droit ni des FAI qu’un tel modèle soit dissocié de leurs propres souhaits ». Sans lever le voile sur les échanges actuels, Pauline Blassel, directrice générale adjointe de l’Arcom, reconnaît que les conditions de mise en œuvre d’un éventuel blocage IP sont « au cœur de l’accord en train d’être discuté ». « La sphère de vigilance est totale, complète Laurence Pécaut-Rivolier, également magistrate à la Cour de cassation, on ne poussera pas au blocage IP si le risque est beaucoup trop important ».
La quête de cet accord entre les titulaires de droits et les fournisseurs d’accès n’est que le premier chapitre d’un livre en train de s’écrire. Côté beIN MEDIA GROUP, Caroline Guenneteau rappelle que l’article de loi encadrant ces mesures de blocage vise tous les intermédiaires techniques. « Aujourd’hui, le sujet concerne les fournisseurs d’accès, mais demain, on travaillera à la coopération des autres intermédiaires ». Après les FAI, suivront donc les gestionnaires de nom de domaine ou pourquoi pas Cloudflare, un service intermédiaire utilisé par de nombreux acteurs contre les attaques en déni de service distribué (ou DDoS, en anglais).
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